Port-Royal

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L’abbaye de Port-Royal

– De Port-Royal des Champs à Port-Royal de Paris

Présentation

Port-Royal est une abbaye féminine, célèbre par l’influence morale et littéraire que ses directeurs ont exercé, au XVIIe siècle, sur la société française. En 1204, a eu la fondation de l’abbaye de Port-Royal des Champs. Ensuite, en 1626, l’insuffisance et l’insalubrité de l’ancien établissement font transférer Port-Royal à Paris, au faubourg Saint-Jacques et est connu sous le nom d’abbaye de Port-Royal de Paris.

Port-Royal des Champs

Le Port-Royal des Champs (parfois écrit Port-Royal-des-Champs) est une abbaye féminine fondée en 1204 par Mathilde de Garlande, épouse de Mathieu Ier de Montmorency, à l’occasion du retour de la quatrième croisade. La communauté est d’abord soumise à la règle de saint Benoît, puis à celle de Cîteaux. Elle a beaucoup souffert des guerres des Anglais et des guerres de religion, et elle est tombée dans un grand relâchement, lorsqu’elle est réformée, en 1608, par la Mère Angélique Arnauld. Port-Royal des Champs est le foyer du jansénisme en France.

→ À lire : Le jansénisme.

Louise-Madeleine Cochin, Vue de l'abbaye de Port-Royal des Champs [estampe], 1666-1667.

Louise-Madeleine Cochin, Vue de l’abbaye de Port-Royal des Champs [estampe], 1666-1667.

Située dans la vallée de Chevreuse, cette abbaye est devenue cistercienne en 1225. La mère Angélique de Saint-Jean, de son vrai nom Jacqueline Marie Angélique Arnauld, sœur de Robert Arnauld d’Andilly (1589-1674) et d’Antoine Arnauld, dit le Grand Arnauld, devient abbesse de l’abbaye en 1602 et la réforme en 1609. En 1625, elle acquiert un couvent annexe, situé dans Paris, qui prend le nom de Port-Royal de Paris : les religieuses s’y installent jusqu’en 1648, alors que les bâtiments de Port-Royal-des Champs deviennent un foyer du jansénisme, sous la direction de Saint-Cyran d’abord, à qui la mère Angélique avait confié la direction spirituelle de ses religieuses, puis de Singlin.

ℹ Le jansénisme, c’est quoi ?
Dans l’histoire de la religion et en théologie, le jansénisme est une doctrine chrétienne hérétique sur la grâce et la prédestination, issue de la pensée de Jansénius (exposée dans son ouvrage l’Augustinus en 1640, interprétation de la thèse de Saint Augustin) et selon laquelle, sans tenir compte de la liberté et des mérites de l’homme, la grâce du salut ne serait accordée qu’aux seuls élus dès leur naissance.
Par métonymie, le jansénisme désigne un mouvement politique issu du jansénisme religieux, provoqué par l’opposition de Port-Royal à Louis XIV et qui se prolonge tout au long du XVIIIe siècle. [En savoir plus…]

Saint-Cyran étant emprisonné en 1638, les Arnauld, gagnés à la cause du jansénisme, contribuent à son développement de façon remarquable. Après la publication de l’Augustinus de Jansénius, dont les jésuites obtiennent la condamnation par bulle papale, le Grand Arnauld attaque ceux-ci sur des points précis de la doctrine chrétienne, telle que la fréquente communion. Blaise Pascal, dans ses polémiques Provinciales (1656-1657), rédigées à la demande d’Arnauld, va dans le même sens. Dans cette controverse, ce sont les jésuites qui ont le dessus, soutenus par Rome et par le roi qui ne peut admettre les critiques que les jansénistes font de l’absolutisme. Les religieuses, bien qu’étrangères au débat théologique, sont impliquées dans la condamnation. Pensionnaires et novices sont expulsées de l’abbaye en 1661.

Comme les religieuses de Port-Royal refusent de signer le formulaire par lequel Louis XIV cherche à s’assurer de la soumission des jansénistes, elles sont installées dans d’autres couvents, en attendant qu’elles se décident à accepter la « paix clémentine » du pape Clément IX en 1669. C’est en 1669 que Port-Royal de Paris se sépare de Port-Royal-des-Champs.

