La littérature française du XIXe siècle

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Histoire de la littérature française

Le XIXe siècle

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💡 La littérature française
La littérature française est l’ensemble des œuvres littéraires de langue française produites en France depuis le XIIe siècle, date à partir de laquelle se développe la littérature en langue vulgaire.
→ À lire : Qu’est-ce que la littérature ?Rubriques à consulter : Littérature française et francophones. – Histoires.

Présentation

Jusqu’à la Révolution de 1848, la littérature française est dominée par le romantisme, mouvement de pensée d’envergure européenne, qui touche à des domaines aussi variés que les arts, la littérature, la philosophie, l’histoire, la critique, etc. Même sans appartenir au mouvement romantique, la plupart des auteurs de cette période subissent son influence ; toute œuvre littéraire s’inscrit alors dans la continuité du romantisme ou, à l’instar du réalisme, en réaction contre lui.

Après les événements de 1789, en effet, et plus encore après la chute de Napoléon, toute une génération de jeunes gens se trouve contrainte d’abandonner ses rêves de changement politique et manifeste son dégoût de la société réactionnaire de la Restauration, puis de celle, médiocrement bourgeoise et étriquée, de la monarchie de Juillet et de la IIe République. La littérature romantique traduit le malaise de l’individu dans la société, son repli sur soi, sa mélancolie : célébration de l’individualité et de la liberté, célébration du sentiment et de la passion, engagement politique et tentation du repli sur la vie privée, identification du paysage à l’état d’âme, etc.

Vers 1850, le romantisme comme mouvement littéraire s’éteint, remis en cause par de nouvelles tendances esthétiques : le réalisme puis le naturalisme, d’une part, qui, en réaction contre son idéalisme et sa sentimentalité et nourris par les sciences sociales naissantes, assignent à la littérature l’étude de la réalité politique, économique, sociale du monde et, d’autre part, le courant poétique de la modernité, représenté notamment par Charles Baudelaire et Gérard de Nerval, par Arthur Rimbaud, et par le symbolisme.

Les deux dernières décennies du siècle sont marquées par ce qu’il est convenu d’appeler la « décadence ». Au même moment, des auteurs avant-gardistes, comme Alfred Jarry au théâtre et André Gide dans le genre romanesque, annoncent déjà le XXe siècle.

Il convient de retenir surtout que le XIXe siècle est celui de la consécration absolue, et jamais démentie depuis, du genre romanesque ; de façon plus générale, la production littéraire est influencée par les nouveaux moyens de diffusion (l’explosion de la presse populaire, qui publie de nombreux romans sous forme de feuilletons), par le développement de l’instruction publique et par l’apparition de la notion, légale et morale, de droit d’auteur.

→ À lire : Les courants littéraires du XIXe siècle. – Histoire de la France : la Révolution. – le XIXe siècle.

Période romantique

Préromantisme
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La fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle sont fortement marqués par la production des auteurs de l’émigration royaliste. En inventant le « mal du siècle », le plus notable d’entre eux, François-René de Chateaubriand, place son œuvre sous le signe du culte du moi, mais d’un moi souffrant d’être au monde, inaugurant ainsi en France, dans le prolongement des écrits rousseauistes, non le romantisme à proprement parler, mais la sensibilité romantique.

François-René de ChateaubriandDans le Génie du christianisme (1802), il propose le salut par la religion chrétienne et, en 1801, s’affirme comme romancier avec Atala, histoire d’un amour pur et fatal, montrant une image de la passion inséparable du sacrifice et de la mort. Les traits autobiographiques, partout décelables dans l’œuvre de Chateaubriand, mèneront au monument qui couronne sa vie : les Mémoires d’outre-tombe (1848-1850 pour la parution en feuilleton, 1849-1850, 1898 et 1948 pour la publication en volumes), fruit de quarante années de travail.

Le romantisme français est nettement précédé et influencé par les romantismes anglais et allemand. C’est Mme de Staël, un des plus grands esprits critiques de cette période, riche d’une culture européenne, qui introduit le romantisme allemand en France avec De l’Allemagne (1813), ouvrage qui fait connaître les grands romantiques allemands et définit le romantisme par opposition au classicisme. Mme de Staël témoigne d’une sensibilité « romantique » dans ses romans d’inspiration autobiographique, telles Delphine (1802) et Corinne ou l’Italie (1807), fines études psychologiques de l’amour-passion, et dans ses essais critiques, notamment De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800), où elle traite conjointement de politique et d’esthétique.

