Le pantoum
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Le pantoum
Le pantoum (ou pantoun) est un poème à forme fixe. Il est emprunté à la poésie malaise et est devenu assez populaire en France par les heureuses imitations qu’en ont faites certains poètes.
Ce poème a été emprunté par les Romantiques à une poésie malaise d’Ernest Fouinet, transcrite en prose par Victor Hugo dans les Notes des Orientales (1829). Le poète y évoque cette forme fixe malaise, « d’une délicieuse originalité », que lui avait fait connaître Fouinet, auteur, en 1830, d’un Choix de poésies orientales. L’orthographe pantoum serait due à une coquille non corrigée par Hugo dans ces notes-là.
Cette forme fixe, appréciée des amateurs d’exotisme et de virtuosité technique, a été en définitive assez peu utilisée par les poètes français. Victor Hugo est le premier à l’évoquer, mais il ne l’a pas employée. Théodore de Banville et Leconte de Lisle en ont donné les exemples les plus proches du modèle original. Le poème que Théophile Gautier sous-titre « pantoum » et qui s’intitule « Les papillons » n’a absolument rien, formellement, d’un pantoum.
Selon Théodore de Banville (Petit Traité de poésie française, 1881), la règle absolue et inévitable du pantoum veut que, du commencement à la fin du poème, deux sens soient poursuivis parallèlement, c’est-à-dire un sens dans les deux premiers vers de chaque strophe, et un autre sens dans les deux derniers vers de chaque strophe.
Le pantoum est composé d’une série de strophes de quatre vers (quatrains), à rimes croisées. Il consiste en ceci, que le second vers de chacune des strophes devient le premier vers de la strophe suivante, et que le quatrième vers de chaque strophe devient le troisième vers de la strophe suivante. De plus le premier vers du poème, qui commence la première strophe, reparaît à la fin, comme dernier vers du poème, terminant la dernière strophe.
Citons comme exemple un passage du poème dont nous parlons :
Suivant de près l’éclair qui brille
Le bruit se rapprochait encor;
Naïve enfant, robuste fille,
Qu’ils étaient beaux nos rêves d’or!Le bruit se rapprochait encor,
C’était un vacarme effroyable,
Qu’ils étaient beaux nos rêves d’or!
Que ton sourire était aimable!C’était un vacarme effroyable,
De lourds rameaux tombaient brisés!
Que ton sourire était aimable!
Ta bouche appelait mes baisers.
Comme on voit, l’auteur a peint deux jeunes amants surpris dans la forêt par l’orage : le vent mugit, les branches tombent fracassées, eux ne pensent qu’à leur amour. L’éclair brille, la foudre gronde, eux, toujours et plus que jamais, ne songent qu’à s’adorer. Ce frappant contraste la tourmente d’un côté, l’amour de l’autre – l’auteur l’a mis en relief dès la première strophe et il l’a conduit jusqu’au bout, surmontant sans apparent effort les difficultés de son œuvre malaise… et malaisée.
Le plus célèbre des pantoums français est celui de Charles Baudelaire, « Harmonie du soir » :
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir;
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir;
Valse mélancolique et langoureux vertige!Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir;
Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige;
Valse mélancolique et langoureux vertige!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige!
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!
La forme, outre l’emploi de l’alexandrin, est ici irrégulière. Le dernier vers ne répète pas le premier. Les deux rimes sont embrassées et non croisées (avec, cependant, inversion du système de strophe en strophe, pour suivre la rotation des vers : abba, baab), et l’entrecroisement thématique n’est pas vraiment respecté. Frédéric Deloffre (Stylistique et poétique françaises, SEDES, p. 161) n’y voit « qu’une légère différence de tonalité, les premières demi-strophes semblant plus sentimentales, les secondes plus sensuelles et plus mystiques ».
On trouve, également, sous la plume de Paul Verlaine, ce qu’il appelle lui-même Pantoum négligé, dans lequel le système de répétition est beaucoup plus fantaisiste, sans doute en lien avec l’intention parodique du poème :
Trois petits pâtés, ma chemise brûle.
Monsieur le curé n’aime pas les os.
Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,
Que n’émigrons-nous vers les Palaiseaux.Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,
On dirait d’un cher glaïeul sur les eaux.
Vivent le muguet et la campanule!
Dodo, l’enfant do, chantez, doux fuseaux.Que n’émigrons-nous vers les Palaiseaux.
Trois petits pâtés, un point et virgule ;
On dirait d’un cher glaïeul sur les eaux ;
Vivent le muguet et la campanule!Trois petits pâtés, un point et virgule
Dodo, l’enfant do, chantez, doux fuseaux.
La libellule erre emmi les roseaux.
Monsieur le curé, ma chemise brûle.
Les répétitions se font selon un schéma qui n’a en rien la régularité récurrente qui caractérise le pantoum dans sa forme codifiée et, de plus, elles se font aussi bien sur un vers entier (v. 3/5, 4/9, 6/11, 7/12, 8/14, 10/13) que sur un demi-vers, avec trois demi-vers qui se répètent : Trois petits pâtés, ma chemise brûle, et Monsieur le curé. Au lieu de reprendre au dernier vers le premier en entier, Verlaine en fait un nouveau, composé du premier hémistiche du vers 2 et du second hémistiche du vers 1. Enfin, le poème est en décasyllabes, comme le veut en principe la norme ; mais il n’y a en rien entrecroisement thématique : c’est plutôt ici le chantonnement plus ou moins absurde de la comptine.
Exemple de pantoum
Sur les bords de ce flot céleste
Mille oiseaux chantent, querelleurs.
Mon enfant, seul bien qui me reste,
Dors sous ces branches d’arbre en fleurs.Mille oiseaux chantent, querelleurs.
Sur la rivière un cygne glisse.
Dors sous ces branches d’arbre en fleurs,
Ô toi ma joie et mon délice!Sur la rivière un cygne glisse
Dans les feux du soleil couchant.
Ô toi ma joie et mon délice,
Endors-toi, bercé par mon chant!Dans les feux du soleil couchant
Le vieux mont est brillant de neige.
Endors-toi bercé par mon chant,
Qu’un dieu bienveillant te protège!Le vieux mont est brillant de neige,
À ses pieds l’ébénier fleurit.
Qu’un dieu bienveillant te protège!
Ta petite bouche sourit.À ses pieds l’ébénier fleurit.
De brillants métaux le recouvrent.
Ta petite bouche sourit.
Pareille aux corolles qui s’ouvrent.De brillants métaux le recouvrent,
Je vois luire des diamants.
Pareille aux corolles qui s’ouvrent,
Ta lèvre a des rayons charmants.Je vois luire des diamants
Sur la montagne enchanteresse.
Ta lèvre a des rayons charmants,
Dors, qu’un rêve heureux te caresse!Sur la montagne enchanteresse
Je vois des topazes de feu.
Dors, qu’un songe heureux te caresse.
Ferme tes yeux de lotus bleu!Je vois des topazes de feu
Qui chassent tout songe funeste.
Ferme tes yeux de lotus bleu
Sur les bords de ce flot céleste!
(Théodore de Banville, « La montagne », in Petit Traité de poésie française, 1881, p. 246)
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