Les dix années suivantes sont pour Port-Royal-des-Champs des années de grande activité intellectuelle. La solitude de Port-Royal des Champs produit, de son côté, les ouvrages les plus sérieux de pédagogie et d’instruction. Ceux qu’on appelle les solitaires de Port-Royal, ou encore les messieurs de Port-Royal, vivent dans une certaine austérité auprès de l’abbaye, à Paris, jusqu’en 1637, aux Champs ensuite. Les premiers de ces solitaires sont Antoine Lemaistre et ses frères, de Séricourt et de Sacy.

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Pierre Nicole et Claude Lancelot enseignent dans les Petites Écoles de Port-Royal (où ils ont eu pour élèves Jean Racine et Louis-Sébastien Le Nain de Tillemont) et mènent des recherches sur la langue : Grammaire générale et raisonnée, par Arnauld et Lancelot (1660) ; Logique de Port-Royal, par Arnauld et Nicole (1662). Les Écoles sont fermées en 1656 aux Granges et en 1660 au Chesnay. De Port-Royal sortent également des ouvrages religieux (La Perpétuité de la foi de l’Église catholique touchant l’eucharistie ; 1669).

On doit également à Port-Royal des Champs les estimables traités des Racines grecques, une Méthode grecque, une Méthode latine, un traité de Géométrie, etc. La pensée dominante de ces ouvrages était que les diverses connaissances humaines, les sciences elles-mêmes, sont moins un but qu’un moyen et doivent tendre à ouvrir et développer l’esprit, qui reste toujours supérieur à ces objets d’occupation et presque de divertissement. La seule étude digne de l’homme est celle de la religion, et son seul soin, celui de son perfectionnement et du salut.

Cette réunion d’hommes distingués qui réalisent, au XVIIe siècle, le double type du lettré et du savant chrétien, avait subi profondément l’influence de René Descartes et épousé jusque dans leurs exagérations toutes celles de ses doctrines qui paraissent le mieux servir leur fervent spiritualisme. Tout ce qui est emporté dans le grand mouvement cartésien se rapproche à son tour de ce foyer. La petite école des gassendistes seule s’en écarte. Ils ont eu cette action sérieuse sur le siècle non seulement par leur enseignement, mais aussi par leurs relations avec les grands écrivains. Presque tous ressentent l’influence des messieurs de Port-Royal. Quelques-uns l’acceptent avec enthousiasme. Pierre Corneille, dont le Polyeucte est inspiré de leur doctrine sur la grâce, trouve chez eux des censures bien différentes de celles de l’hôtel de Rambouillet. Nicolas Boileau est en constante communion d’esprit avec eux. Jean Racine, leur élève, un instant brouillé avec ses maîtres, leur revient, et leur approbation venge Phèdre des injustices des cabales. Mme de Sévigné fait ses délices de l’austère morale de Pierre Nicole. Jacques-Bénigne Bossuet a eu avec Antoine Arnauld plus d’affinités qu’il n’en pouvait avouer. Quant à Blaise Pascal, il jette sur l’histoire de la communauté tout l’éclat de son génie : les Provinciales sont un brillant épisode de l’époque de ses persécutions.

Ces dix années sont aussi des années perturbées par les controverses et les oppositions. Lors de l’affaire de la Régale, les jansénistes se situent aux côtés de l’autorité romaine, contre le roi et le gallicanisme. En 1679, les persécutions reprennent. On interdit à l’abbaye de recevoir des novices et Arnauld et Nicole s’exilent aux Pays-Bas. Les controverses ne cessent cependant pas et, en 1705, une bulle papale condamne les jansénistes pour le « silence respectueux » avec lequel ils traitent les textes qui les ont condamnés. En 1709, les dernières religieuses qui refusent un nouveau formulaire sont définitivement chassées des lieux avant qu’on ne démolisse l’abbaye en 1711.

En effet, en 1669, la communauté de Paris et celle des Champs sont séparées par ordre de la cour, et les abbesses de Paris sont nommées par le roi. Elles n’en restent pas moins attachées aux doctrines de leurs anciens directeurs et, par leur refus de signer le Formulaire, soutiennent jusqu’au bout la résistance aux bulles pontificales lancées contre le jansénisme. L’archevêque de Paris, de Péréfixe, dit d’elles qu’elles sont « pures comme des anges, orgueilleuses comme des démons ».