Parmi les auteurs proches de Mme de Staël, il faut citer Xavier de Maistre, auteur du Voyage autour de ma chambre (1795), Étienne Pivert de Senancour, qui connaît une célébrité tardive avec son roman Oberman (1804), et surtout Benjamin Constant, qui propose une analyse cruelle du mal d’aimer dans le récit autobiographique de sa liaison avec Mme de Staël, Adolphe (1806, publié en 1816).

→ À lire : L’autobiographie. – Analyser une autobiographie. – Les Mémoires.

Poésie

Le romantisme s’incarne de façon privilégiée dans la poésie, genre propice à l’épanchement du sujet. Le début du romantisme en France est d’ailleurs marqué par les Méditations poétiques (1820), d’Alphonse de Lamartine, chef-d’œuvre du lyrisme amoureux. Lamartine prolonge la même inspiration avec ses Harmonies poétiques et religieuses (1830) et son épopée en vers, Jocelyn (1836).

La poésie romantique est globalement dominée par l’expression d’un sujet solitaire, souffrant, incompris des hommes, et qui trouve refuge au sein de la nature, dont les paysages (exotiques on non) épousent subtilement les mouvements de son âme. Ainsi, Les Nuits (1835-1837) d’Alfred de Musset (également auteur des Poésies, 1830-1840) relatent la chronique d’un amour malheureux et les sursauts d’une âme douloureuse. D’une manière similaire, Alfred de Vigny, qui compose ses Poèmes antiques et modernes (1822-1841) dans un contexte politique et familial difficile, y traite, sur le mode pessimiste, de son incertitude morale ; dans un autre recueil, Les Destinées (posthume, 1864), où l’on trouve le célèbre poème « la Mort du loup », il reprend le thème du malheur individuel pour en faire une fatalité universelle.

Charles Baudelaire - Le Spleen de Paris (1929), une aquarelle d'Edith Follet (1899-1990).

D’autres poètes encore se situent dans cette lignée du dolorisme, notamment le Théophile Gautier de La Comédie de la mort (1838), recueil néanmoins frappant par son humour macabre, le Sainte-Beuve de Joseph Delorme (1829), mais aussi Maurice de Guérin et Aloysius Bertrand, qui s’illustrent dans le genre du poème en prose (le recueil Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand, publié en 1842, inspire notamment Baudelaire lorsqu’il compose Le Spleen de Paris).

Le romantisme est également représenté par quelques poétesses, au premier rang desquelles Marceline Desbordes-Valmore, admirée de Lamartine et de Baudelaire, et à qui l’on doit notamment les poèmes élégiaques des Pleurs (1833) et des Pauvres Fleurs (1839) ; mais il faut citer aussi Louise Colet (1810-1855), compagne de Musset puis de Gustave Flaubert et auteur notamment du Poème de la femme (1853-1856).

Le lyrisme hugolien, qui domine son siècle, est d’une nature sensiblement différente : si le ton confine à l’élégie dans des recueils comme Les Chants du crépuscule (1835), Les Rayons et les Ombres (1840) ou Les Contemplations (1856), il ne cesse jamais de se mêler de l’affirmation vigoureuse du pouvoir du verbe poétique et de la mission de révélation du poète. L’émotion, chez Victor Hugo, ne s’isole pas, non plus, de la volonté politique : elle est présente jusque dans les poèmes satiriques des Châtiments (1853) et dans le souffle épique de La Légende des siècles (1859-1883).

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Il convient de dire que la veine politique n’est pas négligeable dans la poésie romantique : nombre de ces écrivains jouent un rôle politique actif, comme Lamartine ou Hugo, rêvent de le faire, ou regrettent de ne l’avoir pas fait, comme Musset.

Théâtre

Dans le prolongement de l’essai de Stendhal, Racine et Shakespeare (1823-1825), c’est Victor Hugo qui, au théâtre, ouvre les hostilités avec la vieille garde du classicisme. Sa préface d’une pièce aujourd’hui réputée injouable, Cromwell (1827), est un véritable manifeste du drame romantique, genre qu’il invente en empruntant à la forme populaire du mélodrame, d’une part, et à Shakespeare, d’autre part, et en s’opposant aux canons classiques.

La révolution au théâtre, chez Hugo, consiste non seulement à disloquer le « vieil alexandrin » et la structure classique en cinq actes, à refuser la règle des trois unités (temps, lieu, action), à utiliser un lexique qui ne soit pas noble, mais aussi à peindre tous les aspects du réel, fussent-il pathétiques, burlesques ou contraires aux bonnes mœurs. Appliquant avec éclat ces principes, sa pièce Hernani (1830) provoque un mémorable scandale lors de sa représentation, scandale connu sous le nom de « bataille d’Hernani ». Hugo poursuit son travail dramaturgique avec notamment Lucrèce Borgia (1833) et surtout Ruy Blas (1838) ; l’échec de son drame Les Burgraves (1843) est généralement considéré comme marquant la fin du mouvement romantique en France.

