La rhétorique

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Rhétorique et style

La rhétorique

Il considérait la rhétorique comme une chose grave ; quand il faisait du style, l’hyperbole l’emportait au delà de sa pensée, et il employait des expressions magnifiques pour des sujets assez pauvres.

(Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, première édition, 1845, p. 102)

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Qu’est-ce que la rhétorique?

Il y a eu des discussions sur la définition même de la rhétorique et sur son utilité. Qu’on la définisse avec Aristote : « la faculté de découvrir tous les moyens possibles de persuader sur quelque point que ce soit », ou avec Quintilien, « l’art de bien dire », en ajoutant avec lui que « cette définition comprend d’un mot toutes les qualités et en même temps les mœurs mêmes de l’orateur, puisqu’il lui est impossible de bien dire, s’il n’est homme de bien », il y a lieu de remarquer que la rhétorique n’est pas l’art lui-même, mais la théorie de l’art, c’est-à-dire l’ensemble des règles qu’il doit suivre pour atteindre à son but. Elle est à la faculté de persuader ce que la logique est à celle de découvrir la vérité. Elle est, en deux mots, la théorie de l’éloquence.

La rhétorique est donc l’art de l’éloquence et de la persuasion, définition qui correspond, dans son acception la plus large, à celle qu’en avait donnée l’Antiquité.

Au sens où l’entendent les Anciens, elle est une théorie de l’argumentation. De ses origines juridiques — elle serait née dans la Grèce antique de la nécessité de codifier l’art des plaidoyers — la rhétorique avait conservé pour visée d’être avant tout un art de disposer des arguments en vue de disqualifier une thèse et de convaincre un auditoire du bien-fondé de la thèse adverse.

Le discours rhétorique, initialement conçu comme un discours oral, et non comme un texte, a pour fin d’amener les auditeurs à examiner les faits exposés à la lumière d’un point de vue particulier, celui de l’orateur. En d’autres termes, la fonction première de la rhétorique était moins de représenter le monde que d’amener à le voir sous un angle spécifique. Les textes de l’éloquence judiciaire, les réquisitoires et les plaidoyers sont le plus possible éloignés de la présentation neutre des faits. C’est le poids de cette histoire qui explique que la rhétorique ait pu être décrite comme manipulatrice et insincère.

L’essence de la rhétorique était d’être un art oratoire. Cette prééminence accordée à l’oral se manifeste bien dans les deux composantes de la memoria (techniques de mémorisation du discours) et de l’actio (art, essentiel pour l’orateur, de la gestuelle) que les traités ultérieurs ne prennent plus guère en compte, puisqu’ils privilégieront désormais les trois autres composantes, l’inventio (qui correspond à la recherche des arguments à l’intérieur d’une topique, recueil de lieux communs de la pensée ou topoï, selon Aristote), la dispositio (ou art d’ordonner les arguments) et l’elocutio (qui correspond à l’art d’orner la parole à l’aide des figures).

Les cinq parties de la rhétorique

● L’Invention (inventio), dans la recherche des moyens propres à persuader, enseigne à plaire par les mœurs, à convaincre par les arguments, qu’elle distribue en lieux communs, à toucher par les passions.

● La Disposition (dispositio) présente en leur place naturelle : l’exorde, c’est-à-dire l’introduction où les mœurs oratoires ont déjà tout leur effet, et à laquelle se rattachent la proposition, la division et la narration ; la confirmation, avec toutes les ressources de l’amplification appliquée au développement des arguments ou à la réfutation des sophismes ; enfin la péroraison ou conclusion, soutenue par l’effort du pathétique.
→ À lire : L’exorde. – La proposition et la division. – La confirmation. – La réfutation. – La péroraison.

