La tirade

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La tirade

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Définition

La tirade est un développement, en vers ou en prose, plus ou moins long d’une idée générale, d’un lieu commun, intercalé dans une scène de pièce de théâtre. Cette longue suite de phrases ou de vers est débitée par un personnage sans qu’il soit interrompu par un de ses interlocuteurs. La tirade est donc le procédé de l’amplification oratoire transporté au théâtre. Cependant, on peut trouver les tirades dans n’importe quel autre ouvrage quand il s’agit tout simplement d’un morceau, en prose ou en vers, d’une certaine étendue qui roule ordinairement sur une même idée, sur un même fait. Dans un registre familier, la tirade désigne un développement long et emphatique d’un sujet ou d’une idée (exemple : elle m’a fait toute une tirade sur les joies du mariage).

→ À lire : La parole sur scène.

Aperçu historique

Les Anciens condamnaient les tirades parce qu’ils donnaient pour première règle de l’art dramatique la rapidité de l’action. Mais la tirade avait sa place à part dans l’ancienne comédie athénienne, au milieu des digressions de la parabase. Le théâtre moderne s’est trop laissé envahir par elle, et sur ce point les romantiques n’ont rien à reprocher aux classiques. Si Pierre Corneille a rempli ses plus belles tragédies de brillantes tirades sur l’honneur, sur le devoir, sur l’amour du pays, etc., Shakespeare ne se fait pas faute d’arrêter un mot au passage, pour broder des variations sur l’idée qu’il rappelle. Le théâtre allemand a surtout prodigué les tirades sous la forme du lyrisme. Dans la comédie, la tirade rentre particulièrement dans l’emploi des raisonneurs, par la bouche desquels le poète développe la leçon qu’il veut faire sortir de sa pièce. Les tirades ne se justifient que lorsqu’elles naissent du caractère et de la situation des personnages et qu’elles concourent à l’action au lieu de l’en distraire.

Contenus d’une tirade

Il y a des mots, des sujets et des thèmes qui semblent appeler la tirade ce sont, suivant les époques, ceux de religion, de patrie, d’humanité, de vertu, de vérité, d’hypocrisie, de superstition, de science, d’ignorance, d’instruction, de nature, de progrès, de liberté, de paix, de guerre, etc. Ces idées sont le signal attendu d’une douzaine de vers ou de phrases à effet, qui peuvent être écrits d’avance et se plaquer à l’endroit voulu. Ils sont ordinairement très applaudis par le public auquel ils sont adressés.

Utilité de la tirade
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Les circonstances donnent de l’à-propos aux tirades ou le leur enlèvent tour à tour. Ce sont, dans une pièce, des hors-d’œuvre, et le plus souvent de brillants défauts, qui peuvent sauver le manque d’intérêt ou la faiblesse de l’intrigue. On peut les comparer à ce qu’on appelle les airs de bravoure dans l’opéra italien. Elles font valoir le talent de l’auteur comme écrivain ou les qualités de diction de l’acteur.

Exemples de tirades

▪ La tirade où Phèdre déclare son amour à Hippolyte, à l’acte II, scène 5 du Phèdre de Jean Racine :

Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée:
Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du dieu des morts déshonorer la couche;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,
Tel qu’on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage;
Cette noble pudeur colorait son visage,
Lorsque de notre Crète il traversa les flots,
Digne sujet des vœux des filles de Minos.
Que faisiez-vous alors? pourquoi, sans Hippolyte,
Des héros de la Grèce assembla-t-il l’élite?
Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords?
Par vous aurait péri le monstre de la Crète,
Malgré tous les détours de sa vaste retraite:
Pour en développer l’embarras incertain,
Ma sœur du fil fatal eût armé votre main.
Mais non : dans ce dessein je l’aurais devancée;
L’amour m’en eût d’abord inspiré la pensée.
C’est moi, prince, c’est moi, dont l’utile secours
Vous eût du labyrinthe enseigné les détours.
Que de soins m’eût coûtés cette tête charmante!
Un fil n’eût point assez rassuré votre amante:
Compagne du péril qu’il vous fallait chercher,
Moi-même devant vous j’aurais voulu marcher;
Et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée ou perdue.

▪ La tirade de Dom Juan sur l’hypocrisie, acte V, scène 2 de Dom Juan ou le Festin de pierre de Molière :

Il n’y a plus de honte maintenant à cela; l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer. Aujourd’hui, la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée; et, quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement; mais l’hypocrisie est un vice privilégié qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les attire tous sur les bras; et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés, ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres; ils donnent bonnement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j’en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se font un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants hommes du monde? On a beau savoir leurs intrigues, et les connaître pour ce qu’ils sont, ils ne laissent pas pour cela d’être en crédit parmi les gens; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d’yeux, rajustent dans le monde tout ce qu’ils peuvent faire. C’est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes; mais j’aurai soin de me cacher, et me divertirai à petit bruit. […]

▪ La « tirade du nez » de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, acte I, scène 4 :

Ah! non! c’est un peu court, jeune homme!
On pouvait dire… Oh! Dieu!… bien des choses en somme…
En variant le ton, — par exemple, tenez:
Agressif: «Moi, monsieur, si j’avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse!»
Amical: «Mais il doit tremper dans votre tasse!
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap!»
Descriptif: «C’est un roc!… c’est un pic!… c’est un cap!
Que dis-je, c’est un cap?… C’est une péninsule!»
Curieux: «De quoi sert cette oblongue capsule?
D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux?»
Gracieux: «Aimez-vous à ce point les oiseaux
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes?»
Truculent: «Çà, monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée?»
Prévenant: «Gardez-vous, votre tête entraînée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol!»
Tendre: «Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane!»
Pédant: «L’animal seul, monsieur, qu’Aristophane
Appelle Hippocampelephantocamélos
Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os!»
Cavalier: «Quoi, l’ami, ce croc est à la mode?
Pour pendre son chapeau, c’est vraiment très commode!»
Emphatique: «Aucun vent ne peut, nez magistral,
T’enrhumer tout entier, excepté le mistral!»
Dramatique: «C’est la Mer Rouge quand il saigne!»
Admiratif: «Pour un parfumeur, quelle enseigne!»
Lyrique: «Est-ce une conque, êtes-vous un triton?»
Naïf: «Ce monument, quand le visite-t-on?»
[…]

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