Les querelles littéraires du XVe au XVIIIe siècles

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Les querelles littéraires

du XVe au XVIIIe siècles

Introduction

On a dit que la gent littéraire est très irascible. Il est vrai que les discussions entre lettrés ont souvent dégénéré en disputes dans lesquelles les adversaires se sont prodigué toutes les violences de langage. On pourrait remarquer que les savants, les médecins et autres confrères de profession n’ont pas des relations plus pacifiques. Parfois l’amour de la science et de la vérité est au fond de ces querelles. Mais trop souvent elles naissent, comme celle de Trissotin et de Fadius1, de sentiments mesquins et ne sont que l’expression de la jalousie de métier. Il faut peu de chose pour produire une querelle interminable. Il suffit qu’un auteur critiqué soit soutenu par des amis pour que la division se mette dans la république des lettres. Mais on ne doit donner le nom de querelles littéraires qu’à des démêlés qui intéressent des groupes entiers de personnes et dans lesquels un certain intérêt littéraire est en jeu : hors de là il n’y a que des querelles entre auteurs. Elles peuvent, dans certains temps, devenir atroces. Grégoire de Tours2 raconte comment Astériole et Secondin, qui avaient un grand crédit auprès du roi Théodebert 1er, en vinrent aux mains, et comment Secondin ayant poussé l’acharnement jusqu’à mettre à mort son rival, fut ensuite obligé de se tuer pour se dérober à la vengeance du fils d’Astériole. Voilà une querelle digne d’auteurs rivaux du siècle des Brunehaut et des Frédégonde3.

Les querelles littéraires
Aux XVe et XVIe siècles

Passons sur une grande querelle, moins littéraire que philosophique, celle des Universaux, qui, avec les débats des Réalistes et des Nominaux, remplit tout le Moyen Âge. Au XVe siècle, nous voyons les érudits de la renaissance italienne troubler le monde par le bruit de leurs désaccords. Georges de Trébizonde4 et le cardinal Bessarion5, tous deux Grecs, ouvrirent un démêlé fameux au sujet de Platon, que préconisait l’esprit moderne, contre Aristote, soutenu par la scolastique vieillissante. Marsile Ficin6, président de l’Académie platonicienne, Poggio Bracciolini7, Francesco Filelfo8, étaient les plus belliqueux des lettrés de l’époque. Ils se prirent de lutte avec tous. Filelfo et Timothée (professeur grec) disputèrent sur la valeur d’une syllabe grecque. Le premier paria cent écus. Le second offrit de perdre sa barbe et fut vaincu et rasé. Entre Filelfo et Poggio la guerre de plume fut acharnée. Les érudits du temps se traitaient de bouc puant, de monstre cornu, de scélérat, de parricide, pour des erreurs de détail ou des points d’histoire douteux, à savoir par exemple si Lucius et Aruns étaient fils ou petits-fils de Tarquin9. Georges de Trébizonde, exaspéré un jour des sarcasmes du Pogge, y répondit par des soufflets, et les deux savants eu vinrent à mesurer la force de leurs poings. Le philologue Denis Lambin10 se battit aussi à coups de poing avec Manuce11 pour l’orthographe du mot consumptus. C’était passer la borne des querelles.

Au XVIe siècle, certains humanistes, qui comptaient parmi eux Jules-César Scaliger12, reçurent le nom de Cicéroniens, parce qu’ils préconisaient exclusivement les œuvres de Cicéron. Érasme, dans son Ciceronianus, essaya de faire rentrer cet enthousiasme dans des limites raisonnables. « Scaliger, dit Bayle13, cria là-dessus au meurtre, au parricide, au triple parricide. Il jeta toutes sortes d’ordures sur la tête d’Érasme ; il l’appela cent fois ivrogne. » Un écrivain allemand, Henri d’Eppendorf, porta plainte devant les magistrats de Bille contre ce même Érasme, provocateur à son tour, et qui l’avait injurié. Érasme, pour réparer ses torts, dut donner aux pauvres trois cents ducats. L’histoire littéraire compte encore les vifs démêlés de Mazzoni et de Patrizzi, philosophes italiens du XVIe siècle, à propos du poète grec Sosita… La Jérusalem délivrée14, surfaite par Camillo Pellegrino, ami du Tasse15, provoqua contre ce dernier un flot de libelles et de satires. Le Tasse en appela à l’Académie de la Crusca, mais cette docte compagnie n’intervint dans le débat que pour l’animer et se rangea parmi les adversaires les plus intraitables du Tasse.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles

La Querelle des Anciens et des Modernes, Gallimard, Folio Classique, 2001, poche.

