Octave Mirbeau
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Octave Mirbeau
1848 – 1917
Sommaire
Présentation
Octave Mirbeau, né le 16 février 1848 à Trévières et mort le 16 février 1917 à Paris 8e, est journaliste, romancier, critique d’art et dramaturge français qui, dans ses essais comme dans ses romans, s’est opposé à toutes les valeurs traditionnelles. Il a connu une célébrité européenne et de grands succès populaires, tout en étant également apprécié et reconnu par les avant-gardes littéraires et artistiques.
Des prises de positions déroutantes
Né à Trévières (Calvados), Octave Mirbeau passe ses jeunes années dans un milieu étouffant. Il est élevé « dans le plus parfait abrutissement » dans un collège de jésuites dont il est finalement renvoyé. Cette expérience lui inspire plus tard un roman autobiographique, Sébastien Roch (1890). Il commence des études de droit, qu’il interrompt à cause de son engagement en tant que lieutenant pendant la guerre de 1870. Après la débâcle, il est d’abord accusé de désertion avant d’être lavé de tout soupçon.
En 1872, à Paris, il devient critique d’art et de théâtre pour un journal bonapartiste, L’Ordre, et rédige des éditoriaux politiques à fort relent réactionnaire. En 1883, après s’être fait renvoyer du Figaro, il dirige un hebdomadaire satirique, monarchiste et antisémite à l’existence éphémère, Les Grimaces. Ses pamphlets dénoncent des scandales de toute sorte et les politiciens corrompus. Mirbeau se présente tour à tour comme un nostalgique de la monarchie ou un partisan du césarisme. Ses opinions lui valent de nombreux reproches, ainsi que quelques duels.
En 1891, Octave Mirbeau opère une sorte de conversion politique : il prend fait et cause pour l’anarchisme, qui est pour lui un « idéal social ». Il soutient Ravachol, écrit dans des journaux libertaires et soutient financièrement les militants anarchistes. Devenu anticlérical et antimilitariste, il s’engage dans un nouveau combat qui mobilise toute son énergie dès 1894 : aux côtés d’Émile Zola, il prend la défense de Dreyfus.
Un combat permanent
Les prises de position d’Octave Mirbeau ont semblé déconcertantes à beaucoup de ses contemporains. Ses errements et ses apparentes contradictions ne doivent pourtant pas occulter sa motivation profonde : s’attaquer à l’injustice sociale et à l’oppression sous toutes ses formes. Ces thèmes sont au centre de ses trois premiers romans autobiographiques : Le Calvaire (1886), L’Abbé Jules (1888) et Sébastien Roch (1890). Dans ce dernier, il décrit les mauvais traitements et le viol dont un jeune enfant est victime dans un collège jésuite, avant de périr à la guerre.
Octave Mirbeau attaque la religion, l’État, mais aussi le riche et le bourgeois, coupables d’être « toujours aveuglément contre le pauvre ». On retrouve ce thème dans la pièce de théâtre Les Affaires sont les affaires (1903) et dans son plus célèbre roman, Journal d’une femme de chambre (1900), qui dépeint l’hypocrisie, le vice et la perversion de la bourgeoisie. Profondément pessimiste, Mirbeau ne se fait pas plus d’illusions sur la classe des dominés. La femme de chambre Célestine se perd elle aussi dans le vice, non par amour mais par pure attirance sexuelle. Lorsqu’elle échappe à sa condition, c’est pour devenir une patronne de café méprisante et autoritaire.
Au-delà de la lutte sociale, Octave Mirbeau s’attache également pendant toute sa vie à remettre en cause les formes artistiques traditionnelles. Romancier très populaire (Le Journal d’une femme de chambre s’est vendu à 200 000 exemplaires à sa sortie), chroniqueur redouté mais respecté, il met souvent sa renommée au service d’artistes novateurs. Il fait l’éloge de Vincent Van Gogh (dont il achète les Iris et les Tournesols) et contribue à faire connaître Paul Cézanne, Claude Monet, Aristide Maillol et Auguste Rodin.
En 1896, il est élu à l’académie Goncourt. Il s’éteint le jour de ses 69 ans, à Paris. Ses derniers mots sont pour son ami Sacha Guitry : « Ne collaborez jamais ! ». Vingt ans après sa mort celui-ci ne tarit toujours pas d’éloges à l’égard de ce « grand contradicteur » : « Il n’était pas seulement un grand écrivain. Il était un homme admirable, violent, courageux, éloquent, déterminé, capable de risquer sa vie pour une idée et de donner son sang pour défendre une cause. Il l’a prouvé. »
Extrait : « Vincent Van Gogh » par Mirbeau
Violemment opposé aux valeurs bourgeoises et à toutes leurs formes d’expression, Octave Mirbeau se fait dans ses critiques d’art le défenseur des artistes rompant avec l’esthétique traditionnelle, tels Cézanne, Monet, Rodin et Pissarro. Admirateur des impressionnistes et de Van Gogh, il décrit dans un article publié dans L’Écho de Paris, le 31 mars 1891, quelques mois après le décès du peintre, l’univers tourmenté qui se dégage de ses toiles et dresse le portrait d’un artiste de génie, dont l’art n’a rien à envier aux plus grands noms de l’histoire de la peinture.
