La Boétie : Discours de la servitude volontaire (1576)

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Étienne de La Boétie

Discours de la servitude volontaire (1576)

Portrait d'Étienne de La Boétie

👤 Étienne de La Boétie
Étienne de La Boétie,  né le 1er novembre 1530 à Sarlat et mort le 18 août 1563 à Germignan, est un écrivain français, ami de Montaigne et auteur d’un essai célèbre Discours de la servitude volontaire (1576). Il a rédigé également de nombreux sonnets… [Lire la suite de sa biographie]

Présentation

Discours de la servitude volontaire est une dissertation d’Étienne de La Boétie, sans doute composée dès 1548 et publiée pour la première fois en son entier dans une édition de 1727 des Essais de Montaigne. Ce discours est aussi appelé Contr’un.

Une dissertation scolaire

Au milieu du XVIe siècle, un jeune homme d’à peine dix-huit ans, en seconde année de rhétorique, qui a pour sujet de dissertation la liberté, s’applique à démontrer qu’elle est naturelle à l’homme et en fait l’éloge de manière paradoxale.

Mais, ô bon Dieu ! […] quel malheur est celui-là ? quel vice, ou plutôt quel malheureux vice ? Voir un nombre infini de personnes non pas obéir, mais servir ; non pas être gouvernées, mais tyrannisées […].

À la première personne, ce même jeune homme assimile toutes les formes de tyrannie existantes et constate l’incroyable : le peuple ne perd pas sa liberté, il « gagne sa servitude ». Il distingue la nature première de l’homme de sa seconde nature formée à la servitude par la « coutume » comme par une nourriture familière, sucrée, doucereuse. Ce jeune homme, nourri de la culture des Anciens, emprunte ses exemples aux humanités grecques et romaines, à Homère et Virgile, à Aristote et Cicéron, à Plutarque et Tite-Live, et, de digression apparente en éloge de l’amitié, il en vient à affirmer ceci : la tyrannie s’appuie sur un tout petit nombre d’asservis entretenant le servage de tous. Le premier lecteur est l’ami Montaigne, pour cet éloquent propos, ferme et sans violence, composé « à l’honneur de la liberté contre les tyrans, par maniere d’essay, en sa premiere jeunesse », (Essais, livre III, chap. 28, « De l’amitié »).

→ À lire : Biographie de Montaigne. – Lumière sur les Essais (1580) de Montaigne.

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Comment le discours est devenu le Contr’un

La composition du Discours de la servitude volontaire est peut-être liée à l’actualité d’une révolte paysanne violemment réprimée dans le Bordelais. Son caractère d’exception n’est pas seulement lié à la jeunesse et à l’immense culture humaniste de l’auteur, il tient aussi à l’histoire de son appropriation précoce par les séditions, et cela bien après la mort de La Boétie en 1563. C’est d’abord, en 1574, Le Réveille-Matin des Français et de leurs voisins, pamphlet très violent contre le roi de France, postérieur à la Saint-Barthélemy, et qui reprend un fragment remanié du Discours à des fins clairement polémiques. C’est ensuite, en 1576, le pasteur protestant Simon Goulart qui cite encore le même Discours, rebaptisé Contr’un (entendons : contre un tyran) dans ses Memoires de l’Estat de France sous Charles Neufiesme, et en affirme par là le caractère militant contre la monarchie. Et c’est encore l’exploitation qu’en fait la Révolution de 1789, avant l’édition autonome de Lamennais en 1835, dans un nouveau contexte politique et social.

Il reste que la rhétorique du Discours résiste au caractère circonstanciel de ses emplois, ne serait-ce que parce qu’elle participe de la très abondante littérature politique du XVIe siècle et de son effort permanent pour conjurer la tyrannie. Mais aussi parce que la force du propos ne se confond pas avec son intention séditieuse, pas plus que l’obéissance avec la servitude, et qu’une idée du politique s’y dégage bel et bien de l’analyse magistrale de la tyrannie comme dénaturation de l’exercice du gouvernement.

Extrait : Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie

Œuvre de jeunesse, empreint de métaphysique antique et de morale stoïcienne, le Discours de la servitude volontaire rend compte des réflexions et des jugements que l’humaniste Étienne de La Boétie porte sur les rapports que l’homme de la Renaissance entretient avec la liberté et ceux qu’il tisse avec le pouvoir.

