Charles Perrault : Le Petit Poucet (1697)

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Le Petit Poucet (1697)

– Charles Perrault –

Portrait de Charles Perrault

👤 Charles Perrault
Charles Perrault, né le 12 janvier 1628 à Paris et mort dans cette même ville le 16 mai 1703, est un homme de lettres français, célèbre pour ses Contes de ma mère l’Oye. Chef de file des Modernes dans la Querelle des Anciens et des Modernes, il était considéré par ses contemporains comme l’un des grands auteurs du XVIIe siècle. [Lire la suite de sa biographie]

→ À lire aussi : Le conte. – Le conte merveilleux. – Le conte philosophique.

Présentation

Le Petit Poucet est un conte de Charles Perrault appartenant aux huit contes en prose suivis de moralités publiés en 1697 sous le titre Les Contes de ma mère l’Oye ou Histoires et contes du temps passé.

Argument

La famine pousse un couple de bûcherons à prendre la décision d’abandonner ses sept garçons dans la forêt. Mais le plus jeune d’entre eux, le petit Poucet — surnommé ainsi à cause de sa petite taille (« Il était fort petit, et, quand il vint au monde, il n’était guère plus gros que le pouce, ce qui fit qu’on l’appela le petit Poucet. ») —, découvre le projet. Il sème des petits cailloux tout au long du chemin, ce qui lui permet de ramener ses frères jusqu’à la maison. Le père et la mère égarent alors une seconde fois leurs enfants. Le petit Poucet ne peut cette fois retrouver son chemin, car il a semé derrière lui des miettes de pain qui ont été mangées par les oiseaux.

Perdus, les sept garçons frappent à la porte d’une maison qui se trouve être celle d’un ogre, lequel, en rentrant chez lui, repère leur présence (« Je sens la chair fraîche, te dis-je encore une fois, reprit l’Ogre ») et entend les dévorer. Mais le petit Poucet retire les couronnes d’or des sept filles de l’ogre (de petites ogresses qui mangent de la chair humaine comme leur père) pendant leur sommeil, et les place sur la tête de ses frères et sur la sienne. Abusé, l’ogre tranche la gorge de ses propres filles. Découvrant l’affreux spectacle, il chausse ses bottes de sept lieues pour poursuivre les jeunes fuyards. Mais, épuisé, il s’endort sur un rocher creux sous lequel les enfants se sont cachés. Le petit Poucet enfile alors ses bottes de sept lieues et extorque par la ruse le trésor de l’ogre à sa femme.

Charles Perrault donne aussi une seconde version de la fin (« Il y a bien des gens qui ne demeurent pas d’accord de cette dernière circonstance, et qui prétendent que le petit Poucet n’a jamais fait ce vol à l’Ogre […] ») : grâce au bottes de sept lieues, le petit Poucet devient messager du roi et ne revient chez lui qu’une fois fortune faite.

Estampe (1862) de Gustave Doré - Le Petit Poucet, s'étant approché de l'ogre, lui tira doucement ses bottes.

⬆ Estampe (1862) de Gustave Doré – [Le Petit Poucet, s’étant approché de l’ogre, lui tira doucement ses bottes].

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Sources et thèmes

Appartenant au type de contes des « enfants abandonnés dans la forêt », Le Petit Poucet traite, comme Hänsel et Gretel des frères Grimm, des problèmes liés aux relations entre parents et enfants, et entre enfants d’une même fratrie. L’opposition sociale entre riches et pauvres est également importante ; c’est la famine qui déclenche l’intrigue. Se terminant par le retour sain et sauf du héros au domicile parental et non par un mariage du héros, il ferait partie des contes merveilleux destinés dès l’origine aux enfants, contrairement à de nombreux autres contes qui s’adressaient à l’origine à un public adulte.

L’auteur s’inspire de la tradition orale où les enfants abandonnés sont généralement un frère et une sœur et substitue à ce schéma celui du cadet opposé à ses aînés. Il donne au héros un surnom emprunté à un autre conte traditionnel, Pouçot. Le conte de Basile, Nenillo et Nenilla, présente lui aussi le motif des objets semés en route. Charles Perrault ne l’aurait pas connu ou aurait choisi de ne pas l’imiter. Il introduit également le motif des « bottes de sept lieues ».

→ À lire : L’enfance et la littérature.

L'ogre du Petit Poucet s'apprêtant à égorger ses propres filles. Illustration de Gustave Doré, vers 1862.

L’ogre du Petit Poucet s’apprêtant à égorger ses propres filles. Illustration de Gustave Doré, vers 1862.

Interprétations

Le petit Poucet est le cadet des sept frères. Comme il est doux et bon, on le croit stupide. L’aîné est désigné comme le préféré de sa mère. Mais comme le rappelle la moralité : « Quelquefois, cependant, c’est ce petit marmot / Qui fera le bonheur de toute la famille. » Souffre-douleur de la maison, le petit Poucet incarne la revanche des faibles et des humiliés sur les puissants, de la ruse et de l’intelligence et sur la force physique.

Selon Michèle Simonsen, l’ogre et sa femme sont un « doublet fantasmatique » des parents du petit Poucet. En effet, les séjours chez les parents et chez l’ogre et sa femme présentent une série de ressemblances et d’oppositions. Bruno Bettelheim donne une interprétation psychanalytique du conte apparenté des frères Grimm, Hänsel et Gretel, qu’il voit comme l’expression d’une régression infantile. Le chemin semé de cailloux ou de miettes de pain serait un symbole du cordon ombilical que les héros refusent de couper avant d’y être contraints par les circonstances.

