Jules Supervielle

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Auteurs français

Jules Supervielle

1884 – 1960

Les souvenirs sont du vent, ils inventent les nuages.

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(Jules Supervielle, Le Corps tragique, 1959)

Jules Supervielle (1884-1960) est poète, romancier et dramaturge français. Il est l’auteur d’une poésie très personnelle, hantée par l’angoisse de l’absence et le sens du mystère.

Notice biographique

Portrait de Jules Supervielle, Montevideo, 1944.

Né à Montevideo, en Uruguay, le 16 janvier 1884, Jules Supervielle est issu d’une famille de la grande bourgeoisie, orphelin huit mois après sa naissance, il a été élevé par son oncle et sa tante, et a partagé sa vie entre la France et l’Amérique du Sud. En 1893, à l’âge de neuf ans, le petit Jules apprend, par hasard, qu’il n’est que le fils adoptif de son oncle et sa tante.

Il commence la rédaction d’un livre de fables sur un registre de la banque Supervielle. En 1904, il épouse Pilar Saavedra à Montevideo. De cette union naîtront six enfants, nés entre 1908 et 1929.

Tandis que ses premiers poèmes sont d’une facture assez traditionnelle (Brumes du passé, 1900 ; Comme des voiliers, 1910), la fréquentation de Jules Laforgue le pousse à cultiver l’humour (Poèmes de l’humour triste, 1919). Il se libère de toute influence à partir de Débarcadères (1922), le premier de ses recueils en vers libres, où se retrouve toutefois le goût pour les voyages qu’il partageait avec Valery Larbaud.

Après un roman fantastique (l’Homme de la pampa, 1923), Supervielle explore, dans sa poésie, le fond le plus obscur de sa personnalité (Gravitations ; le Voleur d’enfants ; le Forçat innocent ; les Amis inconnus ; la Fable du monde). Il publie aussi des récits (l’Enfant de la haute mer ; Boire à la source), écrit pour le théâtre (la Belle au bois).

La maladie le retient en Uruguay pendant la guerre, qui lui inspire des poèmes âpres et mystiques (1939-1945 ; (la nuit). Sa poésie devient ensuite plus facile d’accès et s’inspire de contes mythologiques (Robinson ; Schéhérazade).

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Attentif à l’univers qui l’entourait comme aux fantômes de son monde intérieur, il a été l’un des premiers à préconiser cette vigilance, ce contrôle que les générations suivantes, s’éloignant du mouvement surréaliste, ont mis à l’honneur. Il a anticipé les mouvements des années 1945-50, dominés par les puissantes personnalités de René Char, Henri Michaux, Saint-John Perse ou Francis Ponge, puis — après la parenthèse avant-gardiste des années 1960-70 — ceux des poètes désireux de créer un nouveau lyrisme et d’introduire une certaine forme de sacré ou, tout au moins, une approche plus modeste des mystères de l’univers, sans remise en cause radicale du langage : Yves Bonnefoy, Edmond Jabès, Jacques Dupin, Eugène Guillevic, Jean Grosjean, André Frénaud, André du Bouchet, Jean Follain, pour ne citer qu’eux.

Avec la déclaration de guerre commencent des années difficiles. La tension internationale, des difficultés financières et des ennuis de santé (problèmes pulmonaires et cardiaques) conduisent Jules Supervielle à s’exiler pour sept ans en Uruguay. Il est nommé officier de la Légion d’honneur.

Il obtient le prix des Critiques en 1949, pour Oublieuse mémoire, et celui de l’Académie française, pour l’ensemble de son œuvre, en 1955. Après quelques recueils moins inventifs, il trouve des accents nouveaux dans le Corps tragique (1959), sorte de méditation sur la mort. En 1960, Supervielle est élu prince des poètes par ses pairs.

Le 17 mai 1960, il meurt dans son appartement parisien. Il est inhumé à Oloron-Sainte-Marie. En octobre, la NRF fait paraître un numéro spécial qui lui rend hommage.

Ses admirateurs ou successeurs spirituels se nomment René Guy Cadou, Alain Bosquet, Lionel Ray, Claude Roy, Philippe Jaccottet ou encore Jacques Réda…

Quelques poèmes
La goutte de pluie

Je cherche une goutte de pluie
Qui vient de tomber dans la mer.
Dans sa rapide verticale
Elle luisait plus que les autres
Car seule entre les autres gouttes
Elle eut la force de comprendre
Que, très douce dans l’eau salée,
Elle allait se perdre à jamais.
Alors je cherche dans la mer
Et sur les vagues, alertées,
Je cherche pour faire plaisir
À ce fragile souvenir
Dont je suis seul dépositaire.
Mais j’ai beau faire, il est des choses
Où Dieu même ne peut plus rien
Malgré sa bonne volonté
Et l’assistance sans paroles
Du ciel, des vagues et de l’air.

(Jules Supervielle, « La goutte de pluie », in La Fable du monde)

Un poète

Je ne vais pas toujours seul au fond de moi-même
Et j’entraîne avec moi plus d’un être vivant.
Ceux qui seront entrés dans mes froides cavernes
Sont-ils sûrs d’en sortir même pour un moment ?
J’entasse dans ma nuit, comme un vaisseau qui sombre,
Pèle-mêle, les passagers et les marins,
Et j’éteins la lumière aux yeux, dans les cabines,
Je me fais des amis des grandes profondeurs.

