Abbé Prévost : Manon Lescaut (1731)

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Abbé Prévost

Manon Lescaut (1731)

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👤 L’abbé Antoine François Prévost d’Exiles, dit l’abbé Prévost, est né le 1er avril 1697 à Hesdin (France) et décédé le 25 novembre 1763 à Courteuil. Il est un romancier, historien, journaliste, traducteur et homme d’Église français… [Lire la suite de sa biographie]

Présentation

Manon Lescaut est un roman de l’abbé Prévost, paru en 1731 sous le titre complet d’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, septième et dernier tome d’un ensemble romanesque plus vaste, les Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde (1728-1731).

Portrait d’Antoine-François Prévost par Georg Friedrich Schmidt, (1745)

L’action se situe pendant la Régence, et le récit, selon la technique du retour en arrière, est fait par des Grieux au marquis de Renoncourt. Il lui raconte ses amours contrariées avec une charmante roturière, Manon Lescaut, qu’on destine au couvent. Ils s’échappent tous deux à Paris, mais Manon le trompe au bout d’un mois. Des Grieux retourne alors au séminaire et y devient abbé. Mais le fils de famille renoue vite avec sa belle courtisane venue le retrouver. Après une succession d’événements malheureux qui entraînent des Grieux toujours un peu plus loin dans la débauche — Manon ne peut vivre sans argent et des Grieux sans Manon —, ils sont emprisonnés à la suite d’une escroquerie. Libéré, des Grieux suit Manon qu’on déporte en Louisiane. Sur place, après quelques mois de bonheur, ils sont contraints de fuir, et Manon, transformée par l’amour que des Grieux lui porte, meurt d’épuisement, dans une scène qui flatte ainsi le goût de l’époque pour le pathétique.

Partiellement autobiographique, ce roman vaut à Prévost la réputation d’un auteur scandaleux, bien qu’il l’ait présenté comme « un traité de morale réduit agréablement en exercice ». C’est toute l’ambiguïté de cet ouvrage, certes audacieux, mais qui intègre l’analyse fine du moraliste. Car ce roman, présenté parfois comme libertin, est surtout un roman du sentiment, qui mêle aussi la notion de tragique de la condition humaine soumise à une force supérieure (ici la passion amoureuse). C’est pourquoi, conciliant conventions romanesques et ancrage profondément réaliste, ce récit a tant plu, au point de transformer en mythe l’amour d’« un fripon pour une catin » (Montesquieu).

Extrait : Manon Lescaut (première partie)

Après quelques jours d’une folle passion vécue avec Manon, le jeune des Grieux est brutalement ramené chez son père. C’est Manon, semble-t-il, qui l’aurait trahi pour lui préférer un autre homme. Accablé de chagrin, le jeune homme retourne au séminaire pour tenter d’oublier son infortune dans l’étude. À peine revoit-il un jour Manon que la passion, jamais éteinte, l’étreint de nouveau pour l’enchaîner à sa maîtresse.

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[…] J’avais passé près d’un an à Paris, sans m’informer des affaires de Manon. Il m’en avait d’abord coûté beaucoup pour me faire cette violence ; mais les conseils toujours présents de Tiberge et mes propres réflexions m’avaient fait obtenir la victoire. Les derniers mois s’étaient écoulés si tranquillement que je me croyais sur le point d’oublier éternellement cette charmante et perfide créature. Le temps arriva auquel je devais soutenir un exercice public dans l’Ecole de Théologie. Je fis prier plusieurs personnes de considération de m’honorer de leur présence. Mon nom fut ainsi répandu dans tous les quartiers de Paris ; il alla jusqu’aux oreilles de mon infidèle. Elle ne le reconnut pas avec certitude sous le titre d’abbé ; mais un reste de curiosité, ou peut-être quelque repentir de m’avoir trahi (je n’ai jamais pu démêler lequel de ces deux sentiments) lui fit prendre intérêt à un nom si semblable au mien ; elle vint en Sorbonne avec quelques autres dames. Elle fut présente à mon exercice, et sans doute qu’elle eut peu de peine à me remettre.

Je n’eus pas la moindre connaissance de cette visite. On sait qu’il y a, dans ces lieux, des cabinets particuliers pour les dames, où elles sont cachées derrière une jalousie. Je retournai à Saint-Sulpice, couvert de gloire et chargé de compliments.

Il était six heures du soir. On vint m’avertir, un moment après mon retour, qu’une dame demandait à me voir. J’allai au parloir sur-le-champ. Dieux ! quelle apparition surprenante ! j’y trouvai Manon. C’était elle, mais plus aimable et plus brillante que je ne l’avais jamais vue. Elle était dans sa dix-huitième année. Ses charmes surpassaient tout ce qu’on peut décrire. C’était un air si fin, si doux, si engageant ! l’air de l’Amour même. Toute sa figure me parut un enchantement.

Je demeurai interdit à sa vue, et, ne pouvant conjecturer quel était le dessein de cette visite, j’attendais, les yeux baissés et avec tremblement, qu’elle s’expliquât. Son embarras fut pendant quelque temps égal au mien, mais, voyant que mon silence continuait, elle mit la main devant ses yeux, pour cacher quelques larmes. Elle me dit, d’un ton timide, qu’elle confessait que son infidélité méritait ma haine ; mais que, s’il était vrai que j’eusse jamais eu quelque tendresse pour elle, il y avait eu, aussi, bien de la dureté à laisser passer deux ans sans prendre soin de m’informer de son sort et qu’il y en avait beaucoup encore à la voir dans l’état où elle était en ma présence, sans lui dire une parole. Le désordre de mon âme, en l’écoutant, ne saurait être exprimé.

Elle s’assit. Je demeurai debout, le corps à demi tourné, n’osant l’envisager directement. Je commençai plusieurs fois une réponse, que je n’eus pas la force d’achever. Enfin, je fis un effort pour m’écrier douloureusement :

— Perfide Manon ! Ah ! perfide ! perfide !

Elle me répéta, en pleurant à chaudes larmes, qu’elle ne prétendait point justifier sa perfidie.

— Que prétendez-vous donc ? m’écriai-je encore.
— Je prétends mourir, répondit-elle, si vous ne me rendez votre cœur, sans lequel il est impossible que je vive.
— Demande donc ma vie, infidèle ! repris-je en versant moi-même des pleurs, que je m’efforçai en vain de retenir. Demande ma vie, qui est l’unique chose qui me reste à te sacrifier ; car mon cœur n’a jamais cessé d’être à toi. […]

(Abbé Prévost, Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, 1731)

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