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● L’Élocution (elocutio) considère le style dans ses traits généraux et dans ses éléments particuliers. De là, la classique distinction du style simple, du style tempéré, du style élevé ; de là, l’étude du sublime et des différences essentielles de la poésie et de la prose. Les éléments mêmes du style sont les mots et les propositions, considérés dans leurs rapports naturels ou dans d’artificielles combinaisons : de là, l’étude des figures de mots et des figures de pensées (regroupées sous l’appellation de figures de style), et celle des tours de phrase et des périodes.
→ À lire : La langue et le style. – Le style littéraire. – Les figures de style. – Q.C.M. : Les figures de style.

● L’Action (actio) traite de la voix et du geste, ces deux interprètes de la pensée oratoire, puis de la mémoire, son auxiliaire indispensable. Tel est le cadre ouvert à la rhétorique par les maîtres de l’éloquence grecque et latine, et qu’ils ont rempli, à l’aide d’une langue technique, avec une précision minutieuse.

● La Mémoire (memoria) est l’art de retenir son discours. Quintilien en fait une technique se fondant sur la structure du discours d’une part et sur les procédés mnémotechniques d’autre part. Le but de ces techniques est, avant tout, de retenir les arguments lors des procès, par exemple. La mémoire est une partie ajoutée tardivement, par certains traités latins.

La rhétorique antique

La naissance de la rhétorique est liée à l’établissement des institutions démocratiques à Athènes, au VIe siècle avant notre ère. Le fondateur de la rhétorique, Corax, la définit comme un art de la persuasion. On lui doit le premier texte sur la rhétorique. Les élèves de Corax, notamment Tisias et Gorgias, enseignent l’art de l’éloquence et sont parmi les premiers rhéteurs. L’orateur athénien Isocrate (IVe siècle avant J.-C.), disciple de Gorgias, élève la rhétorique au-dessus de la seule éloquence judiciaire. Platon, dans la critique qu’il prête à Socrate de la rhétorique des sophistes, a fixé durablement, dans le dialogue du Gorgias, l’image de la rhétorique comme artificieuse et sophistique, détournée de la recherche de la vérité. Aristote, dans sa Rhétorique, procède à un classement des genres en délibératif, judiciaire et épidictique (dit aussi démonstratif, le discours épidictique est un discours de louange) et à une analyse des différentes parties du discours archétypique de l’éloquence judiciaire (exorde, narration, péroraison).

→ À lire : L’éloquence et ses trois genres.

À Rome, les grands maîtres de l’éloquence étaient Cicéron et Quintilien. Leur conception de la rhétorique vient du modèle grec. Cicéron a écrit plusieurs traités de rhétorique, notamment le De oratore. On doit à Quintilien le traité De l’institution oratoire et à Tacite un Dialogue des orateurs. Les traités des auteurs latins ont mis l’accent sur la pratique de l’art oratoire.

La rhétorique au Moyen Âge et à la Renaissance

Au Moyen Âge, la rhétorique était l’une des disciplines du trivium, les deux autres étant la grammaire et la logique. La Rhétorique à Hérennius, traité paru en 82 av. J.-C., d’abord attribué à Cicéron, a servi de base à l’enseignement de la rhétorique et, tout spécifiquement, des techniques mnémoniques, ou arts de la mémoire.

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À la Renaissance, le renouveau du goût pour les textes classiques de l’Antiquité et la multiplication des traductions d’œuvres grecques et latines ont pour conséquence une diffusion accrue et une meilleure connaissance des textes d’Aristote, de Cicéron et de Quintilien.

