Le mythe : définitions et fonctions

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Le mythe : définitions et fonctions

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Définitions du mythe
En général

Récit, d’origine anonyme, vraisemblablement ethnique et légendaire, qui revêt une valeur allégorique.

Exemple : le mythe du voleur de feu.

En particulier

Ce même récit légendaire, en tant que faisant partie d’un système religieux et poétique ; les mythes sont alors en rapport entre eux et forment une mythologie.

Exemple : les mythes d’Héraklès et de Sisyphe sont dans un rapport antithétique, l’un personnifiant la puissance et l’autre l’impuissance de l’homme.

Par extension

Conception collective, sorte de croyance vague, de goût, de culte, ou d’adoration laïque spontanée.

Exemple : le mythe de la vedette, de la vitesse, du sport. Les mythes sont la marque d’une époque.

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Ces aspirations, qui s’entourent de tout un décorum, d’habitudes quasi rituelles (mise en scène d’un match de football, présentation d’un film, signature d’autographes…) ne sont pas nées de l’imagination constructive et consciente, mais, comme le rêve, des désirs refoulés du subconscient collectif. Elles naissent et disparaissent avec les besoins de la foule. Il est clair, par exemple, que l’abâtardissement et la domestication de l’homme dans les bureaux et les usines refoulent en lui le désir d’espace, d’air pur et de mouvement : d’où le sport et le nudisme. De même, en un monde enlaidi par la maison locative, les travaux du chiffre, les soucis d’argent, un monde privé d’amour, de jeunesse et de beauté ; en un monde qui ne peut plus, surtout dans les démocraties, vouer son tribut quasi filial d’admiration au Roi ou à la Reine, se développe le mythe de la Vedette de cinéma. Observons que ce culte assouvit un besoin de beauté fortement mêlé d’érotisme. Les magazines qui déshabillent le plus de jolies filles et de la façon la plus suggestive sont les magazines français et américains. En Hollande, en Grande-Bretagne, ces publications font encore preuve d’une certaine retenue, toute relative du reste. Mais ces pays ont encore des Souveraines…

Par abus

Fable, conte bleu, récit invraisemblable ou mensonger.

Exemple : On a beaucoup parlé de Verlaine écrivant en état d’ivresse : c’est un mythe.

Fonctions du mythe
Fonction explicative des mythes épiques et métaphysiques

Le mythe (aux sens général et particulier) est un récit dont les éléments ne coïncident pas avec la réalité intégrale, mais qui, imaginaire, reproduit, par voie de tradition orale ou écrite, une tentative d’expliquer une difficulté d’ordre moral ou métaphysique. Il comble une lacune dans l’explication que l’homme se donne des choses de la vie : il motive un mystère (Michel Butor).

C’est parce que l’homme ne comprenait pas les origines de son espèce qu’il a inventé une histoire destinée à satisfaire sa curiosité. Telle est la fonction du mythe d’Adam et d’Ève dans la Bible, celui de Deucalion et Pyrrha chez les Grecs. Le déplacement du soleil dans l’espace embrasé est expliqué par le mouvement d’un char à timon d’or, à roues de feu, que conduit d’une main sûre un dieu resplendissant : c’est le mythe de Sûryâ, dans le mysticisme hindou, et de Phoibos-Apollon chez les Anciens. Tout ce qui étonne la faible pensée humaine, tout ce qu’une science éternellement, insuffisante ne peut justifier, trouve une solution, provisoire ou fictive, dans le récit du mythe.

→ À lire : Les mythes de la création. – Les mythes des enfers. – Les mythes de la fin du monde. – Les mythes du déluge. – Les mythes de la nuit. – Les mythes de la Lune. – Les mythes du Soleil.