Hernani, drame de Victor Hugo : défets de presse, 1830.

Hernani, drame de Victor Hugo : défet de presse, 1830.

L’autre grand nom du théâtre romantique est sans doute celui d’Alfred de Musset, enfant terrible du mouvement, qui commence par écrire des drames de tonalité ambiguë, entre tragédie et comédie, comme On ne badine pas avec l’amour (1834) ou Les Caprices de Marianne (1833), drames où l’apparente légèreté du badinage amoureux, révélant la solitude et l’incapacité à communiquer des personnages, débouche sur le désespoir ou la mort. Mûri par sa rupture avec George Sand, Musset donne ensuite un vrai drame poignant, Lorenzaccio (1834), proche du Hamlet de Shakespeare, et dont le héros éponyme, avatar pathétique de l’auteur lui-même et de la génération romantique tout entière, est confronté cruellement à l’échec définitif de son engagement politique.

Parmi les autres auteurs du théâtre romantique, citons Prosper Mérimée, avec son Théâtre de Clara Gazul (1825), et Alexandre Dumas, qui obtient un grand succès avec ses pièces historiques (Henri III et sa cour, 1829), alliant des amours romanesques à des intrigues politiques dans un cadre historique des plus pittoresques. Citons aussi le nom d’Alfred de Vigny qui, avec Chatterton (1835), montre le malheur du poète incompris et bafoué par une société matérialiste.

Roman

Le roman, genre par définition peu codifié, donc par nature susceptible de se prêter docilement à la fantaisie des auteurs, devient sans heurt un genre romantique par excellence ; sentimental, historique ou social, le genre entame son irrésistible ascension avec l’épanouissement du romantisme.

→ À lire : Le genre romanesque. – Les différents genres romanesques. – Analyser un roman. – Ressources sur le roman.

Roman sentimental

Le récit romantique est, dans bien des cas, le versant en prose d’un lyrisme qui se déploie par ailleurs dans la poésie : sur le plan thématique, on y retrouve en effet le même repli sur la vie intime, le même souci de traduire les sursauts de l’âme, la même préoccupation de poser le sujet dans son irréductible singularité, le même primat accordé à l’émotion et en particulier à l’amour.

L’un des ouvrages les plus célèbres de cette veine sentimentale reste la Confession d’un enfant du siècle, d’Alfred de Musset (1836), qui revêt une dimension presque emblématique tant il offre un parfait exemple de ce type de récit : matière largement autobiographique, itinéraire amoureux désenchanté d’un sujet qui, pour être solitaire et singulier, n’en est pas moins représentatif de sa génération.

George Sand, dans ses premiers romans inspirés de sa propre vie, s’inscrit également dans cette sensibilité ; elle y exalte l’amour en lutte contre une société bornée (Indiana, 1832 ; Valentine, 1832 ; Lélia, 1833 ; Mauprat, 1837). Le peintre et écrivain Eugène Fromentin donne lui aussi un chef-d’œuvre du récit sentimental avec Dominique (1863), histoire d’une passion impossible.

Roman historique et roman fantastique

L’autre aspect important du récit romantique est le roman historique. Le goût des romantiques pour le Moyen Âge et l’esthétique gothique est connu. On y distingue néanmoins deux grandes tendances : la tendance pittoresque, celle des romanciers qui ne cherchent, dans une image idéalisée ou romanesque du passé, qu’un cadre dépaysant à leurs intrigues, et la tendance sociale, plus réaliste et plus politique.

Alfred de Vigny vers l'âge de dix-sept ans en uniforme de sous-lieutenant de la Maison du roi, portrait attribué à François Joseph Kinson, Musée Carnavalet

Le roman historique est représenté notamment par le Cinq-Mars (1826) de Vigny qui, en présentant une image très idéalisée d’un personnage ayant réellement existé, provoque d’âpres discussions sur le respect de la vérité historique au sein du roman. Mérimée s’illustre dans ce registre avec sa Chronique du règne de Charles IX (1829), puis avec Carmen (1845), affichant l’ambition, non pas d’appréhender les grands faits d’un siècle et de donner un sens à l’histoire, mais de restituer la vie quotidienne et les mentalités d’une époque.

