Stendhal : Le Rouge et le Noir (1830)

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Le Rouge et le Noir (1830) de Stendhal

Chronique du XIXe siècle

Présentation du roman

Le Rouge et le Noir, sous-titré Chronique du XIXe siècle, est la deuxième œuvre romanesque (après Armance) écrite par Henri Beyle, dit Stendhal, publié à Paris chez Levavasseur en 1830.

Le roman compte deux parties : la première retrace le parcours provincial de Julien Sorel, son entrée chez les Rênal, et la montée de ses ambitions au séminaire, et la seconde la vie du héros à Paris comme secrétaire de monsieur de La Mole et son déchirement entre ambitions et sentiments.

Résumé de Jean Prévost

AAprès trente ans de travail acharné, Stendhal est digne d’improviser ; il sait peindre d’un premier trait, d’un seul trait. Il a lentement créé cet instrument de prose rapide, qui est lui-même : son style le plus parfait est devenu sa voix naturelle. L’originalité n’est plus un but qu’il se propose : elle est en lui…

La revanche imaginaire, ce rêve de compensation qui succède à la douleur de l’échec et en marque la convalescence, est un des excitants les plus forts de l’imagination créatrice. C’est sous cet aspect de revanche imaginaire qu’il faut voir la transposition de Stendhal en Julien, la beauté de Julien, sa minceur. Les souvenirs directs gardent leur accent secret et déchirant parce qu’ils sont placés parmi les enthousiasmes de la revanche imaginaires.

De deux faits divers au procès d’une société

S’inspirant de « deux petits faits vrais » tout récents, Stendhal a romancé l’histoire d’un certain Antoine Berthet, fils d’un artisan pauvre, qui avait voulu se venger de sa condition, aigri de n’être pas « bien né », ainsi que celle d’Adrien Lafargue, jugé dans les Hautes-Pyrénées pour avoir tué son ancienne maîtresse pour infidélité. Les anecdotes sont devenues, comme l’indique le sous-titre du Rouge et le Noir, une « chronique de 1830 », mais aussi une œuvre de combat dans laquelle Stendhal fait le procès de la société monarchique et d’une politique fondée sur l’alliance étroite du clergé et de l’aristocratie sous la Restauration.

Autour du titre de l’œuvre

Portrait de Stendhal par Olof Johan Södermark

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L’œuvre avait d’abord un autre titre. Romain Colomb — le cousin de Stendhal, son exécuteur testamentaire et le témoin privilégié de son existence — raconte qu’il vit longtemps sur la table de Beyle un manuscrit intitulé Julien, et qu’un matin de mai 1830, au milieu d’une conversation, Stendhal, s’interrompant soudain, s’écria : « Si nous appelions mon roman le Rouge et le Noir ? » Cette nouvelle dénomination était-elle, suivant l’expression de Colomb, une concession à la mode d’alors ? Elle avait, en tout cas, quelque chose d’énigmatique et d’attirant.

Mais Stendhal ne voulait pas indiquer par là, comme on l’a cru souvent, les chances du jeu de la vie et les hasards de la fortune qui n’élève un homme que pour l’abaisser, et qui, selon le mot de l’auteur, porte Julien Sorel à une immense hauteur, pour le jeter dans l’abîme. Selon Stendhal lui-même, « le Rouge » signifiait que Julien eut été soldat, et « le Noir », qu’à l’époque où il vécut, il dut prendre la soutane. C’est ainsi que Stendhal nommait, « l’Amarante et le Noir » son roman de Lucien Leuwen (œuvre posthume et inachevée, parue en 1894 et 1926), parce que Leuwen a d’abord l’habit de lancier à passepoils amarante, puis l’habit de maître des requêtes.

Source du sujet de l’œuvre

Stendhal, Le Rouge et le Noir, Folio.

Stendhal a tiré de la Gazette des Tribunaux le sujet de son livre. En 1827 et en 1828, un procès criminel, le procès d’Antoine Berthet, fit beaucoup de bruit en Dauphiné.

Berthet, fils d’un maréchal-ferrant de Brangues (Isère), était un jeune homme pâle, mince, délicat, à la physionomie parlante, aux grands yeux noirs, à la mise soignée. Élevé par le curé de son village natal, qui lui enseigna le latin, il avait été précepteur des enfants de Mme M…

Congédié par le mari, il alla faire ses études au séminaire de Belley, puis à celui de Grenoble. Renvoyé de ce dernier établissement sans espoir de retour, banni de la présence de son père, il revient à Brangues chez sa sœur et adresse à Mme M… des lettres pleines de reproches et de menaces. Précepteur au château de C…, il est aimé de Mlle de C…, qui lui déclare sa passion de bouche et par écrit.