En 1708, Louis XIV obtient de Clément IX une bulle de suppression du monastère et la fait exécuter, l’année suivante, par la dispersion des religieuses. Pour effacer jusqu’aux traces du foyer de cette indépendance, il fait raser, en 1710, les bâtiments de Port-Royal des Champs, et, la haine exagérant les ordres donnés, on convertit l’emplacement de la chapelle en marais, et l’on arrache les morts du cimetière pour les livrer aux plus odieuses profanations.

Parmi les religieuses qui ont résidé à Port-Royal et ont joué un rôle important dans les controverses qui impliquent le jansénisme, la mère Angélique est, en confiant la direction spirituelle de ses religieuses à Saint-Cyran, la véritable introductrice du jansénisme à Port-Royal ; la mère Agnès (Jeanne Catherine Agnès Arnauld), sa sœur, refuse avec fermeté de signer le formulaire en 1661 et est enfermée au couvent de la Visitation de 1663 à 1665 ; Jacqueline Pascal (sœur Sainte-Euphémie), la sœur de Blaise Pascal, entrée à Port-Royal en 1652, est l’une des plus fermes adversaires de tout compromis.

L’histoire de Port-Royal, qui ne réveille plus que de rares et pieux souvenirs au moment où Charles-Augustin Sainte-Beuve entreprend de l’écrire, est redevenue depuis l’objet d’une fervente curiosité littéraire…

Port-Royal de Paris

Le Port-Royal de Paris est une abbaye fondée au XVIIe siècle et située dans le XIVe arrondissement de Paris, sur la rive gauche de la Seine.

La construction de l’abbaye de Port-Royal de Paris a été commandée par Angélique Arnaud, abbesse de l’abbaye cistercienne de Port-Royal-des-Champs dans la vallée de Chevreuse (dans les actuelles Yvelines). Dès 1609, l’abbesse commence à réformer son ordre qui devient le foyer du jansénisme français. En 1625, elle obtient l’autorisation de transférer provisoirement sa communauté à Paris dans l’ancien hôtel de Clagny près de la rue Saint-Jacques.

Les constructions du couvent de Port-Royal, entreprises dès 1643 par l’architecte Antoine Le Pautre, sont organisées autour d’une cour carrée. Celle-ci est entourée d’un cloître formé sur trois côtés de galeries plafonnées de poutres à arcades surbaissées. La chapelle, commencée en 1646 et achevée en 1648, était décorée de peintures de Philippe de Champaigne aujourd’hui exposées au musée du Louvre.

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Plongées dans la tourmente de la querelle janséniste, les religieuses sont expulsées et Port-Royal de Paris se sépare en 1669 de Port-Royal-des-Champs. En 1668, le couvent est légué aux sœurs de la Visitation qui ne se consacrent plus qu’à l’enseignement. Transformé en prison pendant la Révolution, il reçoit en 1795 le service d’allaitement de l’hospice de la maternité et, en 1802, Jean-Antoine Chaptal y fonde l’école des sages-femmes.

L’abbaye Port-Royal s’est occupée d’éducation avec un soin et un succès particuliers. La communauté de Paris a élevé les filles des familles les plus distinguées de la noblesse et de la cour, et les jésuites ont trouvé en elle, sur ce terrain, une concurrence qui n’est pas étrangère aux querelles suscitées sous d’autres prétextes.

De nos jours, ces bâtiments groupés à l’angle du boulevard de Port-Royal et de la rue du Faubourg-Saint-Jacques sont affectés aux services de l’hôpital Cochin.

Sainte-Beuve : Histoire de Port-Royal (extrait)

« Disciple soumis », comme il se présente lui-même, à la philosophie des solitaires de Port-Royal, Charles-Augustin Sainte-Beuve a consacré vingt ans de sa vie (1840-1859) à la rédaction d’une histoire du jansénisme. Ce mouvement de réforme religieux, qui se répand en France depuis 1640, trouve rapidement son centre spirituel à l’abbaye de Port-Royal, dirigée par la famille Arnauld. Les jansénistes, défenseurs de la prédestination, et donc opposants des jésuites, sont condamnés par Rome en 1653. Profitant de la querelle des libertés gallicanes, sujet de dispute entre papauté et royauté, le mouvement parvient à subsister malgré la sanction du pape. Néanmoins, en 1709, de nouvelles querelles conduisent à de nouvelles persécutions : Louis XIV donne l’ordre de détruire Port-Royal et de disperser ses religieuses.