Tandis qu’Alexandre Dumas (Les Trois Mousquetaires, 1844 ; Le Comte de Monte-Cristo, 1844-1846) et Eugène Sue (Les Mystères de Paris, 1842-1843) profitent pleinement de la vogue du récit historique en produisant des romans-feuilletons à grand succès, Victor Hugo compose des romans historiques de plus en plus ambitieux, où le pittoresque, bien réel, est progressivement mis au service d’une réflexion sociale et politique : si Notre-Dame de Paris (1831) est encore marquée par l’influence de Walter Scott et le goût du spectaculaire et du dépaysement, Les Misérables (1862) et Quatrevingt-Treize (1874) sont des récits dominés par les préoccupations politiques et sociales de l’auteur, par sa réflexion sur la marche de l’histoire.

Le romantisme noir cherche, dans l’histoire, à satisfaire son goût du mystère, de l’occultisme, voire du satanisme ; particulièrement influencé par les œuvres allemandes et les romans gothiques (ou noirs) anglais, il donne des œuvres sombres, où le cadre gothique est davantage au service d’un univers fantastique que de la reconstitution d’une quelconque réalité historique. Petrus Borel, admiré plus tard des surréalistes, laisse des poèmes, mais surtout des contes (Contes immoraux, 1833) et des romans (Madame Putiphar, 1839) qui mettent en scène un univers onirique. Charles Nodier, chef de file des romantiques avant l’arrivée de Hugo, donne ses lettres de noblesse au conte fantastique (Smarra ou les Démons de la nuit, 1821). Gérard de Nerval, nourrissant son œuvre de sa culture hermétique comme de sa folie, construit des récits en prose poétique, dans une zone incertaine entre rêve et réalité, récits hantés par la mort des êtres chers et la nostalgie du bonheur perdu (Sylvie, 1853 ; Aurélia, 1855).

Visages du réalisme

La rupture entre le récit romantique et le roman réaliste n’est pas aussi tranchée dans les faits que l’histoire littéraire a tendance à le dire. Sous la bannière du réalisme, en effet, sont traditionnellement réunis des auteurs de sensibilités diverses, dont certains sont des romantiques repentis (Flaubert), des romantiques malgré eux (Balzac) ou des écrivains dont l’âme est romantique mais dont les procédés sont ceux du réalisme (Stendhal).

Certains écrivains revendiquent l’étiquette de réalisme (Balzac prétendant concurrencer l’état-civil), alors même qu’elle est tout à fait réductrice si l’on considère la complexité de leur œuvre (elle ne rend pas compte des aspects visionnaire, fantastique, sentimental, policier, etc., de l’œuvre de Balzac). D’autres, conscients du caractère réducteur du terme « réaliste », le refusent (Flaubert déplorant de passer pour le maître du réalisme).

Notion commode pour appréhender les grands romans du XIXe siècle, le terme de réalisme ne saurait rendre compte de la particularité des œuvres de ce temps.

→ À lire : Le Réalisme (XIXe siècle).

Romanciers « réalistes » de la première moitié du siècle
Stendhal

Stendhal, Le Rouge et le Noir, Folio.

Stendhal, par sa personnalité romanesque et solitaire, son goût des voyages et de l’Italie, son « égotisme », est romantique ; par bien des aspects, son œuvre aurait pu l’être : emprunt de thèmes à des chroniques de la Renaissance italienne, à des faits divers sentimentaux, mais surtout à la matière autobiographique, intrigues dotées de nombreux rebondissements, alliant thèmes amoureux et politiques, mise en scène de héros solitaires, héroïques ou ambitieux, dont la grandeur d’âme va à l’encontre des valeurs bourgeoises, primat accordé à l’amour-passion, etc. Pourtant, par son écriture, Stendhal se situe en marge du romantisme et même en marge de son époque ; lui qui prétend écrire pour la postérité tant il est sûr d’être trop moderne pour son temps se distingue du romantisme par son souci constant d’analyser les situations, les choses et les êtres. Si Stendhal est « réaliste », c’est parce qu’il développe un style ironique et lucide, refusant la complaisance et la naïveté qui caractérisent un certain romantisme. On lui doit d’ailleurs l’idée du roman « miroir du monde » : miroir révélant sans pitié, mais sur le mode souriant, la vérité des êtres et des sentiments, mais aussi miroir révélant les travers et les petitesses de la société (Le Rouge et le Noir, 1830 ; Vie de Henry Brulard, 1834-1836, édition posthume en 1890 ; La Chartreuse de Parme, 1839).

→ À lire : Stendhal : Le Rouge et le Noir (1830). – Stendhal : De la naissance de l’amour.

