Jean Anouilh : Antigone (1944)

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Jean Anouilh

Antigone (1944)

L’Antigone de Sophocle, lue et relue et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges. Je l’ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre.

(Jean Anouilh)

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Photo de Jean Anouilh, prise par Marcel Thomas (1909-2000)

👤 Jean Anouilh
Jean Anouilh
, né le 23 juin 1910 à Bordeaux (Gironde) et mort le 3 octobre 1987 à Lausanne (Suisse), est auteur dramatique et metteur en scène français, dont le répertoire éclectique mêle le classicisme des sentiments à la nouveauté de la forme théâtrale. [Lire la suite de sa biographie]

Présentation

Antigone est une tragédie en un acte et en prose de Jean Anouilh écrite sous l’Occupation, créée en février 1944 à Paris et publiée en 1946. Inspirée de la pièce homonyme de Sophocle, elle reste son plus célèbre ouvrage.

Personnages
Jean Anouilh, Antigone, La Table Ronde, 2016, 128 p.

Jean Anouilh, Antigone, La Table Ronde, 2016, 128 p.

Personnages principaux

  • Antigone : fille d’Œdipe, sœur d’Étéocle, Polynice et Ismène, cette jeune fille est l’héroïne de l’histoire qui porte d’ailleurs son nom. Elle est décrite comme « pas assez coquette » par son entourage. Mais cela ne l’empêche pas d’avoir une volonté de fer (ce qui la poussera à affronter son oncle Créon en essayant d’enterrer son frère).
  • Créon : frère de Jocaste, légitime roi de Thèbes après la mort des deux princes ennemis, Créon est un souverain âgé, réfléchi et courageux. Il nous est décrit comme étant seul ( « Créon est seul »), se consacrant ainsi entièrement à son règne dont il assume les sacrifices nécessaires comme la punition de Polynice ou l’exécution d’Antigone.
  • Ismène : sœur d’Antigone qu’elle aime beaucoup ( « Si vous la faites mourir, il faudra me faire mourir avec elle ! »), mais qui n’est pas très courageuse avant la fin de l’histoire. Néanmoins, elle reste une belle jeune fille « coquette » et raisonnable (« J’ai raison plus souvent que toi ! »).
  • Hémon : fils de Créon et d’Eurydice, fiancé d’Antigone à laquelle il est très fidèle (« Oui Antigone, je t’aime comme une femme ») ; fidélité qui le conduira au suicide lorsque cette dernière meurt sur les ordres de Créon. Ce fait le poussera également à mépriser son père, qu’il admirait beaucoup auparavant.
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Personnages secondaires

  • La Nourrice : vieille dame également appelée « Nounou » par les filles dont elle s’occupe.
  • Le Prologue/Chœur : issue des pièces de théâtre de la Grèce antique, cette « entité » intervient au début du texte pour nous narrer le contexte de la pièce et nous présenter les personnages qui y évoluent. Il réapparaît par la suite tout au long de la pièce pour faire avancer le récit ou amener un personnage à la réflexion.
  • Eurydice : femme de Créon qui passe ses journées à tricoter des habits pour les pauvres de Thèbes. Ces derniers « auront froid » à la fin de la pièce car elle se tranche la gorge en apprenant la mort de son fils.
  • Les trois gardes : chargés de surveiller le cadavre de Polynice.
  • Le page du roi.
  • Le messager.
Une intrigue fidèle à la légende

Le prologue rappelle le combat des deux fils d’Œdipe et l’interdiction par Créon de rendre les honneurs funèbres à Polynice, « le vaurien, le révolté ». L’action commence au retour d’Antigone qui vient d’enterrer ce frère maudit, ce que l’on comprend rétrospectivement.

Dans un premier temps, elle s’entretient avec ses proches (sa nourrice, sa sœur Ismène, son fiancé Hémon, le fils de Créon) qui ignorent la situation. Puis, elle révèle son acte qui est parallèlement annoncé à Créon par les gardes. Le chœur rappelle alors le mécanisme de la tragédie.

L’affrontement avec Créon occupe un second moment. Ismène entre, apparemment ralliée à sa sœur. Mais Antigone est emmenée. Hémon supplie en vain son père de l’épargner.

Dehors, la révolte gagne aussi la foule tandis qu’Antigone échange quelques mots avec le garde qui l’a arrêtée : elle sera murée vivante. Un messager et le chœur racontent ensuite qu’Hémon s’est tué, que la reine est morte ; Créon se retrouve donc seul.

Antigone, héroïne moderne

La pièce reste fidèle, par son intrigue — mais aussi par la présence d’un chœur, d’un messager, de scènes comportant deux ou trois personnages —, à son modèle antique. Anouilh joue à introduire des distances en adoptant un style simple, souvent familier, et des anachronismes (Antigone et sa « nounou »…).

L’auteur s’intéresse surtout à la personnalité de l’héroïne, apparaissant dans sa solitude et sa révolte, qui lui confèrent grandeur et pureté. Antigone est ici une adolescente obstinée, parfois capricieuse (« je veux tout, tout de suite »), condamnée à mort pour sa désobéissance.