La rhétorique de l’âge classique et au XIXe siècle

Les traités du XVIIe et du XVIIIe siècle ont en commun d’avoir abordé la théorisation de la question des figures, quitte à ce que sont laissées dans l’ombre les questions qui avaient préoccupé les Anciens, notamment celle de la classification des genres et celle de l’analyse des parties du discours. Certes, à cette époque, la rhétorique était toujours conçue comme un art de l’éloquence, comme en témoignent les traités de Bernard Lamy, La Rhétorique ou l’Art de parler (1675-1715), de Balthasar Gibert, La Rhétorique ou les Règles de l’éloquence (1730), ou de Jean-Baptiste-Louis Crevier, Rhétorique française (1765). Néanmoins, dans les traités qui ont fait date, et qui ont été les plus commentés par la postérité, c’est la question du style qui était placée au cœur de la problématique rhétorique. Centré sur la question des figures, le traité de rhétorique de César Chesneau Dumarsais, ou Du Marsais, Des tropes (1730), comme au siècle suivant celui de Pierre Fontanier, Les Figures du discours (1821), les classifiaient et en dressaient des inventaires. Ces traités théorisaient, du même coup, la question du sens littéral et du sens figuré, qu’ils décrivaient comme inhérents à certains emplois discursifs, comme en témoigne le sous-titre du traité que Dumarsais, celui qui est le grammairien de L’Encyclopédie, a consacré aux tropes (ou figures de style) : Des tropes ou des Différents Sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. C’est là l’aboutissement d’un intérêt croissant pour la notion de figure, qui est également caractéristique des traités du XIXe siècle, notamment de celui de Fontanier. C’est au cours du XIXe siècle que l’on passe des traités de l’éloquence oratoire à des traités du style littéraire, c’est-à-dire d’une conception de la rhétorique comme théorie générale de l’argumentation à une conception de la rhétorique comme poétique.

→ À lire : L’éloquence et ses trois genres. – Les figures de style. – La langue et le style. – Le style littéraire. – La poétique ou l’art poétique. – Analyser un texte argumentatif. – Les divers sens d’un mot.

Le XXe siècle et la redécouverte de la rhétorique

Un certain nombre d’études inspirées par le renouveau contemporain de l’intérêt pour la rhétorique dans son ensemble ont souligné ce passage d’une rhétorique que les Anciens avaient conçue comme une théorie de l’argumentation à une « rhétorique restreint », réduite en fait à l’elocutio.

Au XXe siècle, les figures centrales que sont la métaphore et la métonymie avaient fini par occulter la richesse de l’inventaire des figures de rhétorique, en particulier avec le célèbre essai de Roman Jakobson (Essais de linguistique générale, 1963), qui opposait ces deux figures en les mettant au cœur du fonctionnement poétique de la langue. La restriction dont relevait ce processus procédait d’un premier mouvement de réduction à l’elocutio et, au sein de l’elocutio, aux figures de style emblématiques de la parole poétique, la métaphore et la métonymie. Plus récemment, les travaux de Roland Barthes, L’Ancienne rhétorique (1970), ou de Gérard Genette, La Rhétorique restreinte (1970), ont cherché à rendre à la rhétorique sa dimension de théorie de l’argumentation, faisant écho, en cela, aux travaux d’Ivor Armstrong Richards, The Philosophy of Rhetorics (1936), d’Ernst Robert Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin (1947), ou encore de Chaïm Perelman, L’Empire rhétorique (1977).

→ À lire : Les figures de style. – Les figures de rhétorique.

Les rhéteurs

Les rhéteurs sont les écrivains qui ont traité de la rhétorique, de ses diverses parties et des questions qui s’y rapportent. Quoique ce nom s’applique plus particulièrement aux écrivains anciens, on l’emploie aussi pour les modernes, et les bibliographes partagent les rhéteurs en quatre groupes : rhéteurs grecs ; rhéteurs latins anciens et rhéteurs modernes ayant écrit en latin ; rhéteurs modernes français ou étrangers, écrivant dans les langues européennes ; rhéteurs orientaux.

À part les écrits particuliers de rhétorique cités dans cet article, mentionnons les collections suivantes : Rhetores grœci (Venise, 1508, 2 vol.) ; même titre (Stuttgart, 1832-36, 9 vol.) ; Rhetores latini antiqui (Paris, 1599,) ; Bibliotheca rhetorum, de G.-F. Le Jay (Paris, 1725, 2 vol.) ; die Rhetorik der Araber, nach den wichtigsten Quellen, etc., par A.-E. Mehren (Copenhague, 1853).

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