Balzac

Le « réalisme » d’Honoré de Balzac est tout différent de celui de Stendhal. Ses écrits ont pourtant, eux aussi, quelques traits qui tiennent du romantisme : intérêt pour le moi, emprunts à l’autobiographie, intérêt pour l’histoire, sens de la poésie peuvent le rapprocher des romantiques de 1830, mais il s’éloigne toutefois de l’esthétique romantique par sa volonté de se faire le « secrétaire de l’histoire » et d’expliquer la réalité historique et sociale d’une époque entière en la représentant dans le roman.

La Comédie humaine, fresque romanesque immense, influencée par les théories scientifiques (travaux de Buffon sur les espèces animales), met en scène plus de deux mille personnages, aux prises avec leurs passions, notamment celle de l’argent, désignée comme l’un des principaux facteurs du malheur de la société. Cette œuvre trouve son unité dans le système du retour des personnages d’un roman à un autre (première apparition de Rastignac, âgé, dans La Peau de chagrin en 1831, réapparition du même, en jeune arriviste, dans Le Père Goriot en 1835). Le retour des personnages, géniale trouvaille romanesque, confère non seulement une épaisseur supplémentaire au récit, mais lui donne l’apparence d’un tableau exhaustif, sinon objectif, de la société.

Roman réaliste et avancée des sciences naturelles et sociales

Le roman réaliste se nourrit naturellement de toutes les nouvelles sciences qui prennent pour objet le réel, celui de la nature ou de la société, comme l’anthropologie, la sociologie, les sciences politiques, l’économie, la psychosociologie.

La pensée politique de Lamennais, symbole d’un catholicisme social, est moins influente dans la littérature que celle d’Auguste Comte, qui annonce l’avènement de l’ère positiviste : désormais, la littérature ne cherche plus la vérité dans des principes religieux ou abstraits mais dans la causalité des faits, selon la méthode indiquée dans les Cours de philosophie positive (1830-1842) d’Auguste Comte. Après ce dernier, Frédéric Le Play jette les bases de la sociologie moderne. Dans le domaine de la grammaire et de la linguistique, les dictionnaires de Littré et de Larousse témoignent de la volonté d’éduquer les foules pour rendre la société meilleure. Ernest Renan, auteur de la Vie de Jésus (1864), ouvrage positiviste destiné à désacraliser la figure du Christ, clame son enthousiasme scientifique dans L’Avenir de la science (1848), publié en 1888, tandis que Proudhon contribue à répandre les idées socialistes et que Karl Marx, dans la lignée de Babeuf et de Blanqui, compose une œuvre de philosophie politique qui va changer la face du monde.

De nombreux romans dits « réalistes » s’inspirent des travaux menés dans les diverses sciences sociales, et certains véhiculent une pensée politique relevant du socialisme ou du marxisme. Les romans de Jules Vallès, par exemple, sont porteurs de revendications égalitaristes (L’Enfant, 1879 ; Le Bachelier, 1881 ; L’Insurgé, posthume, 1886).

Dans le même mouvement, le roman se nourrit aussi de l’histoire, qui acquiert alors un vrai statut scientifique. L’œuvre originale de Jules Michelet se situe précisément à la croisée des deux genres, histoire et roman (Histoire de France, 1833-1846 ; La Sorcière, 1862). Des hommes politiques produisent des essais d’histoire, parallèlement à leur carrière : c’est le cas de Louis Adolphe Thiers (Histoire de la Révolution française, 1823-1827 ; Waterloo, 1862) et de François Guizot, qui se sert de récits événementiels pour défendre ses thèses politiques (Histoire des origines du gouvernement représentatif, 1821-1822). Alexis de Tocqueville, qui se présente lui-même comme un disciple de Montesquieu, s’impose comme un véritable philosophe de l’histoire (De la démocratie en Amérique, 1835).

Cependant, la critique littéraire se constitue comme science et prend son essor avec Sainte-Beuve, dont la méthode, fondée sur l’étude de la biographie de l’auteur et sur l’histoire, sera plus tard très contestée. Sous l’influence du positivisme, Hippolyte Taine considère l’œuvre littéraire comme un produit sociologique et psychologique (Histoire de la littérature anglaise, 1864), tandis que Ferdinand Brunetière étudie l’évolution des genres littéraires sur le modèle de l’évolution des espèces décrit par Darwin (Études critiques sur l’histoire de la littérature française, 1880-1892) et que Gustave Lanson consacre la notion d’« histoire littéraire » en appliquant à l’évolution de la littérature les méthodes d’investigation réservées jusque-là à l’histoire (Manuel bibliographique de la littérature française, 1909-1912).

