Le monologue intérieur

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Le monologue intérieur

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Présentation

Le monologue intérieur est une technique littéraire censée exprimer le cheminement désordonné de la pensée intime, non pas du point de vue extérieur (oral avec un ou plusieurs auditeurs) d’un personnage mais d’un point de vue intérieur. Cette technique a été déjà expérimentée au XVIIe siècle dans La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette. Ensuite, elle a été exposée en 1931 par Édouard Dujardin.

Le lecteur est installé dans la pensée du personnage qui devient narrateur. Le déroulement ininterrompu du monologue se substitue à la forme usuelle du récit. Le monologue intérieur joue un rôle important dans le renouvellement du roman au XXe siècle devenant « l’un des emblèmes de la modernité romanesque » (Jean-Pierre Bertrand).

⚠ Attention !
Ne pas confondre le monologue intérieur avec le monologue utilisé en théâtre. Ce dernier est un discours (d’une pièce de théâtre), récité sur scène par un seul comédien. Le monologue intérieur reste un effet de style employé surtout dans les romans, et parfois au théâtre ou à l’opéra. Il fait intervenir le flot de pensées intérieures d’un personnage.

Édouard Dujardin, un précurseur

L’écrivain français Édouard Dujardin (1861-1949), auteur d’un roman intitulé Les lauriers sont coupés (1887), est souvent considéré — et cela est sujet à polémique — comme l’inventeur de ce procédé, bien qu’il l’ait peut-être simplement généralisé ou systématisé — il attribue lui-même l’invention du monologue intérieur à Théodore Wyzewa (1863-1917). Dujardin dont le personnage, Daniel Prince, exprime par phrases brèves ses activités, ses sentiments, en donne sa définition personnelle dans son essai Le Monologue intérieur (1931), théorisation de son roman :

Le monologue intérieur est […] le discours sans auditeur et non prononcé, par lequel un personnage exprime sa pensée la plus intime, la plus proche de l’inconscient, antérieurement à toute organisation logique, c’est-à-dire en son état naissant, par le moyen de phrases directes réduites au minimum syntaxial, de façon à donner l’impression du tout venant.

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Libération des « flux de conscience »

En Angleterre, certains spécialistes voient également en Dorothy Richardson (1873-1957), auteur de Pilgrimage (Pèlerinage, treize romans ou « chapitres » publiés de 1915 à 1967), une pionnière en ce domaine et l’inventeur de ce courant romanesque anglais apparu au début du XXe siècle qui tente de fondre étroitement narration et monologue en donnant au récit la forme du « flux de conscience » (stream of consciousness). Toutefois, c’est James Joyce qui, dans Ulysse (Ulysses, 1922), porte cette technique à son apogée (il a cependant proclamé sa dette à l’égard de Dujardin et souligné son apport décisif). William Faulkner et Virginia Woolf (Mrs Dalloway, 1925; La Promenade au phare, 1927) s’affirment comme deux autres éminents amoureux de ce procédé.

À lire : Extrait : Chapitre 2 d’Ulysse de James Joyce.

Renouveau du roman français

Dans la seconde moitié du XXe siècle, des écrivains français, autour du Nouveau Roman, exploitent largement cette technique narrative que Valéry Larbaud déjà avait empruntée à James Joyce. Michel Butor, dans La Modification (1957), utilise la deuxième personne du pluriel, le « vous » ; le narrateur transforme le lecteur en acteur du récit et invente une forme inédite de monologue intérieur. Nathalie Sarraute traque quant à elle le non-dit et le monde « furtif, apeuré, tremblant » de la « sous-conversation ». Par ailleurs Alain Robbe-Grillet, dans La Jalousie (1957), gomme toute présence du personnage-narrateur ; tout est décrit ou imaginé à partir de la conscience délirante du jaloux.

Extrait : Ulysse de James Joyce (chapitre 2)

Léopold Bloom flâne seul en direction de Brunswick Street. La forme traditionnelle du récit au prétérit cède la place à celle du monologue intérieur. Comme souvent chez Joyce, l’articulation entre ces deux formes s’opère sur le mouvement de l’œil, le descriptif de ce qui l’arrête. De ce premier arrêt procède une suite de déboîtements heurtés et de sauts temporels vers l’amont ou l’aval. Bloom traverse horizontalement la ville de Dublin, son esprit se laisse traverser de spéculations, de futurs, de passés stratifiés. La figure biblique du premier père se trouve ici dans une étonnante contiguïté avec celle de Monsieur Bloom père. Montage impur de généalogies, ce type d’ironie revient fréquemment dans le roman.

M. Bloom s’arrêta au coin de la rue, ses yeux errant sur les affiches hautes en couleurs. Limonade de Cantrell et Cochrane (aromatisée). Exposition d’été chez Cléry. Non, il s’en va tout droit. Tiens. Ce soir Léa : Mme Bandman Palmer. Aimerais la revoir là-dedans. Elle jouait Hamlet hier au soir. Travesti. Peut-être était-il une femme. Est-ce pour ça qu’Ophélie s’est suicidée ? Pauvre papa ! Comme il parlait souvent de Kate Bateman dans ce rôle ! Attendait aux portes de l’Adelphi, à Londres, toute la journée pour entrer. C’était l’année avant ma naissance : 65. Et la Ristori à Vienne. Qu’est-ce que c’était le titre ? C’est par Mosenthal. Est-ce Rachel ? Non. La scène dont il parlait toujours où le vieil Abraham aveugle reconnaît la voix et lui touche la figure avec ses doigts.

La voix de Nathan ! La voix de son fils ! J’entends la voix de Nathan qui laissa son père mourir de douleur et de chagrin dans mes bras, qui abandonna la maison de son père et le dieu de son père.

Chaque mot est si profond, Léopold.

Pauvre papa ! Pauvre homme ! Je suis content de n’être pas entré dans la chambre pour regarder sa figure. Ce jour-là ! Mon dieu ! mon dieu ! bah ! peut-être que ça valait mieux pour lui.

(James Joyce, Ulysse, LGF-Livre de Poche, 1965. Trad. par Auguste Morel, Stuart Gilbert et Valery Larbaud)

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