[…] Les lourdauds ne s’apercevaient pas qu’en recevant toutes ces choses, ils ne faisaient que recouvrer une part de leur propre bien ; et que cette portion même qu’ils en recouvraient, le tyran n’aurait pu la leur donner, si, auparavant, il ne l’eût enlevée à eux-mêmes. Tel ramassait aujourd’hui le sesterce, tel se gorgeait, au festin public, en bénissant et Tibère et Néron de leur libéralité qui, le lendemain, étant contraint d’abandonner ses biens à l’avarice, ses enfants à la luxure, son rang même à la cruauté de ces magnifiques empereurs, ne disait mot, pas plus qu’une pierre et ne se remuait pas plus qu’une souche. Le peuple ignorant et abruti a toujours été de même. Il est, au plaisir qu’il ne peut honnêtement recevoir, tout dispos et dissolu ; au tort et à la douleur qu’il ne peut raisonnablement supporter, tout à fait insensible. Je ne vois personne maintenant qui, entendant parler seulement de Néron, ne tremble au seul nom de cet exécrable monstre, de cette vilaine et sale bête féroce, et cependant, il faut le dire, après sa mort, aussi dégoûtante que sa vie, ce fameux peuple romain en éprouva tant de déplaisir (se rappelant ses jeux et ses festins) qu’il fut sur le point d’en porter le deuil. Ainsi du moins nous l’assure Cornelius Tacite, excellent auteur, historien des plus véridiques et qui mérite toute croyance. Et l’on ne trouvera point cela étrange, si l’on considère ce que ce même peuple avait fait à la mort de Jules César, qui foula aux pieds toutes les lois et asservit la liberté romaine. Ce qu’on exaltait surtout (ce me semble) dans ce personnage, c’était son humanité, qui, quoiqu’on l’ait tant prônée fut plus funeste à son pays que la plus grande cruauté du plus sauvage tyran qui ait jamais vécu ; parce qu’en effet ce fut cette fausse bonté, cette douceur empoisonnée qui emmiella le breuvage de la servitude pour le peuple romain. Aussi après sa mort ce peuple-là qui avait encore en la bouche le goût de ses banquets et à l’esprit la souvenance de ses prodigalités, amoncela les bancs de la place publique pour lui en faire honorablement un grand bûcher et réduire son corps en cendres ; puis il lui éleva une colonne comme au Père de la patrie (ainsi portait le chapiteau), et enfin il lui rendit plus d’honneur, tout mort qu’il était, qu’il n’en aurait dû rendre à homme du monde, si ce n’est à ceux qui l’avaient tué. Les empereurs romains n’oubliaient pas surtout de prendre le titre de tribun du peuple, tant parce que cet office était considéré comme saint et sacré, que parce qu’il était établi pour la défense et protection du peuple et qu’il était le plus en faveur dans l’état. Par ce moyen ils s’assuraient que ce peuple se fierait plus à eux, comme s’il lui suffisait d’ouïr le nom de cette magistrature, sans en ressentir les effets.

Mais ils ne font guère mieux ceux d’aujourd’hui, qui avant de commettre leurs crimes, même les plus révoltants les font toujours précéder de quelques jolis discours sur le bien général, l’ordre public et le soulagement des malheureux. Vous connaissez fort bien le formulaire dont ils ont fait si souvent et si perfidement usage. Et bien, dans certains d’entre eux, il n’y a même plus de place à la finesse tant et si grande est leur impudence. Les rois d’Assyrie, et, après eux, les rois Mèdes, ne paraissaient en public que le plus tard possible, pour faire supposer au peuple qu’il y avait en eux quelque chose de surhumain et laisser en cette rêverie les gens qui se montent l’imagination sur les choses qu’ils n’ont point encore vues. Ainsi tant de nations, qui furent assez longtemps sous l’empire de ces rois mystérieux, s’habituèrent à les servir, et les servaient d’autant plus volontiers qu’ils ignoraient quel était leur maître, ou même s’ils en avaient un ; de manière qu’ils vivaient ainsi dans la crainte d’un être que personne n’avait vu.

Les premiers rois d’Égypte ne se montraient guère sans porter, tantôt une branche, tantôt du feu sur la tête : ils se masquaient ainsi et se transformaient en bateleurs. Et cela pour inspirer, par ces formes étranges, respect et admiration à leurs sujets, qui, s’ils n’eussent pas été si stupides ou si avilis, n’auraient dû que s’en moquer et en rire. C’est vraiment pitoyable d’ouïr parler de tout ce que faisaient les tyrans du temps passé pour fonder leur tyrannie ; de combien de petits moyens ils se servaient pour cela, trouvant toujours la multitude ignorante tellement disposée à leur gré, qu’ils n’avaient qu’à tendre un piège à sa crédulité pour qu’elle vînt s’y prendre ; aussi n’ont-ils jamais eu plus de facilité à la tromper et ne l’ont jamais mieux asservie, que lorsqu’ils s’en moquaient le plus.

Que dirai-je d’une autre sornette que les peuples anciens prirent pour une vérité avérée. Ils crurent fermement que l’orteil de Pyrrhus, roi d’Épire, faisait des miracles et guérissait des maladies de la rate. Ils enjolivèrent encore mieux ce conte, en ajoutant : que lorsqu’on eût brûlé le cadavre de ce roi, cet orteil se trouva dans les cendres, intact et non atteint par le feu. Le peuple a toujours ainsi sottement fabriqué lui-même des contes mensongers, pour y ajouter ensuite une foi incroyable. Bon nombre d’auteurs les ont écrits et répétés, mais de telle façon qu’il est aisé de voir qu’ils les ont ramassés dans les rues et carrefours. […]

(Étienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1727)

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