Alain Robbe-Grillet

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Auteurs français

Alain Robbe-Grillet

1922 – 2008

L’écrivain doit accepter avec orgueil de porter sa propre date, sachant qu’il n’y a pas de chef-d’oeuvre dans l’éternité, mais seulement des œuvres dans l’histoire.

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(Alain-Robbe Grillet, Pour un nouveau roman, 1963)

Présentation

Photo d'Alain-Robbe-GrilletAlain Robbe-Grillet (1922 – 2008) est un romancier, scénariste et réalisateur français. Né le 18 août 1922 à Brest et mort le 18 février 2008 à Caen, Alain Robbe-Grillet est ingénieur agronome de formation avant de devenir romancier et théoricien du Nouveau Roman.

À ce titre, il séjourne un certain temps dans les anciennes colonies françaises avant de se tourner vers la littérature.

Il publie Les Gommes en 1953, Le Voyeur en 1955, qui obtient le Prix des Critiques, La Jalousie en 1957 et Le Labyrinthe en 1959. En 1960, dans une étroite et riche collaboration avec le cinéaste Alain Resnais, il fait le découpage et écrit les dialogues du film L’Année dernière à Marienbad, découpage et dialogues qui paraîtront sous la forme d’un « Ciné-Roman »  en 1961.

Il est considéré avec Nathalie Sarraute comme le chef de file du Nouveau Roman. Son épouse est la romancière Catherine Robbe-Grillet, dont le nom de plume est Jean de Berg.

Élu à l’Académie française au 32e fauteuil, succédant à Maurice Rheims, le 25 mars 2004, il n’a jamais prononcé son discours de réception, refusant le port de l’habit vert et une tradition qu’il considérait comme dépassée, provoquant ainsi l’impatience des autres immortels. De plus, comme l’a précisé sa femme (On n’est pas couché du 17/11/2012), il refusait que son discours de réception soit approuvé à l’avance par un comité d’académiciens. Sa mort ayant eu lieu avant que le problème ne trouve de solution, il n’a jamais siégé à l’Académie française.

Le théoricien

Le monde n’est ni signifiant, ni absurde. Il est tout simplement.

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Tel est le postulat sur lequel Robbe-Grillet fonde sa conception du roman. C’est donc à l’aspect des réalités extérieures qu’il s’attache. Il dépeint les objets, leur disposition, leurs contours. De même, les gestes, le comportement des personnages sont dégagés de tout ce qui pourrait laisser transparaître quoi que ce soit de leurs états d’âme. Ainsi, dans La Jalousie, la femme que nous voyons, que nous entendons brosser sa chevelure, ne nous donne que le spectacle de sa parfaite technique. Pourtant, il ne saurait s’agir d’une simple et pure description. Le spectacle s’organise selon une certaine perspective et la manière dont s’associent les détails, le caractère obsédant de certains d’entre eux, sont le fait d’un observateur qui trahit par là quelque chose de lui-même. À partir de la vision d’un être, de l’orientation qu’il lui donne, nous remontons à ses sentiments. Au sein de la description apparaît l’élément romanesque.

Des romans de Robbe-Grillet, on a dit qu’ils étaient des illustrations de ses théories et par là avant tout de savants exercices. C’est, en tout cas, déjà reconnaître sa parfaite maîtrise. Le mérite ne paraît pas mince, surtout si l’on songe à ce que suggère, sans que leur auteur s’y applique jamais, l’atmosphère de ces romans : celle d’un univers impénétrable, dont l’écrivain, appliqué à ne pas sortir de son propos, sait dominer l’angoisse, par un parti pris de froide lucidité.

Vers le Nouveau Roman

Le premier roman de Robbe-Grillet, Un régicide, refusé par Gallimard, ne sera publié qu’en 1979. Les Gommes, publié en 1953, le fait connaître, et plus encore son roman Le Voyeur, récompensé par le prix des Critiques en 1955. Incompris de la critique classique, ce texte est défendu avec ferveur par des critiques modernes, tels que Maurice Blanchot et Roland Barthes, qui y voient le prototype d’une nouvelle conception du roman.

En 1957 paraît La Jalousie, suivi de Dans le labyrinthe en 1959. Robbe-Grillet apparaît bientôt comme le chef de file d’un nouveau mouvement littéraire, appelé « Nouveau Roman », lequel compte également dans ses rangs Michel Butor, Claude Simon, Nathalie Sarraute ou encore Robert Pinget. Ces écrivains ne constitueront jamais à proprement parler une école, cependant ils prennent une distance à l’égard du roman traditionnel, distance qui les rassemble, un peu malgré eux, autour de ce Nouveau Roman.