Le jansénisme selon Sainte-Beuve

La destruction des petites écoles, consommée en mars 1660, n’était que le signal : la persécution recommençait, et elle n’allait plus cesser durant les huit années qui suivirent. La formule de la profession de foi, ou, comme on disait, le formulaire qui avait été délibéré et dressé dans la dernière assemblée générale du clergé de 1657, et qui était depuis comme tombé en désuétude, fut repris et remis en vigueur par l’assemblée de 1660-1661. Cette dernière, qui se tenait d’abord à Pontoise, avait été transférée à Paris. Le lundi 13 décembre (1660) au matin, le jeune roi manda aux présidents, ou, comme nous dirions, au bureau de l’assemblée, de le venir trouver au Louvre chez le cardinal Mazarin, où il s’était rendu de bonne heure ; car il désirait que leur rapport pût être fait à l’assemblée dans la matinée même. « Il les attendit jusqu’à dix heures, dit un narrateur bien informé, ces présidents ne s’étant pas pressés de venir plus tôt, parce qu’ils ne croyaient pas qu’on voulût faire tant de diligence. Étant entrés dans la chambre, ils y trouvèrent plusieurs ministres d’État, qui, s’étant tous retirés, les laissèrent seuls avec le roi et le cardinal Mazarin, qui était au lit. Sa majesté leur parla avec assez de civilité, mais néanmoins d’un air qui témoignait quelque fierté affectée ; il leur dit que si M. le cardinal n’eût point été indisposé, il ne leur aurait pas donné la peine de venir, mais qu’il l’aurait prié de se transporter à l’assemblée pour leur faire savoir son intention, qui était d’exterminer entièrement le jansénisme et de mettre fin à cette affaire ; que trois raisons l’y obligeaient : la première, sa conscience ; la seconde, son honneur ; et la troisième, le bien de son État… ; qu’il les priait donc d’aviser aux moyens les plus propres pour vider entièrement cette affaire, et qu’il leur promettait de les aider pour l’exécution de ce qu’ils auraient résolu… » le cardinal prit ensuite la parole ; il dit que Dieu avait inspiré au roi cette résolution, et s’étendit sur tout ce qui s’était passé dans cette affaire, depuis le commencement, insistant plus au long sur les points que le roi avait touchés. Il parla près de cinq quarts d’heure, et le roi l’interrompit plus d’une fois pour témoigner l’affection avec laquelle il appuyait ses paroles. Après que le cardinal eut achevé, M. De Rouen (le président) répondit au roi que cette résolution n’était pas seulement celle d’un roi très-chrétien, mais d’un roi saint ; que le clergé répondrait aux intentions de sa majesté, et qu’il espérait que chacun se mettrait en peine de faire, de son côté, ce qui était de son devoir pour les suivre. Cet archevêque de Rouen était M. De Harlai De Champvalon, le futur archevêque de Paris, et l’homme qui servit le plus efficacement Louis XIV, pendant la plus grande partie de son règne, dans le gouvernement du clergé et dans sa politique ecclésiastique. Bossuet donnait les théories et les doctrines : M. De Harlai avait la connaissance pratique des hommes et du maniement des assemblées. Un historien janséniste, Dom Clémencet, citant quelques-unes des paroles de Louis XIV, adressées aux évêques, ajoute : « c’est ainsi qu’on faisait parler ce grand prince, dont on avait surpris la religion. » On n’avait pas surpris la religion de Louis XIV : elle s’était formée telle en lui dès l’enfance, et il parlait en cela selon son jugement et selon son cœur. « Ce jour-là même, 13 décembre, dit le narrateur janséniste déjà cité, M. le prince (le Grand Condé) étant venu rendre visite au cardinal Mazarin, son éminence lui fit récit de tout ce qui s’était passé le matin ; comment le roi avait parlé de lui-même aux présidents de l’assemblée, et sans avoir été inspiré ni de lui ni de la reine ; de sorte qu’il pouvait dire que sa majesté avait fait paraître sa capacité dans une occasion où les choses qu’il avait à dire, étant d’une matière purement ecclésiastique, semblaient le porter à se faire entendre par quelqu’un de ses ministres. » Quelle fut précisément la cause de cette recrudescence d’animosité, toute dirigée contre Port-Royal ? Une lettre du cardinal de Retz, archevêque de Paris, toujours en titre et toujours errant, courut alors et mécontenta la cour : le cardinal de Retz, qui, au fond, ne demandait pas mieux que de se démettre de son archevêché, marchandait