Paul Valéry

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Auteurs français

Paul Valéry

1871 – 1945

Le talent sans génie est peu de chose. Le génie sans talent n’est rien.

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(Paul Valéry, Mélange, 1941)

Paul Valéry (1871-1945) est poète et essayiste français qui se fixe pour tâche de réfléchir sur le fonctionnement de l’esprit, l’attitude centrale à partir de laquelle les entreprises de la connaissance et les opérations de l’art sont également possibles.

Un héritier du symbolisme

Paul ValéryPaul Valéry est né à Sète : la présence du soleil et de la mer devaient illuminer de nombreuses pages de sa poésie, et le cimetière marin de la ville lui inspirer un poème célèbre.

Valéry poursuit ses études secondaires à Montpellier. N’ayant pu faire l’École navale, il entre à la faculté de droit (1888) et « dériva cette passion maritime malheureuse vers les lettres et la peinture ». Il mène des études peu brillantes par « horreur des choses prescrites ». Passionné de poésie, il lit Hugo, Gautier, Baudelaire puis, par l’intermédiaire de À rebours, de Huysmans, il découvre les poètes symbolistes, en particulier Verlaine et Mallarmé. C’est sous l’influence de ces lectures qu’il compose ses premiers vers.

En 1890, il se lie d’amitié avec Pierre Louÿs, qui lui fait rencontrer Mallarmé, José Maria de Heredia et André Gide. Son activité poétique semblait alors sur la voie de l’épanouissement, puisqu’il avait fait paraître quelques poèmes dans la revue la Conque, par l’intermédiaire de Louÿs. Mais, un jour de 1892, à Gênes, il traverse une crise passionnelle et prend conscience en même temps que la poésie, avec Mallarmé, avait atteint un achèvement.

Cet événement, occasionnant une brusque remise en question de lui-même, l’amène à renoncer à la poésie et à rechercher une nouvelle maîtrise de lui-même pour échapper au confusionnisme : « la littérature n’est rien de désirable si elle n’est pas un exercice supérieur de l’animal intellectuel ».

Devenir le « maître de sa pensée »
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Installé à Paris en 1894, Valéry est reçu au concours de rédacteur au ministère de la Guerre, et occupe ce poste jusqu’en 1900, date à laquelle il devient secrétaire particulier d’un administrateur de l’agence Havas. Il fréquente alors des milieux professionnels très divers, tout en disposant de loisirs suffisants pour un travail personnel quotidien de lecture et de réflexion. Pendant une vingtaine d’années, Valéry travaille sa pensée, s’adonnant en particulier à l’étude des mathématiques et cherchant à saisir le fonctionnement de l’esprit.

Cette période de réflexion donne lieu à plusieurs textes, comme l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1895) ou la Soirée avec M. Edmond Teste (1896, publié en 1919).

Ce dernier ouvrage a pour personnage principal M. Teste, sorte d’intelligence à l’état pur, puisqu’il est conscience témoin (testis en latin) d’elle-même.

Teste, Léonard et l’« architecte » (Eupalinos ou l’Architecte, 1921) représentent dans les œuvres de Valéry la figure de l’esprit se réfléchissant et construisant sa méthode. Ils sont conçus sur le modèle de l’auteur lui-même qui, jusqu’à la fin de sa vie, prit l’habitude de consigner, tous les matins et pendant plusieurs heures, la totalité de ses réflexions dans des cahiers (psychologie de l’attention, du rêve, de la création, de la conscience du temps ; épistémologie et méthodologie ; réflexion sur la technique, l’histoire, le destin des civilisations, etc.). Deux cent cinquante-sept cahiers, longtemps tenus secrets, sont écrits de la sorte, et constituent un témoignage irremplaçable sur la vie d’un esprit et d’une pensée, pris dans leurs exercices quotidiens.