●  C’est le cas des phénomènes naturels

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L’arc-en-ciel, c’est l’écharpe que déroule dans sa course aérienne la messagère des dieux, Iris au vol rapide, aux chevilles ailées. La foudre, c’est la colère de Zeus-Jupiter Tonnant, c’est le mouvement de son ombrageux sourcil. Le volcan, au cratère hagard et monoculaire, vomissant des blocs de lave, c’est le géant Polyphème (le « Verbeux »), le Cyclope qui jette dans la rade où mouille le vaisseau d’Ulysse d’énormes quartiers de roches. L’inconcevable pourvoir destructeur du temps, qui abolit ce qu’il a permis d’édifier, l’homme primitif se l’explique par l’image d’un dieu dévorateur de ses propres enfants. C’est le mythe du cruel Chronos-Saturne. Ainsi, chaque fois que l’homme primitif se pose une question insoluble, il répond au moyen d’une histoire.

Questions / Réponses

Question : L’homme pourra-t-il capter un jour les forces naturelles, dompter les éléments de la nature ?
Réponse :  Orphée, par la seule force de la poésie, fait ramper les fauves à ses pieds, et son charme s’étend aux objets inanimés ; aux accents de sa lyre, les pierres se soulèvent de terre, et c’est ainsi qu’il bâtit les murailles de Mycènes.

Question : L’homme peut-il impunément chercher à percer les secrets de la nature ?
Réponse : Il est un apprenti sorcier ; il libère des forces qui le punissent de sa hardiesse. C’est le mythe de Lucifer, l’ange qui convoite la lumière de Dieu, d’un Dieu jaloux qui le précipite dans les ténèbres infernales. C’est le mythe de Prométhée le soucieux : l’oiseau qui dévore son flanc c’est l’aigle de Jupiter  ; et c’est à son foie qu’il s’attaque, c’est-à-dire à l’organe que les soucis ravagent. Prométhée est l’homme que tourmente l’angoisse métaphysique. Adam, de son côté, n’est-il pas chassé du Paradis pour avoir voulu goûter les délices de la connaissance ? C’est encore le mythe des Géants qui, après avoir entassé Ossa sur Pélion et l’Olympe sur Ossa, essaient d’escalader le ciel afin de détrôner Jupiter et usurper sa puissance : les voilà punis, eux aussi, et précipités pêle-mêle dans les profondeurs du Tartare. Au-dessous de ce thème général du voleur de feu, nous trouvons le mythe des conquérants de l’espace.

Question : L’homme pourra-t-il jamais acquérir la souveraine légèreté de l’oiseau ?
Réponse : Du haut du ciel, Icare est précipité dans la mer, la cire qui retenait ses ailes ayant fondu au souffle de Phébus : on n’approche pas impunément de la divinité. Phaéton, pour avoir eu l’outrecuidance de conduire l’attelage du Soleil, est foudroyé par Jupiter, jeté dans l’Eridan. Belléruphon, monté sur Pégase s’élève dans les cieux : un simple taon (voyez l’ironie de cette antithèse !) que lui délègue Jupiter pique le cheval divin et punit la présomption de l’homme ; Pégase, d’un soubresaut, se déleste de son cavalier qui choit dans les airs et se tue.