Robbe-Grillet expose ses théories dans Pour un nouveau roman (1963), œuvre qui réunit l’ensemble des articles qu’il a écrits sur le sujet depuis 1955. Il y remet en cause les structures narratives traditionnelles du roman que constituent l’intrigue linéaire, les personnages et leur psychologie. Il opère ainsi une « révolution du regard » en cherchant à atteindre à une sorte d’enregistrement du monde par l’écriture, à une neutralité psychologique s’offrant au déchiffrement du lecteur dérouté. Il substitue à la notion de style littéraire celle d’écriture, plus neutre, dépouillée, se rapprochant d’une sorte de « degré zéro de l’écriture » (Barthes). Le renouveau littéraire de Robbe-Grillet ne doit pas toutefois être considéré comme une rupture sans prémices : son écriture, qui prend naissance sur un terrain préparé de longue date par Flaubert, trouve aussi sa source dans de nombreux champs littéraires, qui vont de Sartre à Joyce, en passant par Kafka.

Une nouvelle ère ?

Avec La Maison de rendez-vous (1965), Projet pour une révolution à New York (1970), Topologie d’une cité fantôme (1976) et Souvenirs du Triangle d’or (1978), la littérature de Robbe-Grillet évolue et se teinte d’érotisme et de violence.

Robbe-Grillet construit aussi en parallèle une œuvre cinématographique exigeante, tout d’abord avec le scénario du film d’Alain Resnais, l’Année dernière à Marienbad (1961), puis avec ses propres réalisations, telles que l’Immortelle (1962), Trans-Europ-Express (1966), Glissements progressifs du plaisir (1973), la Belle Captive (1983) ou encore Un bruit qui rend fou (1995). Les films comme les livres sont déstructurés ; Robbe-Grillet y joue avec les codes, pour mieux s’en affranchir et égarer le spectateur. Avec la série autobiographique constituée par Le Miroir qui revient (1984), Angélique ou l’Enchantement (1988) et Les Derniers Jours de Corinthe (1994), l’auteur semble renoncer à l’objectivité prônée par le Nouveau Roman.

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Robbe-Grillet a évolué, il est vrai, mais il ne s’agit pas d’un revirement total : l’objectivité de ses romans est trop souvent opposée à la notion de subjectivité ; or, les récits de l’auteur sont principalement tournés vers l’objet, un objet sur lequel se projette une conscience, telle que l’énonce la phénoménologie de Husserl. De ce fait, l’aveu d’une relative subjectivité n’apparaît pas totalement en contradiction avec le contenu de ses premiers textes.

Quelques œuvres
La Jalousie (1957)

Le narrateur de ce récit, un mari qui surveille sa femme, est au centre de l’intrigue. Il reste d’ailleurs en scène de la première phrase à la dernière, quelquefois légèrement à l’écart d’un côté ou de l’autre, mais toujours au premier plan. Souvent même il s’y trouve seul. Ce personnage n’a pas de nom, pas de visage. Il est un vide au cœur du monde, un creux au milieu des objets. Mais, comme toute ligne part de lui ou s’y termine, ce creux finit par être lui-même aussi concret, aussi solide, sinon plus. L’autre point de résistance, c’est la femme du narrateur, A…, celle dont les yeux font se détourner le regard. Elle constitue l’autre pôle de l’aimant.

La jalousie est une sorte de contrevent qui permet de regarder au dehors et, pour certaines inclinaisons, du dehors vers l’intérieur ; mais, lorsque les lames sont closes, on ne voit plus rien, dans aucun sens. La jalousie est une passion pour qui rien jamais ne s’efface : chaque vision, même la plus innocente, y demeure inscrite une fois pour toutes.

Les Gommes (1953)

Les Gommes, premier roman d’Alain Robbe-Grillet,  a été publié aux Éditions de Minuit en 1953 et a reçu le prix Fénéon en 1954. Il est, comme La Jalousie (« double » n°80), l’un des livres emblématiques du Nouveau Roman.

Il s’agit d’un événement précis, concret, essentiel : la mort d’un homme. C’est un événement à caractère policier, c’est-à-dire qu’il y a un assassin, un détective, une victime. En un sens, leurs rôles sont même respectés : l’assassin tire sur la victime, le détective résout la question, la victime meurt. Mais les relations qui les lient ne sont pas aussi simples qu’une fois le dernier chapitre terminé. Car le livre est justement le récit des vingt-quatre heures qui s’écoulent entre ce coup de pistolet et cette mort, le temps que la balle a mis pour parcourir trois ou quatre mètres, vingt-quatre heures « en trop ».

Pour un nouveau roman (1963)

Ces textes ne constituent en rien une théorie du roman; ils tentent seulement de dégager quelques lignes d’évolution qui me paraissent capitales dans la littérature contemporaine. Si j’emploie volontiers, dans bien des pages, le terme de Nouveau Roman, ce n’est pas pour désigner une école, ni même un groupe défini et constitué d’écrivains qui travailleraient dans le même sens ; il n’y a là qu’une appellation commode englobant tous ceux qui cherchent de nouvelles formes romanesques, capables d’exprimer (ou de créer) de nouvelles relations entre l’homme et le monde, tous ceux qui sont décidés à inventer le roman, c’est-à-dire à inventer l’homme. Ils savent, ceux-là, que la répétition systématique des formes du passé est non seulement absurde et vaine, mais qu’elle peut même devenir nuisible : en nous fermant les yeux sur notre situation réelle dans le monde présent, elle nous empêche en fin de compte de construire le monde et l’homme de demain