Publications poétiques

Bien qu’ayant renoncé à la création poétique, Valéry ne s’était pas coupé des milieux littéraires parisiens : il continue à fréquenter le cercle réuni autour de Mallarmé – dont il devient un proche – jusqu’à la mort de celui-ci en 1898 ; en outre, il voyait régulièrement Pierre Louÿs, André Gide et Heredia. C’est sous l’influence de ses amis, et en particulier de Gide, qu’il accepte de remanier ses poèmes de jeunesse (écrits entre 1890 et 1892) pour les publier en un recueil, l’Album de vers anciens (1920). Valéry veut y ajouter un poème qui serait un « exercice » : c’est la Jeune Parque, qui donne lieu à un travail acharné de 1913 à 1917.

La Jeune Parque

Ce long poème en alexandrins présente la vie intérieure d’une jeune femme qui, assise sur un rivage, se trouve partagée entre l’appel de ses désirs voluptueux et une innocence que seule la mort lui permettrait de préserver. Cette allégorie traite en réalité de l’opposition entre la conscience et l’inconscience, ou, si l’on préfère, de la lutte entre l’absolu de l’intelligence lucide, d’une part, et l’instinct et la sensualité, d’autre part. Poème philosophique – qui aurait pu se dévoyer dans l’abstraction -, la Jeune Parque repose sur un jeu très concerté d’images et de sonorités, et constitue ainsi une véritable « composition musicale à plusieurs parties ».

Dès sa publication (1917), le poème a eu un important succès et apporte à Valéry une renommée qui devait être confortée quelques années plus tard avec le recueil de ses nouveaux poèmes, Charmes (1922), qui allie préciosité et néoclassicisme et où figure le célèbre Cimetière marin.

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Charmes

Les vingt et un poèmes composant ce recueil se voulaient, selon les termes de Valéry lui-même, une tragédie de l’esprit. Affirmant que « la vie de l’intelligence constitue un univers lyrique incomparable, un drame complet où ne manquent ni l’aventure, ni les passions, ni le comique, ni rien d’humain » (Discours sur Descartes), Valéry retrace dans Charmes un drame de l’intelligence où chaque poème pourrait constituer une étape dans l’aventure de la connaissance. Ici, comme dans la Jeune Parque, la dimension intellectuelle de la poésie n’empêche pas son extrême sensualité, ni sa dimension suggestive, mystérieuse et magique, qu’atteste le titre incantatoire de Charmes (carmen en latin signifie « parole magique », « enchantement »).

Un idéal de poésie pure

Poursuivant un idéal de « poésie pure », Valéry ne cesse de mener conjointement son activité poétique et sa réflexion sur la poésie. Le langage poétique, selon lui, ne saurait être seulement une des espèces du langage, mais un moyen de transmettre « l’état poétique qui engage tout l’être sentant », par le son, par le rythme, par les « rapprochements physiques de mots, leurs effets d’induction ou leurs influences mutuelles qui dominent, aux dépens de leur propriété de se consommer en un sens défini et certain » (Commentaire de « Charmes »). Ainsi, la poétique de Valéry vise-t-elle à faire advenir un « langage dans le langage ».

Consécration et retour à la prose

La production poétique de Paul Valéry prend fin avec Charmes. La plupart des écrits qu’il produit par la suite et jusqu’à sa mort sont des essais (l’Idée fixe, 1932 ; Degas, Danse, Dessin, 1936), qui sont parfois construits sous la forme de dialogue, car pour Valéry tout essai est un « théâtre d’idée » (Mon Faust, 1940). Il écrit aussi des articles, des préfaces et les textes des conférences qu’il fait dans différents pays. Cet ensemble, qui aborde des domaines aussi variés que la littérature, la philosophie, la politique, la poétique et l’esthétique, fut rassemblé dans Variétés (Variété, 1924 ; Variété II, 1929 ; Variété III, 1936 ; Variété IV, 1938 ; Variété V, 1944) et dans Tel Quel, où figure en particulier Rhumbs (1941).