● Le mythe tend à expliquer un mystère humain

Ainsi, la vanité de l’effort humain, vanité qui a de quoi confondre la logique de l’occidental actif et constructif, c’est le mythe de Sisyphe et celui des Danaïdes… Mais le mystère qui semble avoir frappé le plus souvent l’imagination est sans doute celui qui s’attache au surhomme, au héros, au poète, au génie. De là l’ensemble impressionnant, des mythes épiques : ce sont Patrocle, Hector, Achille dans l’Iliade, et Siegfried, Gunther dans La légende des Nibelungen. Nous pouvons parfois saisir le passage de l’histoire à la légende. On assiste alors à la naissance du mythe. Ainsi Charlemagne et son neveu Roland ne sont qu’à demi légendaires. Le chevalier Bayard appartient à l’histoire ; mais, par l’ampleur de ses exploits, il entre tout droit dans la légende, et sa figure prend la grandeur du mythe ; elle vient rejoindre dans la mémoire des hommes les noms de Jason, de Thésée, d’Œdipe ou d’Agamemnon. Ce n’est pas n’est pas un écrivain particulier, c’est la rumeur des peuples qui « mythifie » les héros : c’est dans la conscience collective que s’est développé le mythe d’un Alexandre, d’un Charlemagne, d’un Napoléon. Et Balzac a raison de nous présenter un Napoléon supra-historique, simplifié, déformé, agrandi dans le récit qu’en fait un vieux soudard, porte-parole inconscient de la pensée populaire. Plus près de nous, n’avons-nous pas vu des héros entrer vivants dans leur légende ? Guynemer, Lindberg… Entre la guerrière intrépide des temps anciens, l’Amazone de la mythologie gréco-latine, ou les Brunhilde, les Kriemhilde de l’épopée germanique, d’une part, et, d’autre part, l’image héroïque d’une Jean d’Arc, il existe néanmoins une différence considérable : cette dernière, à l’image du Chevalier sans Peur et sans Reproche, donne à l’humanité une haute leçon de morale.

Fonction éthique du mythe

Il y a, observe La Rochefoucauld, des héros en mal comme en bien. Attila, le fléau de Dieu, est un sévère avertissement : c’est le mythe-épouvantail. Napoléon, de son côté, est un professeur d’énergie. Balzac pense de même quand il fait dire à Génestas, qui vient d’entendre « raconter l’Empereur » par Goguelat : « Monsieur, avec des récits pareils, la France aura toujours dans le ventre les quatorze armées de la République… » Tel est le mythe-modèle, celui qui galvanise. Dès les bancs de l’école, l’enfant choisit l’un de ses camarades plus vigoureux, plus décidé, plus hardi que les autres, et il l’idéalise : voilà pour un temps son modèle. Le Grand Meaulnes est l’un de ces héros. Il est le mythe de l’adolescence que ses rêves rendent malheureuse, mais pure, mais exigeante et qui ne transige pas avec son idéal. Il n’est pas difficile de voir que la mythologie est pleine de leçons : Psyché est punie de sa curiosité, et, pour avoir ouvert contre la recommandation de la déesse le coffret que lui avait remis Proserpine, elle est horriblement défigurée. Une série d’épreuves seront nécessaires à son rachat. Ainsi en est-il de l’âme noircie par ses imprudences et que seules une longue pénitence et une égale vertu peuvent rendre à sa blancheur première. Niobé, pour s’être glorifiée de la beauté de ses enfants et avoir oublié la modestie qui sied à une mortelle, voit ses fils succomber sous les coups d’Apollon, ses filles frappées des flèches de Diane. On voit, l’étroite parenté du mythe et de la fable. Ce dernier n’est, qu’un mythe restreint, de caractère familier et dans lequel l’intervention du merveilleux n’est point nécessaire.

La fonction explicative et la fonction éthique sont généralement mêlées. Icare ou Nemrod (le Nemrod de La Légende des Siècles) sont aussi des mises en garde contre les dangers de l’orgueil. En même temps que don Juan illustre le mystère de la séduction universelle et infaillible (fonction explicative), il rappelle à la vertu féminine qu’elle doit être humble et volontiers douter de soi (fonction morale).

Fonction compensatoire et libératrice du mythe

Le mythe appartient à la thérapeutique de l’âme. Il dissout provisoirement ou de façon fictive l’angoisse métaphysique, quand il donne une raison d’être au ciel étoilé ; l’angoisse morale, quand il charge Adam de la faute originelle et qu’il fait espérer le rachat de Psyché ou le pardon de Barabbas. Nous ne pouvons pas douter qu’il ait été aussi efficace sur la mentalité des Anciens qu’il l’est dans la religion actuelle sur les esprits profondément pieux.