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(Jules Supervielle, « Un poète », in Les Amis inconnus)

Vivante ou morte…

Vivante ou morte, ô toi qui me connais si bien,
Laisse-moi t’approcher à la façon des hommes

Il fait nuit dans la pièce où tremble un oreiller
Comme un voilier qui sent venir la haute mer,
Et je ne comprends pas si je suis l’équipage
Ou l’adieu d’un bras nu resté sur le rivage.

Ah que j’arrête un jour ta chair à la dérive
Toi qui vas éludant mon désir et le tien,
Au large de mes mains, qu’escortent des abîmes,
Quand mes pieds pour appui n’auront qu’un frêle bruit.

Un bruit de petit jour étouffé de ténèbres
Mais capable pourtant de toucher ta fenêtre
Et de la faire ouvrir.

(Jules Supervielle, « Vivante ou morte… », in Le Forçat innocent)

📽 15 citations choisies de Jules Supervielle
  • Le monde est plein de voix qui perdirent visage
    Et tournent nuit et jour pour en demander un. (Jules Supervielle, Les Amis inconnus)
  • Les souvenirs sont du vent, ils inventent les nuages. (Jules Supervielle, Le Corps tragique)
  • Et quand je vois passer un chat je dis : « Il en sait long sur l’homme ». (Jules Supervielle, Le jeune homme du dimanche et des autres jours)
  • Avec son air très naturel le surnaturel nous entoure. (Jules Supervielle, Le Jeune Homme du dimanche)
  • Le silence est le meilleur avocat des morts. (Jules Supervielle, Shéhérazade)
  • Quand on est riche, toutes les gaffes sont permises elles sont même recommandées si l’on veut avoir le sentiment de sa puissance. (Jules Supervielle, Le Voleur d’enfants)
  • Visages de la rue, quelle phrase indécise
    Ecrivez-vous ainsi pour toujours l’effacer,
    Et faut-il que toujours soit à recommencer
    Ce que vous essayez de dire ou de mieux dire ? (Jules Supervielle, « La demeure entourée », Les Amis inconnus)
  • Comment pouvez-vous faire le moindre cas du délire d’un rêveur ? (Jules Supervielle, Shéhérazade)
  • La terre est une quenouille que filent lune et soleil.
  • […] il m’est très difficile de me séparer de moi pour admirer l’oeuvre d’autrui; c’est que mon oeuvre continue et se poursuit en moi malgré moi. Un poète l’est sans repos. Même quand il dort, des images le hantent.
  • Je suis un parfait honnête homme. Je me dégoûte complètement. (Jules Supervielle, Le Voleur d’enfants)
  • Il faut pourtant accepter ce que le Bon Dieu ne vous envoie pas. (Jules Supervielle, Le Voleur d’enfants)
  • L’homme ne peut aboutir qu’à des à peu près. (Jules Supervielle, Boire à la source)
  • Ô morts n’avez-vous pas encore appris à mourir ? (Jules Supervielle, Le Forçat innocent)
Bibliographie
  • 1919. Les Poèmes de l’humour triste (poèmes)
  • 1922. Débarcadères (poèmes)
  • 1923. L’Homme de la pampa (roman)
  • 1925. Gravitations (poèmes)
  • 1926. Le Voleur d’enfants (roman)
  • 1928. Le Survivant (roman)
  • 1930. Le Forçat innocent (poèmes)
  • 1931. L’Enfant de la haute mer (nouvelles)
  • 1932. La Belle au bois (théâtre)
  • 1933. Boire à la source (récit)
  • 1934. Les Amis inconnus (poèmes)
  • 1936. Bolivar (théâtre)
  • 1938. La Fable du monde (poèmes)
  • 1947. Le Petit bois et autres contes, Paris, édité par Jacques et René Wittmann
  • 1948. Robinson (théâtre)
  • 1949. Shéhérazade (théâtre)
  • 1959. Le Corps tragique (poèmes)
Études critiques
  • Claude Roy, Jules Supervielle, Éd. Pierre Seghers, coll. Poètes d’aujourd’hui, 1964.
  • Claude Roy, Supervielle, Paris, Poésies P., NRF, 1970.
  • Sabine Dewulf, Jules Supervielle ou la connaissance poétique – Sous le soleil d’oubli, coll. Critiques Littéraires, en deux tomes, Paris, éd. L’Harmattan, 2001.
  • Sabine Dewulf, La Fable du Monde, Jules Supervielle, coll. Parcours de lecture, Bertrand-Lacoste, 2008
  • Collectif dirigé par Sabine Dewulf et Jacques Le Gall, Jules Supervielle aujourd’hui, Actes du colloque des 1er et 2 février 2008 à Oloron-Sainte-Marie.
  • Sabine Dewulf, Le Jeu des Miroirs, Découvrez votre vrai visage avec Douglas Harding et Jules Supervielle, éd. Le Souffle d’Or, 2011.
  • Jacques Le Gall, Les Pyrénées, postface, éd. Le Festin, coll. « Les Cahiers de l’Eveilleur », 2006.
  • Odile Felgine, L’Écriture en exil, Dianoïa, PUF, 2014.

Articles connexes

Suggestion de livres

Supervielle : Oeuvres poétiques complètesLa Fable du monde/Oublieuse mémoire
Gravitations / DébarcadèresL'Arche de Noé

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