[…] Van Gogh était d’origine hollandaise, de la patrie de Rembrandt qu’il semble avoir beaucoup aimé et beaucoup admiré. À un tempérament de cette originalité abondante, de cette fougue, de cette sensibilité hyperesthésiée, qui n’admettait comme guide que ses impressions personnelles, si l’on pouvait donner une filiation artistique, on pourrait peut-être dire que Rembrandt fut son ancêtre de prédilection, celui en qui il se sentit mieux revivre. On retrouve dans ses dessins nombreux, non point des ressemblances, mais un culte exaspéré des mêmes formes, une richesse d’invention linéaire pareille. Van Gogh n’a pas toujours la correction ni la sobriété du maître hollandais ; mais il atteint souvent à son éloquence et à sa prodigieuse faculté de rendre la vie. De la façon de sentir de Van Gogh, nous avons une indication très précise et très précieuse : ce sont les copies qu’il exécuta d’après divers tableaux de Rembrandt, de Delacroix, de Millet. Elles sont admirables. Mais ce ne sont pas, à proprement parler, des copies, des exubérantes et grandioses restitutions. Ce sont plutôt des interprétations, par lesquelles le peintre arrive à recréer l’œuvre des autres, à la faire sienne, tout en lui conservant son esprit original et son spécial caractère. Dans le Semeur, de Millet, rendu si surhumainement beau par Van Gogh, le mouvement s’accentue, la vision s’élargit, la ligne s’amplifie jusqu’à la signification du symbole. Ce qu’il y a de Millet demeure dans la copie ; mais Vincent Van Gogh y a introduit quelque chose à lui, et le tableau prend bientôt un aspect de grandeur nouvelle. Il est bien certain qu’il apportait devant la nature les mêmes habitudes mentales, les mêmes dons supérieurs de création que devant les chefs-d’œuvre de l’art. Il ne pouvait pas oublier sa personnalité, ni la contenir devant n’importe quel spectacle et n’importe quel rêve extérieur. Elle débordait de lui en illuminations ardentes sur tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il touchait, tout ce qu’il sentait. Aussi ne s’était-il pas absorbé dans la nature. Il avait absorbé la nature en lui ; il l’avait forcée à s’assouplir, à se mouler aux formes de sa pensée, à le suivre dans ses envolées, à subir même ses déformations si caractéristiques. Van Gogh a eu, à un degré rare, ce par quoi un homme se différencie d’un autre : le style. Dans une foule de tableaux mêlés les uns aux autres, l’œil, d’un seul clin, sûrement, reconnaît ceux de Vincent Van Gogh, comme il reconnaît ceux de Corot, de Manet, de Monticelli, parce qu’ils ont un génie propre qui ne peut être autre, et qui est le style, c’est-à-dire l’affirmation de la personnalité. Et tout, sous le pinceau de ce créateur étrange et puissant, s’anime d’une vie étrange, indépendante de celle des choses qu’il peint, et qui est en lui et qui est lui. Il se dépense tout entier au profit des arbres, des ciels, des fleurs, des champs, qu’il gonfle de la surprenante sève de son être. Ces formes se multiplient, s’échevellent, se tordent, et jusque dans la folie admirable de ces ciels où les astres ivres tournoient et chancellent, où les étoiles s’allongent en queues de comètes débraillées ; jusque dans le surgissement de ces fantastiques fleurs qui se dressent et se crêtent, semblables à des oiseaux déments, Van Gogh garde toujours ses admirables qualités de peintre, et une noblesse qui émeut, et une grandeur tragique qui épouvante. Et, dans les moments de calme, quelle sérénité dans les grandes plaines ensoleillées, dans les vergers fleuris où les pruniers, les pommiers neigent de la joie, où le bonheur de vivre monte de la terre en frissons légers et s’épand dans les ciels pacifiques aux pâleurs tendres, aux rafraîchissantes brises ! Ah ! comme il a compris l’âme exquise des fleurs ! Comme sa main, qui promène les torches terribles dans les noirs firmaments, se fait délicate pour en lier les gerbes parfumées et si frêles ! Et quelles caresses ne trouve-t-il pas pour exprimer l’inexprimable fraîcheur et les grâces infinies !
Et comme il a compris aussi ce qu’il y a de triste, d’inconnu et de divin dans l’œil des pauvres fous et des malades fraternels !
