L’argot

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L’argot

– Le langage des voleurs –

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L’argot est un langage de convention imaginé par les voleurs, les vagabonds et les diverses classes de gens hors de la société ou de la loi, pour communiquer entre eux sans être compris par ceux qui n’y sont pas initiés. Ce qui caractérise l’argot, c’est précisément la nécessité d’une initiation au sens des mots dont il se compose, qu’ils soient forgés à plaisir ou que, tirés de la langue vulgaire, ils aient reçu une acception nouvelle. L’argot est une chose aussi ancienne que la société. Du jour où il y a eu des hommes en lutte permanente avec la loi, ils ont dû recourir à un langage conventionnel destiné à soustraire la complicité de leurs tentatives ou de leurs actes au reste des hommes. Il y a des mots chez tous les peuples pour désigner cette langue de convention. Les Allemands lui donnent les noms de rothwaelsch ou de rottwaelsch, qui signifient « l’étranger rouge », ou bien « l’italien des mendiants » ; les Anglais, celui de cant, après l’avoir appelé impertinemment « le français des colporteurs » ; les Espagnols, celui de germania, ce qui est aussi peu flatteur pour les Allemands ; les Italiens l’appellent jergo ; les Portugais, calao ; les Hollandais, bargoens ; les Bohémiens, hantyrka, etc.

Le mot français argot est d’origine récente, et cependant d’une étymologie inconnue ; il ne date que du XVIIe siècle. Peut-être n’est-il simplement qu’une corruption du mot français jargon ou de l’italien jergo, puisque pour les voleurs jar est synonyme d’argot, et que dévider le jar signifie parler argot. Le Duchat trouve son origine dans le nom propre de Ragot, capitaine des Gueux. Émile Littré propose l’ancien français argu, querelle, d’où est venu argoter aussi bien qu’arguerArguce, ancienne forme d’argutie, aurait fait, de son côté, arguche, synonyme d’argot.

On a fait à messieurs les voleurs l’honneur de s’occuper beaucoup de leur langage. Grandval, l’auteur du poème de Cartouche, crut devoir faire suivre son œuvre d’un Dictionnaire d’argot (1755). Les romanciers modernes l’ont mis à profit dans des ouvrages qui ont une valeur littéraire ou des prétentions sociales. Victor Hugo l’a prodigué dans quelques brillants chapitres de Notre-Dame de Paris et dans les pages émouvantes du Dernier jour d’un condamné. Eugène Sue a popularisé davantage encore l’idiome des voleurs dans les Mystères de Paris. Certains feuilletonistes contemporains ne manquent pas d’assaisonner d’argot le récit des exploits des héros qu’il est de mode d’aller chercher au bagne. Le célèbre Vidocq avait préparé, pour le service de la police, un Dictionnaire d’argot, dont le manuscrit a été perdu. Des philologues d’un grand savoir ont étudié le jargon secret des voleurs avec le même sérieux que des langues savantes, témoin le livre de Francisque Michel : Études de philologie comparée sur ‘argot et les idiomes analogues parlés en Europe et en Asie (1855).

L’argot offre d’ailleurs en lui-même un certain intérêt de curiosité ; sans doute beaucoup de ses mots et de ses phrases ont quelque chose d’horrible on d’ignoble qui répond bien à leur destination ; mais il arrive souvent que la bizarrerie en est rachetée par des effets pittoresques et que la monstruosité même prend un caractère ingénieux ou hardi. Ces qualités frappent surtout dans les expressions on locutions de l’argot qui sont détournées de la langue commune.