→ À lire : Les ogres et les ogresses.

Extrait : Le Petit Poucet
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Abandonnés en pleine forêt par leur parents bûcherons trop pauvres pour les nourrir et les élever, le Petit Poucet et ses six frères sont parvenus jusqu’à une maison, celle d’un ogre qui mange les petits enfants. La femme de l’Ogre, qui veut les sauver, a persuadé son mari d’attendre le lendemain pour les dévorer ; grâce à un stratagème élaboré par le Petit Poucet, les sept frères vont pouvoir recouvrer leur liberté…

Le thème des enfants abandonnés se retrouve dans de nombreux contes apparentés, notamment Hänsel et Gretel des frères Grimm. Comme son frère anglais Tom Pouce, le petit Poucet est l’un des nombreux personnages de petite taille qui, par leur intelligence et leur ingéniosité, parviennent à faire leur propre fortune et celle de leur famille tout entière. L’ogre, personnage traditionnel des contes de fées, pourrait représenter le fantasme du père dévorant ou menaçant (c’est le père bûcheron qui convainc sa femme de perdre les sept frères dans la forêt). On retrouve d’ailleurs dans la maison de l’Ogre la même structure familiale que dans la famille du petit Poucet ; les sept petites ogresses font pendant aux sept frères.

L’Ogre avait sept filles, qui n’étaient encore que des enfants. Ces petites ogresses avaient toutes le teint fort beau, parce qu’elles mangeaient de la chair fraîche, comme leur père ; mais elles avaient de petits yeux gris et tout ronds, le nez crochu, et une fort grande bouche, avec de longues dents fort aiguës et fort éloignées l’une de l’autre. Elles n’étaient pas encore fort méchantes ; mais elles promettaient beaucoup, car elles mordaient déjà les petits enfants pour en sucer le sang. On les avait fait coucher de bonne heure, et elles étaient toutes sept dans un grand lit, ayant chacune une couronne d’or sur la tête. Il y avait dans la même chambre un autre lit de la même grandeur : ce fut dans ce lit que la femme de l’Ogre mit coucher les sept petits garçons ; après quoi, elle s’alla coucher auprès de son mari.

Le petit Poucet, qui avait remarqué que les filles de l’Ogre avaient des couronnes d’or sur la tête, et qui craignait qu’il ne prît à l’Ogre quelques remords de ne les avoir pas égorgés dès le soir même, se leva vers le milieu de la nuit, et prenant les bonnets de ses frères et le sien, il alla tout doucement les mettre sur la tête des sept filles de l’Ogre, après leur avoir ôté leurs couronnes d’or, qu’il mit sur la tête de ses frères, et sur la sienne afin que l’Ogre les prît pour ses filles, et ses filles pour les garçons qu’il voulait égorger.

La chose réussit comme il l’avait pensé ; car l’Ogre, s’étant éveillé sur le minuit, eut regret d’avoir différé au lendemain ce qu’il pouvait exécuter la veille. Il se jeta donc brusquement hors du lit, et prenant son grand couteau : « Allons voir, dit-il, comment se portent nos petits drôles ; n’en faisons pas à deux fois. » Il monta donc à tâtons à la chambre de ses filles, et s’approcha du lit où étaient les petits garçons, qui dormaient tous, excepté le petit Poucet, qui eut bien peur lorsqu’il sentit la main de l’Ogre qui lui tâtait la tête, comme il avait tâté celles de tous ses frères. L’Ogre, qui sentit les couronnes d’or : « Vraiment, dit-il, j’allais faire là un bel ouvrage ; je vois bien que je bus trop hier au soir. » Il alla ensuite au lit de ses filles, où ayant senti les petits bonnets des garçons : « Ah ! les voilà, dit-il, nos gaillards ; travaillons hardiment. » En disant ces mots, il coupa, sans balancer, la gorge à ses sept filles. Fort content de cette expédition, il alla se recoucher auprès de sa femme. Aussitôt que le petit Poucet entendit ronfler l’Ogre, il réveilla ses frères, et leur dit de s’habiller promptement et de le suivre. Ils descendirent doucement dans le jardin et sautèrent par-dessus les murailles. Ils coururent presque toute la nuit, toujours en tremblant, et sans savoir où ils allaient.

L’Ogre, s’étant éveillé, dit à sa femme : « Va-t’en là-haut habiller ces petits drôles d’hier au soir. » L’Ogresse fut fort étonnée de la bonté de son mari, ne se doutant point de la manière qu’il entendait qu’elle les habillât, et croyant qu’il lui ordonnait de les aller vêtir, elle monta en haut, où elle fut bien surprise, lorsqu’elle aperçut ses sept filles égorgées et nageant dans leur sang. Elle commença par s’évanouir, car c’est le premier expédient que trouvent presque toutes les femmes en pareilles rencontres.

L’Ogre, craignant que sa femme ne fût trop longtemps à faire la besogne dont il l’avait chargée, monta en haut pour lui aider. Il ne fut pas moins étonné que sa femme lorsqu’il vit cet affreux spectacle. « Ah ! qu’ai-je fait là ? s’écria-t-il. Ils me le payeront, les malheureux, et tout à l’heure. » Il jeta aussitôt une potée d’eau dans le nez de sa femme et l’ayant fait revenir : « Donne-moi vite mes bottes de sept lieues, lui dit-il, afin que j’aille les attraper. »

(Charles Perrault, Le Petit Poucet, 1697)

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