Chassé de nouveau, repoussé de tous les séminaires où il se présente, il entre chez un notaire de Morestel. Mais il a résolu de tuer Mme M… Le dimanche 22 juillet 1827, à l’église de Brangues, il tira deux coups de pistolet, l’un sur Mme M…, l’autre sur lui-même. Mme M…, grièvernent blessée, ne mourut pas ; Berthet reçut entre la mâchoire et le cou deux balles dont une seule put être extraite. Le procès du meurtrier commença le 15 décembre suivant à Grenoble. « Deux passions, dit-il au président, m’ont tourmenté pendant quatre ans, l’amour et la jalousie. »

Il ajoutait qu’il avait été l’amant de Mme M…, qu’une servante avait tout appris au mari ; que lorsqu’il partit, Mme M… lui avait juré dans sa chambre à coucher, devant l’image du Christ, qu’elle ne l’oublierait pas et n’aimerait jamais que lui, mais que, lorsqu’il revint, il eut la conviction qu’il était « remplacé de deux manières » par l’étudiant Jacquin.

À vrai dire, deux jours après l’arrêt, il fit appeler dans son cachot le président des assises et lui remit une rétractation autographe : il affirmait que Mme M… n’était pas coupable, et il priait sa victime « de pardonner à un jeune homme qu’avaient égaré des sentiments qu’elle n’avait jamais partagés. » Quoi qu’il en soit, il fut condamné à mort, et, le 23 février 1828, à onze heures du matin, exécuté sur la place d’armes de Grenoble, au milieu d’une foule immense composée surtout de femmes.

Cette cause célèbre avait d’autant plus ému le dauphinois Beyle, que Mme M… était parente éloignée d’un de ses amis d’enfance, M… conseiller à la cour de Grenoble, récemment élu député de l’Isère. Elle lui fournit la donnée et les principaux personnages de son roman.

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Composition de l’œuvre

Stendhal met la scène en Franche-Comté, il ne veut pas, dit-il, toucher à la vie privée ; il invente donc la petite ville de Verrières, et il place à Besançon, où il n’est jamais allé, l’évêque, le jury et la cour d’assises dont il a besoin. Mais les réminiscences de Grenoble abondent en son œuvre.

On a prétendu que Julien était le portrait du romancier, et lorsque Latouche l’interrogea sur ce point : « Julien, c’est moi », répondit Stendhal.

Mais il plaisantait. Colomb s’inscrit en faux contre cette opinion, et, dans une lettre de 1531, Stendhal protesta vivement, que s’il était « Julien » qui désire parvenir coûte que coûte, il aurait fait quatre visites par mois au Journal le Globe et fréquenté régulièrement certains salons, « Chez moi, ajoutait-il, le plaisir actuel l’emporte surtout. » On lit dans une note inédite de Colomb, « que M. Michel, Dauphinois, ancien capitaine dans la garde impériale, devenu directeur du dépôt de mendicité à Saint-Robert près de Grenoble est le type du personnage de Valenod… Le Napolitain di Fiore, ami de Stendhal, grand et beau, semblable au Jupiter Mansuetus condamné à mort en 1799, est l’ « Altamira » du roman. » (A. Chuquet, Stendhal-Beyle. Plon, 1902.)

Le Rouge et le Noir commencé sous la Restauration, ne fut achevé que quatre mois après la Révolution de Juillet 1830. Cela a pu nuire à son succès, car l’ouragan populaire avait renversé des choses et des idées que l’auteur bat en brèche. (Colomb)

Les Lettres inédiles à Mounier publiées par Corréard, les Souvenirs d’Égotisme, publiés par C. Stryienski, et l’ouvrage d’Auguste Cordier : Comment a vécu Stendhal ont révélé plusieurs épisodes de la vie de Stendhal, qu’il a fait revivre dans son roman. (A.P.)

Le volume (dont le manuscrit devait, par traité, être remis au libraire Levavasseur à la fin d’avril) parut réellement dans les dernières semaines de 1830 ; il est annoncé dans la Bibliographie de la France au 13 novembre, et Stendhal écrit à Madarne Ancelot, le 13 janvier 1831, « qu’il n’a su qu’il y a huit jours l’apparition du Rouge. » (Corréard, II, p.111, et A. Cordier, Comment a vécu Stendhal, p. 189.) – (A. Chuquet)

Le Rouge et le Noir a paru chez Levavasseur, en novembre 1830, daté de 1831. (C. Stryienski, Lettres inédites de Stendhal publiées à la suite des Souvenirs d’Égotisme, Charpentier, 1892, p. 296.)

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Orgueil et chute de Julien Sorel

Le Rouge et le Noir est le récit d’une ambition, celle d’un jeune homme, Julien Sorel, qui cherche à se hisser au-dessus de sa condition. Mais à peine est-t-il sur le point d’y parvenir que son orgueil précipite sa perte.