Roman réaliste de la seconde moitié du siècle
Un courant esthétique dominant

Le roman de la seconde moitié du XIXe siècle se place résolument sous la bannière réaliste, cependant que des auteurs comme Champfleury (Le Violon de faïence, 1862) tentent de théoriser les principes du « réalisme » et de le constituer en véritable mouvement littéraire. Au même titre que la peinture de Gustave Courbet, les vaudevilles d’Eugène Labiche ou les drames d’Alexandre Dumas fils, les romans réalistes ont surtout en commun d’être profondément marqués par le positivisme, et de donner à voir une certaine réalité historique, économique et sociale.

Les romans d’Edmond et de Jules de Goncourt sont les premiers, sans doute, à proposer des « études de cas » ; le plus connu de leurs récits, Germinie Lacerteux (1865), fruit de longues enquêtes, est salué par Zola ; décrivant l’aliénation progressive et irréversible d’une servante, ce texte marque notamment l’irruption de la classe ouvrière au rang des héros littéraires. Pourtant, les Goncourt n’adoptent pas un style propre à la réalité qu’ils prétendent décrire : c’est tout en se posant comme les représentants du « style artiste », élégant et raffiné, qu’ils prétendent voir le réel avec une rigueur scientifique.

Les conventions académiques qui entravent une part de la production réaliste, celle qui donne naissance, dans le pire des cas, à des récits misérabilistes et complaisants, sont dépassées par Flaubert et par Zola.

Flaubert, le « maître du réalisme »

Gustave Flaubert, Madame Bovary (Texte abrégé), Livre de Poche Jeunesse, 2012, 320 p.

Comme homme et comme romancier, Gustave Flaubert se trouve à la croisée de deux aspirations contradictoires : une tendance lyrique, héritée du romantisme, et une tendance réaliste, c’est-à-dire une obsession de dire le réel. Le réalisme de Flaubert se manifeste de diverses façons : recours à une importante documentation, goût prononcé pour la description (qui donne à voir le réel, qui est mimétique), refus des facilités du « romanesque » allant de pair avec l’usage d’une ironie féroce (à l’égard des rêveries littéraires d’Emma, des rêveries héroïques de Frédéric, etc.). Pourtant, il se distingue des autres romanciers réalistes par son souci du style : en effet, s’il veut comme eux « peindre le dessus et le dessous des choses », ce n’est pas au détriment du style, mais grâce à lui — le style étant, chez lui, ce qui rend possible l’art réaliste, puisqu’il est « à lui seul une manière absolue de voir les choses ».

Ses romans, s’ils rendent compte de la réalité historique et sociale d’une époque, le font non pas sous la forme d’un tableau embrassant tout un horizon, comme La Comédie humaine de Balzac, mais à travers l’itinéraire (en forme d’échec) de ses personnages. C’est notamment le cas dans Madame Bovary (1857) et dans L’Éducation sentimentale (1869).

→ À lire : Gustave Flaubert : Madame Bovary (1857).

Zola et le naturalisme

Le naturalisme, dont le principal représentant est Émile Zola, s’inscrit dans la lignée du réalisme : même recours à la documentation, même souci de décrire le monde ouvrier, même ambition scientifique, même prise en compte de l’incidence des facteurs sociaux et héréditaires sur le comportement humain.

Cependant, le naturalisme, tel que Zola le représente, va plus loin en faisant du roman le lieu même de l’expérimentation scientifique (Le Roman expérimental, 1880). Zola postule en effet que le corps social est régi par des lois identiques à celles qui gouvernent la nature et se donne pour objectif non seulement d’observer, mais d’expérimenter ces règles dans la fiction. Avec les Rougon-Macquart, contrairement à Balzac, il ne veut pas peindre toute une société dans son immense somme romanesque, mais seulement relater l’histoire d’une famille sous le second Empire, une famille dont les individus seraient marqués par la « race », d’une part (c’est-à-dire l’hérédité, telle que la décrit le docteur Lucas dans son Traité philosophique et physiologique de l’hérédité naturelle, 1847-1850), et par le « milieu », d’autre part.

Disciple de Flaubert, Guy de Maupassant est lui aussi un membre du groupe naturaliste (Boule-de-Suif est publié dans les Soirées de Médan, 1880). Si certains de ses contes et de ses romans sont marqués par un réalisme cruel (Une vie, 1883), il s’impose aussi comme un maître du fantastique (Le Horla, 1887).

→ À lire : Émile Zola : Germinal (1885).