L’angoisse métaphysique est une angoisse tout court. L’homme qui en souffre fait un complexe : le mythe vient l’en délivrer. Mais il est bien d’autres complexes : le complexe d’infériorité par exemple. A son égard, le mythe épique joue un rôle équivalent. Il satisfait sur le plan imaginatif le désir de puissance, dans lequel Gerhard Adler a reconnu l’origine d’un grand nombre de névroses. Tous ceux qui ne se sentent pas des héros, mais qui voudraient l’être, se repaissent des aventures du mythe épique sous toutes ses formes, du récit de guerre au roman policier, en passant par l’Iliade et l’Odyssée. Le Capitaine Fracasse en est le type universellement répandu, qu’il s’appelle l’Heautontimoroumenos, le Mile glorious, Matamore ou Giangurgolo. Il se nomme aussi don Quichotte. Et l’on n’a peut-être pas pris garde qu’il se cache en Julien Sorel, ce faux brave, qui rêve d’aventures, séductions, actions glorieuses, mais qui ne conquiert en définitive que des cœurs gagnés d’avance, et qui ne se réalise ni dans le rouge ni dans le noir : il est un raté qui a vécu dans le mythe de Napoléon : il est le mythe d’un mythe. Et il n’a trouvé une apparence de force que dans l’action libératrice de son modèle mythique.

Fonction psychanalytique du mythe

Les derniers points présentés font comprendre que le mythe apparaît aussi chaque fois que le récit imaginaire joue un rôle compensateur moral : souvent il console le poète de ses échecs dans la vie pratique. Le roman est mythique dans la mesure où il permet à l’écrivain d’informer dans la fiction ce que la vie lui a refusé. L’écrivain guérit ainsi de son désir. Jean-Jacques Rousseau, brûlant d’amour platonique pour Mme d’Houdetot, se réalise dans l’action fictive de La Nouvelle Héloïse. Son amour refoulé, il le transpose et le reporte sur la personne de Saint-Preux, l’amant heureux. Stendhal entre en rêve à l’École Polytechnique. Nous ne disons pas « en rêve » au hasard. Le rêve, en effet, est un phénomène à la fois révélateur et partiellement libérateur, dans lequel – sauf en cas d’inhibition totale – le subconscient se décharge de ses contraintes. Le poète, de même, se permet en fiction ce qu’il s’interdit dans la vie pratique : le poème est un exutoire. Le roman noir ou la tragédie sont purification, catharsis ; nous commettons des meurtres par personne interposée, nous tuons en effigie : le mythe nous libère, et la fin de Clytemnestre nous venge des marâtres sans que nos mains s’ensanglantent. Qu’attendent, nos romanciers pour nous donner des récits dans lesquels seront immolés les hommes d’affaires et les régisseurs ? Ils nous purifieraient de bien des pensées homicides…

Le talent littéraire se développe le plus souvent chez des êtres qui souffrent de quelque frustration. L’enfant unique, l’orphelin, l’enfant privé de sa mère (RacineRousseauBaudelaire…), parfois l’enfant privé de succès scolaires, en un mot l’enfant sevré, que ce soit de simple estime, ou d’amitié, ou d’amour fraternel, maternel ou paternel, fait un complexe qui aboutit à la névrose ou se répare dans la fiction : il devient alors un rêveur. Il imagine, il vit en idée ce qu’il ne peut vivre autrement, et se crée par là un monde où il se passe des choses, un monde d’action intérieure, le monde de la fable, du théâtre, du roman.

Il en va de même à l’égard du lecteur. Ce dernier, lorsque lui fait défaut la puissance imaginative nécessaire, trouve dans le roman mythique la nourriture dont son âme est affamée. Que de lectrices ne demandent-elles pas d’abord au roman romanesque la réalisation des sentiments qu’elles attendent en vain de la vie ! De là une double fonction psychanalytique du mythe, qui se trouve libérer de manière directe le créateur-romancier et de manière indirecte l’adepte-lecteur.

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