Il y a eu des cabales célèbres qui se formèrent évidemment pour des riens ; telles furent, au XVIIe siècle, celles des Jobelins et des Uraniens, qui firent tant de bruit pour deux sonnets, et dans lesquelles intervint Corneille. Une autre guerre de sonnets non moins retentissante fut celle qui éclata à propos de Phèdre, entre le duc de Nevers, Racine et Boileau, et qui produisit tant de sonnets satiriques sur les mêmes rimes. Elle garda le nom de l’affaire des Sonnets. Mais au premier rang des débats littéraires qui ont un fond sérieux, malgré les malentendus qui les éternisèrent, il faut citer la fameuse querelle des Anciens et des Modernes, qui prend tant de place dans l’histoire littéraire du siècle de Louis XIV, et dont les modernes discussions sur le romantisme ne furent que le lointain contre-coup. La question de l’originalité de Gil Blas16 prit, au XVIIIe siècle, les proportions d’une querelle internationale. Les critiques espagnols la niaient ; en France, excepté Voltaire qui s’y trompa, tout le monde l’admettait. La querelle des classiques et des romantiques a été la dernière des querelles littéraires. On ne semble pas d’humeur à renouveler de ce temps des luttes semblables. On l’a vu par la facilité laissée, dans ces dernières années, aux réalistes d’exposer librement leurs principes, sans rencontrer autre chose qu’une opposition raisonnée parmi les critiques de profession.

Notes
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1. Personnages de Molière parus dans Les Femmes savantes (1672). 

2. Grégoire de Tours (né vers 539 et mort vers 594) était évêque de Tours, historien de l’Église, des Francs et de l’Auvergne. Parmi ses œuvres : Histoire des Francs. 

3. L’histoire des guerres civiles qui, pendant quarante ans, de 573 à 613, ravagent les terres franques est celle de la vendetta que se livrent deux belles-soeurs, les reines Brunehaut et Frédégonde. La première, Brunehaut, fille du roi wisigoth Athanagilde, épouse en l’an 566, Sigebert 1er, roi d’Austrasie. la seconde, Frédégonde, une belle esclave, devient reine après le meurtre de l’épouse en titre de Chilpéric 1er, roi de la future Neustrie. Un meurtre dont elle est présumée coupable. 

4. Georges de Trébizonde, de son vrai nom Géôrgios Trapézountios (né en Crète en 1396 † à Rome en 1472) était philosophe grec, secrétaire pontifical, l’un des principaux humanistes de la Renaissance italienne.). 

5. Basilius Bessarion, Jean Bessarion, ou Basilius, né le 2 janvier 1403 à Trébizonde et mort le 18 novembre 1472 à Ravenne, était patriarche latin de Constantinople et cardinal. 

6. Marsile Ficin (en latin Marsilius Ficinus, en italien Marsilio Ficino), né à Figline Valdarno en Toscane le 19 octobre 1433 et mort à Careggi près de Florence le 1er octobre 1499, était un poète et philosophe italien. 

7. Poggio Bracciolini dit en français Le Pogge (Terranuova, 11 février 1380 – Florence, 30 octobre 1459) était un érudit, un écrivain, un philosophe, un humaniste et un homme politique italien de la Renaissance, qui a été chancelier de la République de Florence de 1453 à 1458. 

8. François Philelphe (en italien Francesco Filelfo, latinisé en Franciscus Philelphus), né en 1398 à Tolentino dans les Marches, et mort en 1481 à Florence, était un lettré italien des débuts de la Renaissance. 

9. Tarquin le Superbe (Lucius Tarquinius Superbus en latin) était le septième et dernier roi de Rome, fils de Tarquin l’Ancien et beau-fils de Servius Tullius. 

10. Denis ou Denys Lambin (latinisé en Dionysius Lambinus), né à Montreuil-sur-Mer en 1516 et mort en 1572, était un humaniste français, considéré comme l’un des plus grands de son époque. 

11. Paul Manuce, forme francisée du nom de Paolo Manuzio (en latin Paulus Manutius) (1512-1574), est un imprimeur et un humaniste vénitien. 

12. Jules César Scaliger, célèbre érudit né en 1484 à Vérone, mort en 1558 à Agen, était fils de Benoît Bordoni, peintre en miniature. 

13. Pierre Bayle, né à Carla-le-Comte en 1647 et mort à Rotterdam en 1706, était un philosophe et écrivain français. 

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14. La Jérusalem délivrée (La Gerusalemme liberata) est un poème épique écrit en 1581 par Le Tasse, retraçant un récit largement de fiction de la Première Croisade, au cours de laquelle les chevaliers chrétiens menés par Godefroy de Bouillon combattent les Musulmans (Sarrasins) afin de lever le Siège de Jérusalem. Le poème est composé de stances de huit lignes, groupées en 20 chants de longueur variable. 

15. Torquato Tasso, connu en français sous l’appellation le Tasse (en italien, il Tasso), est un poète italien, né le 11 mars 1544 à Sorrente (région de Campanie, Italie), mort le 25 avril 1595 à Rome. Il est notamment l’auteur de La Jérusalem délivrée

16. L’Histoire de Gil Blas de Santillane est un roman picaresque publié par Lesage de 1715 à 1735. Il est considéré comme le dernier chef-d’œuvre du genre picaresque. 

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