Modernité, symbolisme et décadence

Le Parnasse

C’est paradoxalement Théophile Gautier qui, avec Émaux et Camées (1852), marque en poésie la rupture avec le romantisme. Accordant à la forme poétique une importance nouvelle, fût-ce au détriment du sentiment, il ouvre la voie au mouvement dit de « l’art pour l’art ». Représenté notamment par Leconte de Lisle, le mouvement du Parnasse reprend le mot d’ordre lancé par Gautier dans sa préface à Mademoiselle de Maupin (1835), proclamant le primat de la forme sur le contenu et célébrant le culte du travail poétique. Parmi les Parnassiens, citons Théodore de Banville (Les Stalactites, 1846 ; Odes funambulesques, 1857), José Maria de Heredia, à qui l’on doit les cent dix-huit sonnets des Trophées (1893) et François Coppée (Le Cahier rouge, 1874). En outre, Baudelaire, Verlaine et Mallarmé sont parnassiens à leurs débuts.

→ À lire : Le Parnasse (XIXe siècle).

Baudelaire et la modernité

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, France-Édition, non daté. In-8 Carré. Broché. Illustrations pleine page de L. Cartault. Préface de Henry Frichet.

Charles Baudelaire emprunte à Leconte de Lisle l’idée que « la moralité d’une œuvre, c’est sa beauté ». Critique d’art et critique littéraire clairvoyant, traducteur d’Edgar Poe, Baudelaire est le représentant de la modernité, cette conception d’un Beau de nature double, éternel et absolu d’une part, contemporain et éphémère d’autre part.

Mais Baudelaire est avant tout poète : avec son recueil Les Fleurs du mal, condamné pour immoralité lors de sa parution en 1857, et plus tard avec les poèmes en prose du Spleen de Paris (posthume 1869), il fait une synthèse magistrale entre le lyrisme romantique et le formalisme du Parnasse. Il reste aussi dans l’histoire littéraire comme le plus grand poète de l’ennui métaphysique, ce spleen contre lequel il ne trouve, pour lutter, que le pouvoir transfigurateur du verbe poétique… Son art poétique, le sonnet des « Correspondances », annonçant Rimbaud et sa théorie du Voyant, fait de la poésie le moyen de donner du sens, selon la loi de l’analogie universelle, c’est-à-dire de révéler les rapports cachés entre les différentes strates de la réalité. Précurseur des symbolistes, il sera admiré par les surréalistes.

→ À lire : Baudelaire : Les Fleurs du Mal. – Baudelaire : Le Spleen de Paris. – La poétique ou l’art poétique.

Rimbaud et Lautréamont

Dans la même perspective que Baudelaire, Arthur Rimbaud fait du poète un Voyant, un « alchimiste du verbe », conférant à la poésie un pouvoir magique, celui de révéler les réalités essentielles cachées au commun des mortels. Sur le plan formel, néanmoins, les écrits de Rimbaud sont plus audacieux que ceux de Baudelaire, puisqu’il affiche un mépris précoce et définitif pour les formes régulières et traditionnelles, comme l’alexandrin ou le sonnet. Après ses poèmes de jeunesse, dont le plus célèbre est « le Bateau ivre » (1871), Rimbaud s’oriente résolument vers des formes inédites en composant ses chefs-d’œuvre, Une saison en enfer (1873), qui est un adieu à l’expérience de la voyance, et Les Illuminations (publié en 1886), recueil qui marque l’apogée de la poésie rimbaldienne et qui sera, lui aussi, salué par les surréalistes pour sa richesse en images.

Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, est en quelque sorte le jumeau de Rimbaud par son itinéraire aussi brillant qu’éphémère en littérature et par la colère iconoclaste qui se dégage de ses écrits. Avec Les Chants de Maldoror (1869), provocante et ricanante célébration du Mal, il compose en fait une sorte d’œuvre au second degré, pastichant divers aspects de la tradition littéraire. Son style, qui privilégie absolument les images et s’affirme violemment « anti-littéraire », fait de lui l’une des références majeures des surréalistes.

Verlaine et Mallarmé

Contemporain et compagnon d’Arthur Rimbaud, Paul Verlaine reste dans l’histoire littéraire comme le poète de la musicalité. Grand amateur de vers impairs, assez inusités, il sait se libérer des contraintes stylistiques antérieures. Parfois précieuse sans être jamais mièvre, sa poésie, qui s’alimente pour une part à la tradition galante, est sensuelle et délicate, souvent mélancolique ; c’est une poésie de la suggestion, dont la forme est très maîtrisée et où le mot et la chose se confondent harmonieusement (Fêtes galantes, 1869 ; La Bonne Chanson, 1870 ; Romances sans paroles, 1874 ; Sagesse, 1880). Poète personnel, dont l’œuvre est irréductible à quelque mouvement que ce soit, Verlaine est pourtant reconnu par les symbolistes comme leur chef de file.