Alain Robbe-Grillet

Le Voyeur (1955)

Dans ce roman policier, il n’y a ni police, ni intrigue policière. Peut-être y a-t-il un crime, mais il n’est sans doute pas le crime d’apparence dont le livre cherche, avec trop de préméditation, à nous convaincre. Mais il y a une inconnue. Durant les heures que Mathias, le voyageur de commerce, a passées dans le petit pays de son enfance pour y vendre des bracelets-montres, s’est glissé un temps mort qui ne peut être récupéré. De ce vide, nous ne pouvons nous approcher directement ; nous ne pouvons même pas le situer à un moment du temps commun, mais de même que, dans la tradition du roman policier, le crime nous conduit au criminel par un labyrinthe passionnant de soupçons et d’indices, de même, ici, nous soupçonnons peu à peu la description minutieusement objective, où tout est recensé, exprimé et révélé, d’avoir pour centre une lacune qui est comme l’origine et la source de cette extrême clarté par laquelle nous voyons tout, sauf elle-même. Ce point obscur qui nous permet de voir, voilà le but de la recherche et le lieu, l’enjeu de l’intrigue. Comment y sommes-nous conduits ? Moins par le fil d’une anecdote que par un art raffiné d’images. La scène à laquelle nous n’assistons pas n’est rien d’autre qu’une image centrale qui se construit peu à peu par une superposition subtile de détails, figures, de souvenirs, par la métamorphose et l’infléchissement insensible d’un dessin ou d’un schème autour duquel tout ce que voit le voyageur s’organise et s’anime.

📽 10 citations choisies d’Alain Robbe-Grillet
  • L’écrivain doit accepter avec orgueil de porter sa propre date, sachant qu’il n’y a pas de chef-d’oeuvre dans l’éternité, mais seulement des œuvres dans l’histoire. (Pour un nouveau roman)
  • Rien c’est n’importe quoi mais ce n’est pas rien pour autant. (Colloque de Cerisy)
  • Le vrai roman, c’est celui dont la signification dépasse l’anecdote, la transcende, fonde une vérité humaine profonde, une morale ou une métaphysique. (Pour un nouveau roman)
  • Le seul engagement possible pour l’écrivain c’est la littérature. (Pour un Nouveau Roman)
  • Le biais de la fiction est en fin de compte plus personnel que la prétendue sincérité de l’aveu. (Le Miroir qui revient)
  • La liberté ne peut pas être une institution. La liberté n’existe que dans le mouvement de conquête de la liberté. (Le Voyageur)
  • L’esprit échappe à la succession des heures et des jours ; il crée lui-même son propre temps et aussi sa liberté. (Le Voyageur)
  • Une explication, quelle qu’elle soit, ne peut être qu’en trop face à la présence des choses. (Pour un nouveau roman)
Bibliographie
Romans
  • Un régicide (1949)
  • Les Gommes (1953, Prix Fénéon)
  • Le Voyeur (1955) reçoit le Prix des Critiques
  • La Jalousie (1957)
  • Dans le labyrinthe (1959)
  • La Maison de rendez-vous (1965)
  • Projet pour une révolution à New York (1970)
  • Topologie d’une cité fantôme (1976)
  • Souvenirs du triangle d’or (1978)
  • Un régicide (écrit en 1949, publié en 19786)
  • Djinn (1981)
  • La Reprise (2001)
Nouvelle
  • Instantanés (1962)
Ciné-romans
  • L’Année dernière à Marienbad, éditions de Minuit (1961)
  • L’Immortelle, éditions de Minuit (1963)
  • Glissements progressifs du plaisir, éditions de Minuit (1974)
  • C’est Gradiva qui vous appelle, éditions de Minuit (2002)
Conte pour adultes
  • Un roman sentimental (2007)
Fiction à caractère autobiographique
  • Le Miroir qui revient (1985)
  • Angélique ou l’Enchantement (1988)
  • Les Derniers Jours de Corinthe (1994)
Essais et divers
  • Pour un Nouveau Roman (1963)
  • Le Voyageur, essais et entretiens (2001)
  • Entretiens avec Alain Robbe-Grillet, par Benoît Peeters, DVD vidéo, Les Impressions Nouvelles, (2001)
  • Préface à une vie d’écrivain (2005)
  • La Forteresse, scénario pour Michelangelo Antonioni, (2009)
  • Alain & Catherine Robbe-Grillet, Correspondances, 1951-1990, Fayard, 2012

Articles connexes

Suggestion de livres


Le Voyeur

La Jalousie

Les Gommes

Pour un nouveau roman

Djinn : Un trou rouge
entre les pavés disjoints

La Reprise

La maison de
rendez-vous

La Belle Captive (DVD)

Glissements progressifs
du plaisir (DVD)

L’immortelle (DVD)

Jeune mariée :
Journal, 1957-1962

Angélique ou
l’Enchantement
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