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La pièce est ainsi plutôt sombre. Anouilh la considère d’ailleurs comme une de ses « nouvelles pièces noires », selon la typologie qu’il a établie pour ses œuvres dramatiques. Le pessimisme se manifeste à travers l’arbitraire, l’absurdité et l’indifférence qu’affronte Antigone, et trouve une touchante expression dans le thème de l’enfance qui parcourt l’ensemble de la pièce. Ce pessimisme tient aussi à l’époque à laquelle est composée Antigone, l’héroïne apparaissant comme une figure de résistance.

Le théâtre en question

Une telle noirceur trouve une expression particulièrement efficace dans le genre tragique : « c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir ». À cet effet, le style est épuré, la mise en scène, sobre : il y a peu de personnages, les costumes sont sombres (sauf pour Ismène), le « décor neutre ». En outre, Anouilh rappelle régulièrement à quel point le dénouement est inévitable, la pièce n’étant que la mise en œuvre d’un mécanisme de mort, la réalisation d’un destin. Ce phénomène trouve ici une intensité d’autant plus vive qu’Antigone est décidée à mourir et revendique donc cette mort plus qu’elle ne la subit.

Anouilh a ainsi recours au prologue et au chœur, à qui il fait tenir des discours explicitement « méta-théâtraux ». Il propose une réflexion sur le genre tragique et sur le théâtre de façon plus générale. Le prologue rappelle la situation de représentation, présente successivement les personnages qui « vont jouer » l’histoire. Anouilh rend visibles — et même souligne fortement — tous les procédés de composition, affirmant la toute-puissance du théâtre.

→ À lire : Le prologue. – La fatalité. – Le dénouement dans une pièce de théâtre. – L’interprétation et la mise en scène.

Lecture d’un extrait d’Antigone

À la mort d’Œdipe, roi de Thèbes, le gouvernement de la cité est laissé en héritage à ses deux fils, Étéocle et Polynice, qui alternativement y exerceront leur autorité. Étéocle refuse de céder le pouvoir à son frère une fois son tour venu ; s’ensuit une lutte à l’issue de laquelle les deux frères meurent, chacun de la main de l’autre. Créon, nouveau roi de Thèbes, interdit d’accorder une sépulture à Polynice ; bravant l’interdiction, Antigone, sœur des deux combattants, a recouvert de terre le corps de Polynice selon les traditions immémoriales. Face à Créon, Antigone interroge la perspective d’une vie heureuse, conforme à ses exigences d’enfant intransigeant.

ANTIGONE, murmure, le regard perdu. — Le bonheur
CRÉON, a un peu honte soudain. — Un pauvre mot, hein ?
ANTIGONE, doucement. — Quel sera-t-il, mon bonheur ? Quelle femme heureuse deviendra-t-elle, la petite Antigone ? Quelles pauvretés faudra-t-il qu’elle fasse elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses dents son petit lambeau de bonheur ? Dites, à qui devra-t-elle mentir, à qui sourire, à qui se vendre ? Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant le regard ?
CRÉON, hausse les épaules. — Tu es folle, tais-toi.
ANTIGONE. — Non, je ne me tairai pas ! Je veux savoir comment je m’y prendrai, moi aussi, pour être heureuse. Tout de suite, puisque c’est tout de suite qu’il faut choisir. Vous dites que c’est si beau la vie. Je veux savoir comment je m’y prendrai pour vivre.
CRÉON. — Tu aimes Hémon ?
ANTIGONE. — Oui, j’aime Hémon. J’aime un Hémon dur et jeune ; un Hémon exigeant et fidèle, comme moi. Mais si votre vie, votre bonheur doivent passer sur lui avec leur usure, si Hémon ne doit plus pâlir quand je pâlis, s’il ne doit plus me croire morte quand je suis en retard de cinq minutes, s’il ne doit plus se sentir seul au monde et me détester quand je ris sans qu’il sache pourquoi, s’il doit devenir près de moi le monsieur Hémon, s’il doit apprendre à dire « oui », lui aussi, alors je n’aime plus Hémon !
CRÉON. — Tu ne sais plus ce que tu dis. Tais-toi.
ANTIGONE. — Si, je sais ce que je dis, mais c’est vous qui ne m’entendez plus. Je vous parle de trop loin maintenant, d’un royaume où vous ne pouvez plus entrer avec vos rides, votre sagesse, votre ventre. (Elle rit.) Ah ! je ris, Créon, je ris parce que je te vois à quinze ans, tout d’un coup ! C’est le même air d’impuissance et de croire qu’on peut tout. La vie t’a seulement ajouté tous ces petits plis sur le visage et cette graisse autour de toi.
CRÉON, la secoue.— Te tairas-tu, enfin ?
ANTIGONE. — Pourquoi veux-tu me faire taire ? Parce que tu sais que j’ai raison ? Tu crois que je ne lis pas dans tes yeux que tu le sais ? Tu sais que j’ai raison, mais tu ne l’avoueras jamais parce que tu es en train de défendre ton bonheur en ce moment comme un os.
CRÉON. — Le tien et le mien, oui, imbécile !
ANTIGONE. — Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n’est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, — et que ce soit entier — ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d’un petit morceau si j’ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd’hui et que cela soit aussi beau que quand j’étais petite — ou mourir.

(Jean Anouilh, Antigone, Paris, Éditions de la Table Ronde, 1947)

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