Stéphane Mallarmé, auteur notamment de Hérodiade (inachevé, 1871) et de L’Après-midi d’un faune (1876), est lui aussi considéré comme un maître par les symbolistes. Il pousse très loin son exigence d’absolu en voulant faire de la poésie une langue tout à fait neuve, au pouvoir d’incantation, où l’objet nommé disparaît (il en est même banni) au profit du mot qui le nomme : le poème est alors défini comme absence.

Symbolisme

C’est dans les années 1880 que s’impose vraiment le courant symboliste. Inauguré précisément en 1886, par un article de Jean Moréas, auteur notamment des Syrtes (1884), le symbolisme est moins un mouvement littéraire constitué qu’un courant de sensibilité, caractérisé par une certaine inquiétude métaphysique, par une croyance en l’existence d’un monde suprasensible et en un pouvoir révélateur de l’œuvre d’art, faisant ainsi du réel un univers de signes à déchiffrer. Les symbolistes accordent en outre une grande importance au travail poétique et font de l’harmonie entre le fond et la forme la valeur première de toute création. Sur le plan esthétique, ils s’opposent fortement aux courants réaliste et naturaliste.

Parmi les plus grands représentants du symbolisme, il faut citer Joris-Karl Huysmans, transfuge du naturalisme qui, après sa conversion, évolue vers un mysticisme teinté de satanisme, inspiré en partie par l’œuvre de Jules Barbey d’Aurevilly (Là-bas, 1891). Son roman À rebours (1884), dont le héros est un dandy incarnant l’éternelle insatisfaction de vivre, ouvre l’ère de la « décadence ». Citons aussi Villiers de L’Isle-Adam, écrivain mystique, adepte de l’occultisme et inspiré par la cabale, à qui l’on doit notamment un drame, Axël (1885), et des récits marquant une préférence pour les thèmes fantastiques (Contes cruels, 1883 ; L’Ève future, 1886). Outre les précurseurs, George Rodenbach et Barbey d’Aurevilly, citons, dans la mouvance symboliste, l’inventeur fantaisiste Charles Cros, le critique idéaliste Léon Bloy, le poète Jules Laforgue, Remy de Gourmont, qui se fait l’historien du mouvement, le poète belge Émile Verhaeren et le dramaturge belge Maurice Maeterlinck, qui domine le théâtre symboliste avec notamment la pièce Pelléas et Mélisande (1892).

Diversité de la littérature de la fin du siècle

Dominée par le conflit entre le réalisme, d’inspiration positiviste, et le symbolisme, nourri par une certaine spiritualité (religion, occultisme ou spiritisme), la littérature de la fin du siècle est marquée du sceau de la « décadence ». L’esprit « décadent », qui se dessine en cette fin du siècle, est évoqué notamment dans un essai de Paul Bourget sur Baudelaire, Taine, Renan et Stendhal, où figure en quelque sorte une définition de la « névrose » du temps.

La « décadence » est illustrée non seulement par les symbolistes, mais aussi par des auteurs inclassables comme Tristan Corbière ou Alfred Jarry, qui se nourrit du symbolisme mais compose une œuvre irréductiblement personnelle, alliant grotesque et cruauté, notamment avec le cycle d’Ubu, parodiant le théâtre historique, et annonçant la révolution dramaturgique du XXe siècle.

Dans cet esprit « décadent », dit aussi « fin de siècle », s’inscrivent aussi bien le versant onirique de l’œuvre de Guy de Maupassant que l’érotisme d’Octave Mirbeau, ou encore le pessimisme ironique de Jules Renard : tous ces écrits, en effet, ont en commun de manifester un net éloignement par rapport à l’esthétique naturaliste et sont porteurs d’une certaine angoisse métaphysique, allant de pair avec une interrogation sur les valeurs.

À partir des années 1880, les différentes réactions à l’héritage positiviste sont portées par des débats houleux où s’affirment, de façon générale, des idées nationalistes et droitières, représentées par les voix de Joseph Arthur de Gobineau, puis de Maurice Barrès et de Charles Maurras, dont le nationalisme est exacerbé par la perte de l’Alsace-Lorraine.

Les dix dernières années du siècle voient apparaître en outre une nouvelle génération d’auteurs, qui va dominer le XXe siècle, notamment André Gide, Paul Valéry, Romain Rolland, Charles Péguy et Paul Claudel.

→ À lire : Le dandysme et le décadentisme (XIXe siècle).

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