L’immense succès de Paul Valéry avait fait de lui une « espèce de poète d’État » : élu à l’Académie française en 1925, il est nommé professeur de poétique au Collège de France en 1937, et reçoit des funérailles nationales en 1945.

Bilan d’une œuvre

Partagées entre la sensualité et l’ascèse, la création et la réflexion, la solitude laborieuse en refus du « monde actuel » et la fréquentation mondaine, la vie et l’œuvre de Valéry sont marquées par un déchirement (« il faut tenter de vivre ») qu’on aurait tort de ne pas voir sous l’intellectualisme affiché.

Sa définition du poème comme « fête de l’intellect » pousse à leur terme les doutes du symbolisme : « J’aimerais infiniment mieux écrire en toute conscience et dans une entière lucidité quelque chose de faible, que d’enfanter à la faveur d’une transe un chef-d’œuvre d’entre les plus beaux. » C’est par une « débâcle de la raison » que la poésie, avec le surréalisme, sortira de cette impasse.

Sa volonté de fonder une « poétique » (rendre compte de la littérature en termes de « métier » et de création de formes) et la réhabilitation qu’il fait de la rhétorique et de la contrainte en poésie font de Paul Valéry un précurseur de certaines formes d’écritures contemporaines (OuLiPo, poésie et mathématique) comme du renouveau critique des années 1960-1970 (son héritage sera revendiqué par les structuralistes ; un groupe d’avant-garde « matérialiste » reprendra pour sa revue le titre Tel quel).

📽 15 citations choisies de Paul Valéry
  • Un chef est un homme qui a besoin des autres. (Mauvaises pensées et autres)
  • Un homme compétent est un homme qui se trompe selon les règles. (Mauvaises pensées et autres)
  • Les hommes se distinguent par ce qu’ils montrent et se ressemblent par ce qu’ils cachent. (Mélange)
  • De ce qui occupe le plus, c’est de quoi l’on parle le moins. Ce qui est toujours dans l’esprit, n’est presque jamais sur les lèvres. (Mauvaises pensées et autres)
  • La faiblesse de la force est de ne croire qu’à la force. (Mauvaises pensées et autres)
  • Le talent sans génie est peu de chose. Le génie sans talent n’est rien. (Mélange)
  • Le goût est fait de mille dégoûts. (Choses tues)
  • C’est parfois une épine cachée et insupportable que nous avons dans la chair qui nous rend difficiles et durs avec tout le monde. (Mauvaises pensées et autres)
  • Ce qui est le meilleur dans le nouveau est ce qui répond à un désir ancien. (Littérature)
  • L’homme est absurde par ce qu’il cherche, grand par ce qu’il trouve. (Moralités)
  • La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. (Rhumbs)
  • Ce sont les questions qui font le philosophe. (Autres Rhumbs)
  • Chaque homme sait une quantité prodigieuse de choses qu’il ignore qu’il sait. (Mauvaises pensées et autres)
  • L’esprit condamne tout ce qu’il n’envie pas. (Mélange)
  • La famille est un milieu où le minimum de plaisir avec le maximum de gêne font ménage ensemble. (Tel Quel)
  • Ce qui est terrible dans la mort, ce n’est pas d’en être vaincu, mais de lutter. (Mauvaises pensées et autres)
  • L’homme heureux est celui qui se retrouve avec plaisir au réveil, se reconnaît celui qu’il aime être. (Mélange)
  • La philosophie ne consiste-t-elle pas, après tout, à faire semblant d’ignorer ce que l’on sait et de savoir ce que l’on ignore ? (L’Homme et la coquille)
  • Chaque atome de silence Est la chance d’un fruit mûr. (Poésies)
  • La mode étant l’imitation de qui veut se distinguer par celui qui ne veut pas être distingué, il en résulte qu’elle change automatiquement. (Tel Quel)
  • La fatigue des sens crée. Le vide crée. Les ténèbres créent. Le silence crée. L’incident crée. Tout crée, excepté celui qui signe et endosse l’oeuvre. (Tel Quel)
  • Le métier des intellectuels est de remuer toutes choses sous leurs signes, noms ou symboles, sans le contrepoids des actes réels. Il en résulte que leurs propos sont étonnants, leur politique dangereuse, leurs plaisirs superficiels. (Tel Quel)
  • Qu’est-ce qu’un sot ? Peut-être ce n’est qu’un esprit peu exigeant qui se contente de peu. Un sot serait-il un sage. (Mauvaises pensées et autres)
  • Pense un peu à nous-mêmes ! Roule, vois, ris et cause ! Mais qu’il ne soit que belle chose qui ne te fasse un peu penser à qui vous aime. (Lettres à Jean Voilier)
  • La distance et le temps font ensemble un désert où l’être solitaire peuple de visions étranges l’heure et l’air… Effet complémentaire ! (Lettres à Jean Voilier)
  • Amour est avant tout de se consumer à essayer de deviner ce qui se pense dans une autre tête. Rien de plus torturant. Car… Tout se passe dans une tête. (Lettres à Jean Voilier)
  • Un sujet d’une étendue immense et qui, loin de se simplifier et de s’éclaircir par la méditation, ne fait que devenir plus complexe et plus trouble à mesure que le regard s’y appuie. (Variété III)
  • La mémoire est l’avenir du passé. (Cahiers I)
  • Un homme qui écrit n’est jamais seul. (Journal)
  • Je me suis rarement perdu de vue ; je me suis détesté, je me suis adoré ; puis, nous avons vieilli ensemble. (Monsieur Teste)
  • Le style résulte d’une sensibilité spéciale à l’égard du langage. Cela ne s’acquiert pas, mais cela se développe. (Étude, science de style)