(Jacqueline Lichtenstein, La Peinture, Paris, Larousse-Bordas, coll. « Textes essentiels », 1997)
Citations choisies d’Octave Mirbeau
- Ceux qui se taisent disent plus de choses que ceux qui parlent tout le temps. (Les Affaires sont les affaires)
- Quand il y a quelque part un homme trop riche, il y a, par cela même, autour de lui, des gens trop pauvres. (Les Affaires sont les affaires)
- Ce n’est pas de mourir qui est triste… c’est de vivre quand on n’est pas heureux… (Le Jardin des supplices, 1899)
- J’ai remarqué que le sentiment patriotique est, de tous les sentiments qui agitent les foules, le plus irraisonné et le plus grossier : cela finit toujours par des gens saouls. (Sébastien Roch, 1890)
- La solitude, ce n’est pas de vivre seule, c’est de vivre chez les autres, chez des gens qui ne s’intéressent pas à vous, pour qui vous comptez moins qu’un chien. (Journal d’une femme de chambre, 1900)
- On vit en travaillant… On ne s’enrichit qu’en faisant travailler. (Le Foyer, 1908)
- Tout le monde a de l’argent… mais personne n’en donne… (Le Foyer, 1908)
- Le ridicule n’existe pas. Ceux qui, pénétrés de cette vérité, osèrent le braver en face, conquirent le monde. (Les Ecrivains, 1925)
- Les moutons vont à l’abattoir, ils ne disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais au moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le petit bourgeois qui les mangera. (La Grève des électeurs, 1902)
- Toute la nature, même celle réputée hideuse, est, pour celui qui sent, qui est ému sincèrement, une source d’éternelle, de toujours neuve beauté. (Combats esthétiques, 1993)
- Les lois sont toujours faites par les riches contre les pauvres. (Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901)
- Si pauvre qu’il soit, un homme ne vit pas que de pain. Il a droit, comme les riches, à la beauté. (Les Mauvais bergers, 1897)
- Ne hais personne, pas même le méchant. Plains-le, car il ne connaîtra jamais la seule jouissance qui console de vivre: faire le bien. (Lettres de ma chaumière, 1885)
- Cette tristesse et ce comique d’être un homme. Tristesse qui fait rire, comique qui fait pleurer les âmes hautes. (Journal d’une femme de chambre, 1900)
- Les hommes passent la moitié de leur temps à se forger des chaînes et l’autre moitié à les porter.
- Le ridicule n’existe pas : ceux qui osèrent le braver en face conquirent le monde.
- Le plus grand danger de la bombe est dans l’explosion de bêtise qu’elle provoque.
Œuvres
Romans
- Le Calvaire, Ollendorff (1886)
- L’Abbé Jules, Ollendorff (1888)
- Sébastien Roch, Charpentier (1890)
- Dans le ciel (1892-1893, en feuilleton dans L’Écho de Paris, première édition en volume en 1989, à L’Échoppe)
- Le Jardin des supplices, Fasquelle (1899)
- Le Journal d’une femme de chambre, Fasquelle (1900)
- Les 21 Jours d’un neurasthénique, Fasquelle (1901)
- La 628-E8, Fasquelle (1907)
- Dingo, Fasquelle (1913)
- Un gentilhomme, Flammarion (1920)
- Les Mémoires de mon ami, Flammarion (1920)
Théâtre
- Les Mauvais Bergers, Charpentier-Fasquelle (1898), pièce en cinq actes
- L’Épidémie, Fasquelle (1898), pièce en un acte
- Vieux ménages, Fasquelle (1901), comédie en un acte
- Le Portefeuille, Fasquelle (1903), comédie en un acte
- Les Affaires sont les affaires, Fasquelle (1903), comédie en trois actes
- Farces et Moralités, Fasquelle (1904), recueil de six pièces en un acte
- Le Foyer, Fasquelle (1908), comédie en trois actes en collaboration avec Thadée Natanson
Récits, contes et nouvelles
- Lettres de ma chaumière, Laurent (1885)
- Cocher de maître (1889)
- Contes de la chaumière, Charpentier (1894)
- Mémoire pour un avocat (1894)
- Dans l’antichambre (Histoire d’une Minute) (1905)
- La Vache tachetée, Flammarion (1918)
- Un homme sensible, Flammarion (1919)
- La Pipe de cidre, Flammarion (1919)
- Les Souvenirs d’un pauvre diable, Flammarion (1921)
- Le Petit Gardeur de vaches, Flammarion (1922)
- La Mort de Balzac, L’Échoppe (1989)
- Contes cruels, Librairie Séguier, 2 volumes (1990)
- Contes drôles, Séguier (1995)
- Amours cocasses et Noces parisiennes, Librairie Nizet (1995)
- Bruxelles, Magellan (2011)
Articles connexes
- Auteurs du XIXe siècle. – Auteurs du XXe siècle.
- Genres littéraires.
- Histoire de la littérature française : le XIXe siècle – le XXe siècle.
- Histoire de la France : le XIXe siècle – le XXe siècle.
- Littérature et engagement au XXe siècle.
- Qu’est-ce que la littérature ? – L’art.
Suggestion de livres
Le Jardin des supplices et autres romans | La Révolution du regard | Sébastien Roch | Journal d’une femme de chambre |