Exemples :

  • le canon ►  le brutalle
  • le tambour ►  bruyantune
  • une montre ► toquanteles
  • les poches ► profondes
  • le sang ► du raisiné
  • l’argenterie ► la blanquette
  • les dents ► des dominos
  • le cœur ► le palpitant
  • guillotiner ► faucher le colas ou raccourcir
  • être guillotiné ► épouser la veuve
  • tuer ► étourdir ou refroidir
  • révéler ► manger le morceau
  • crier à la garde ► cribler à la grive
  • être au bagne ► ramer dans la petite marine
  • voler un manteau ► filer une pelure
  • le condamné pour récidive ► le cheval de retour
  • la langue ► la menteuse ou le chiffon rouge
  • la hotte du chiffonnier ► le cachemire d’osier
  • la paille ► la plume de Beauce
  • le confessionnal ► un lavoir
  • le bourreau ► le faucheur
  • l’échafaud ► l’abbaye de Monte-à-Regret ou la veuve

À côté de cet emploi détourné de mots français, conservés dans leur forme entière, l’argot en emprunte d’autres qu’il déguise, en les abrégeant ou en les allongeant ; ainsi il dira : autor pour autorité, comme pour commerce, dilige pour diligence, etc., ou, d’autre part, boursicault pour bourse, brodancher pour broder, etc. Un allongement notable est celui que subissent tous les pronoms personnels ; c’est une espèce de déclinaison : meziguemezièremezigaud pour moi, noziguenozièrenouzaillenozubigaud pour nous, etc.

L’argot contient enfin toute une classe de mots d’invention originale et de provenance inconnue. Tels sont :

  • abouler ► donner ;
  • arpions  ► doigts ;
  • caroube ► fausse clef ;
  • chourin ► couteau, le radical de chouriner et chourineur ;
  • escarpe ► assassin ;
  • filoche ► bourse ;
  • frangine ► sœur ;
  • grinche et pègre ► voleur ;
  • largue ► femme de mauvaise vie ;
  • môme ► enfant ;
  • picton ► vin ;
  • rouscailler bigorne  ► parler argot ;
  • rupin ► bourgeois ;
  • trimard ► chemin.

Le mélange des mots de ces diverses classes fait de l’argot une sorte de jargon composite où se heurtent le connu et l’inconnu et qui prend tour à tour la physionomie d’un français corrompu et d’une langue étrangère.

Cette langue a ses prétentions grammaticales et littéraires. « Qu’on y consente ou non, dit Victor Hugo, l’argot a sa syntaxe et sa poésie. C’est une langue. Si, à la difformité de certains vocables, on reconnaît qu’elle a été mâchée par Mandrin, à la splendeur de certaines métonymies on reconnaît que Villon l’a parlée. » Depuis le Jargon et les Repues franches de François Villon, dont Clément Marot admirait la forme argotique, les essais littéraires de la langue des prisons et du bagne ne sont guère sortis du triste milieu auquel ils étaient destinés.

L’exemple suivant n’est qu’un échantillon ; ce sont quelques vers du trop fameux Pierre-François Lacenaire (1800-1836), qui ne répondent nullement par le pittoresque poétique à ce qu’on pouvait attendre d’un langage brutalement énergique et coloré : ils sont intilulés Dans la lunette, et adressés « à la pegre » :

Pègres traqueurs, qui voulez tous du fade,
Prêtez l’esgourde à mon dur boniment :
Vous commencez à tirer en valade,
Puis au grand truc vous marchez en taffant.
Le pante aboule,
On perd la boule,
Puis de la taule on se crampe en rompant.
On vous roussine ;
Et puis la tine
Vient remoucher la butte en rigolant.

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Traduction

Voleurs poltrons qui voulez part an butin,
Pour commencer, vous fouillez dans les poches ;
Puis, quand vous vous mêlez de tuer, vous tremblez.
La victime arrive,
On perd la tête,
Et on se sauve de la maison a la hâte.
On vous dénonce,
Et puis le peuple
Vient voir guillotiner, en riant.

Quoique l’argot désigne particulièrement le langage des voleurs, on emploie aussi souvent ce mot pour qualifier une série d’expressions ou de locutions propres à une classe particulière de la société ou à une profession. Il y a alors l’argot de l’atelier, du collège, des coulisses, de la boutique, de la caserne, du faubourg, des halles, des lieux de plaisir, etc.

Dans chacun de ces milieux, l’argot s’établit par une convention expresse ou tacite, qui en constitue le caractère original et qui le distingue des autres formes particulières de langage, jargons ou patois.

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