Autres citations de Paul Valéry.

 

Bibliographie
  • Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1895)
  • La Soirée avec monsieur Teste (1896)
  • Essai d’une conquête méthodique (1897)
  • La Jeune Parque (1917)
  • La Crise de l’esprit (1919)
  • Le Cimetière marin (1920)
  • Album de vers anciens (1920)
  • Charmes (1922)
  • Eupalinos ou l’Architecte (1921)
  • L’Âme et la danse (1923)
  • Variété I (1924)
  • Propos sur l’intelligence (1925)
  • Monsieur Teste (1926)
  • Variété II (1930)
  • Regards sur le monde actuel (1931)
  • Amphion (1931)
  • Pièces sur l’art (1931)
  • L’idée fixe ou Deux Hommes à la mer (1932)
  • Discours en l’honneur de Goethe (1932)
  • Sémiramis (1934)
  • Notion générale de l’art (1935)
  • Variété III (1936)
  • Les Merveilles de la mer, avec Abel Bonnard (1937)
  • Degas, danse, dessin (1938)
  • Discours aux chirurgiens (1938)
  • Variété IV (1938)
  • Mauvaises pensées et autres (1942)
  • Tel quel (1941, puis 1943) (Cahier B 1910 ; Moralités ; Littérature et Choses tues)
  • Dialogue de l’arbre (1943)
  • Variété V (1944)
Œuvres posthumes
  • Mon Faust (1946)
  • L’Ange (1947)
  • Histoires brisées (1950)
  • Lettres à quelques uns (1952) : Correspondance de Paul Valéry s’étageant tout au long de sa vie.
  • Vues (1948)
  • Œuvres I (1957)
  • Les Principes d’anarchie pure et appliquée (1984)
  • Corona et Coronilla (2008)
  • Lettres à Jean Voilier. Choix de lettres 1937-1945 (2014)
  • La totalité des Cahiers est consultable en fac-similé à la bibliothèque du Centre Georges-Pompidou de Paris. Réédition, Gallimard, 2009.

Articles connexes

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Cours de poétique: Le langage, la société, l'histoire (1940-1945) (2)Regards sur le monde actuel et autres essais

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