L’ascension d’un fils de charpentier

Fils d’un charpentier du Jura, Julien est plus doué pour les études que pour l’artisanat paternel. Placé comme précepteur chez Monsieur de Rênal, maire ultra et industriel de Verrières (Doubs), il s’éprend de la femme de celui-ci mais les bruits colportés dans le village l’obligent à partir. Après un bref passage par le séminaire de Besançon, Julien devient secrétaire du marquis de La Mole. Brûlant du désir de trouver sa place dans l’aristocratie qu’il méprise (il vénère Napoléon, l’aristocratie l’exècre) tout en la jalousant, Julien manœuvre pour faire tomber dans le piège de son ambition la fille du marquis, Mathilde, éperdument amoureuse de lui. Froid et calculateur, comme lui a appris à l’être la société de la Restauration, Julien parvient à ses fins : il est anobli puis nommé lieutenant de hussards. Il ne lui reste plus qu’à épouser Mathilde — pour laquelle toutefois il éprouve une réelle affection — pour voir se réaliser son vœu le plus cher : réussir.

« Un paysan qui s’est révolté contre la bassesse de sa fortune »

Mais une lettre de Madame de Rênal au marquis de La Mole l’avertissant des vrais buts de Julien vient tout briser. Celui-ci se rend à Verrières et fait feu sur son ancienne maîtresse, la blessant légèrement. Lors de son procès, au terme duquel il est condamné à mort, Julien s’en prend violemment à la société de classes qui l’a poussé à fuir sa condition. Se présentant aux jurés comme « un paysan qui s’est révolté contre la bassesse de sa fortune », il plaide coupable, coupable d’avoir eu « l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens riches appelle la société ».

Une écriture moderne

Le Rouge et le Noir vaut par la mise en valeur de la fonction narrative au sein du récit, régulièrement interrompu par les commentaires, digressions et diversions du narrateur, sortes de dialogues avec le lecteur qui viennent éclairer et souligner l’action d’un regard critique, ou d’un jugement ironique, voire léger et désinvolte. En incluant ainsi des parenthèses dans le récit, Stendhal invite le lecteur à la pose distanciée et le convie par ce fait à ne pas seulement suivre mais aussi à analyser pas à pas le cheminement psychologique de son personnage afin que soient intimement perçus et compris les ressorts de son orgueil et de sa conduite. Par ce procédé, Stendhal fonde la modernité de son écriture, et partant de son œuvre.

Extrait : Stendhal, Le Rouge et le Noir

Nous sommes dans les dernières pages du roman, au chapitre 51 (« Le jugement »). Condamné pour avoir tiré sur Mme de Rênal, son ancienne maîtresse, Julien Sorel est traduit en cour d’assises. Malgré le pardon de celle-ci et les tentatives de Mathilde de La Mole pour le sortir de prison, le sort en est jeté: Julien va mourir, ce que, du reste, il souhaite. Mais avant de quitter une société qui l’a poussé à commettre l’irréparable, il adresse un réquisitoire brillant et polémique contre les « bourgeois indignés » dont il méprise l’hypocrisie, garante de l’ordre établi.

Comme le président faisait son résumé, minuit sonna. Le président fut obligé de s’interrompre ; au milieu de l’anxiété universelle, le retentissement de la cloche de l’horloge remplissait la salle.
Voilà le dernier de mes jours qui commence, pensa Julien. Bientôt il se sentit enflammé par l’idée du devoir. Il avait dominé jusque-là son attendrissement, et gardé sa résolution de ne point parler ; mais quand le président des assises lui demanda s’il avait quelque chose à ajouter, il se leva. Il voyait devant lui les yeux de madame Derville qui, aux lumières, lui semblèrent bien brillants. Pleurerait-elle, par hasard ? pensa-t-il.

« Messieurs les jurés,
« L’horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort, me fait prendre la parole. Messieurs, je n’ai point l’honneur d’appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s’est révolté contre la bassesse de sa fortune.
« Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en affermissant sa voix. Je ne me fais point d’illusion, la mort m’attend : elle sera juste. J’ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Madame de Rênal avait été pour moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J’ai donc mérité la mort, messieurs les jurés. Mais quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s’arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens riches appelle la société.

« Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés… »
Pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton ; il dit tout ce qu’il avait sur le cœur ; l’avocat général, qui aspirait aux faveurs de l’aristocratie, bondissait sur son siège ; mais malgré le tour un peu abstrait que Julien avait donné à la discussion, toutes les femmes fondaient en larmes. Madame Derville elle-même avait son mouchoir sur ses yeux. Avant de finir, Julien revint à la préméditation, à son repentir, au respect, à l’adoration filiale et sans bornes que, dans les temps plus heureux, il avait pour madame de Rênal… Madame Derville jeta un cri et s’évanouit.

(Stendhal, Le Rouge et le Noir, Paris, Flammarion, coll. « J’ai lu », 1985)

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