pourtant afin d’avoir des conditions meilleures. Cette lettre qui courut en son nom, et qui maintenait son droit, fut attribuée pour la rédaction aux jansénistes et à M. Arnauld en particulier. Arnauld le niant, il faut l’en croire; elle n’est point de lui ; mais il paraît bien, d’après les mémoires de Joly, qu’elle sortait en effet de plumes jansénistes. Au reste, peu importeront désormais ces accusations de détail. On accusera, l’année d’après, Arnauld d’être l’auteur des écrits en beau style qui se publieront pour la défense de M. Fouquet ; on l’avait bien accusé autrefois d’entretenir une correspondance avec Cromwell. Il n’aura pas de peine à se justifier chaque fois de chacune de ces imputations mensongères qui se succèdent, mais l’habitude du soupçon restera toujours. À dire le vrai, ce n’est pas tel ou tel acte qu’on veut atteindre et incriminer, c’est la tendance janséniste elle-même qu’on veut anéantir, et les faits particuliers ne seront plus que l’occasion ou le prétexte. Pour répondre aux intentions formellement exprimées du roi et du cardinal Mazarin, les résolutions de l’assemblée de 1661 furent donc aussi rigoureuses qu’il se pouvait, et telles qu’on les jugea le plus propres à éteindre entièrement la secte, « à exterminer absolument et bannir bien loin de la France les dogmes de Jansénius. » On décida que le formulaire devrait être signé non-seulement de tous les ecclésiastiques, mais des religieux et religieuses, et même des principaux de collège, régents et maîtres d’école. Quinze jours après ces décisions prises, le cardinal Mazarin mourut (9 mars 1661): les jansénistes, s’ils crurent y gagner quelque chose, se trompèrent ; ils furent désormais poussés plus vivement, et n’eurent plus çà et là que des trêves. Louis XIV régnait. Bien loin, en effet, d’avoir besoin d’être inspiré ou excité par d’autres dans cette recherche qu’il faisait du jansénisme, Louis XIV, je l’ai dit, n’eut qu’à suivre ses propres impressions conçues de bonne heure et ses instincts de roi : « je m’appliquai, écrit-il en ses mémoires et instructions dressés pour son fils, à détruire le jansénisme, et à dissiper les communautés où se formait cet esprit de nouveauté, bien intentionnées peut-être, mais qui ignoraient ou voulaient ignorer les dangereuses suites qu’il pourrait avoir. » C’était le roi très-chrétien, c’était aussi purement et simplement le roi ayant le goût du pouvoir absolu, et de l’entière unité dans les choses de son royaume, qui pensait de la sorte. Il s’était accoutumé à voir dans le jansénisme une de ces productions suspectes, qui grandissent et se développent pendant les régences et sous les frondes, et qu’un bon régime abolit. Politiquement il n’en faisait pas grande différence d’avec le protestantisme : extirper l’un comme l’autre entrait dans son plan d’une monarchie bien ordonnée. On peut dire qu’à part un très-court intervalle de temps qui suivit la signature de la paix de l’Église, les jansénistes eurent toujours Louis XIV déclaré contre eux. À un seul moment, vers cette époque de 1669 où la plénitude de l’ambition et des plaisirs se rencontrait en lui, où il agitait de vastes projets de conquête, passait des La Vallière aux Montespan, et laissait jouer le tartufe, à ce moment qu’on peut dire le moins jésuitique, et même le moins ecclésiastique de son règne, ils parurent obtenir répit et grâce dans son esprit, mais ce ne fut qu’alors. La prévention, combinée à la pensée d’État, le reprit vite et alla croissant. La paix, dite de l’Église, c’est-à-dire la trêve accordée au parti, était rompue dans l’esprit de Louis XIV, bien avant la rupture de 1679. Passé cette heure, les jansénistes, et en particulier Port-Royal, ne traînèrent encore et n’échappèrent qu’à la faveur des divisions si longues entre le pape et le roi dans l’affaire de la régale et des libertés gallicanes ; mais, dès que Rome et Versailles tombèrent d’accord, ils furent écrasés. La signature du formulaire n’était si évidemment qu’un prétexte et un moyen, qu’avant même de la réclamer des religieuses de Port-Royal, on sévit provisoirement contre le monastère. En avril 1661, le lieutenant civil Daubray apporta l’ordre du roi de faire sortir, tant du couvent de Paris, que de celui des champs, les pensionnaires, les postulantes et les novices, avec défense d’en recevoir à l’avenir. Il y a de la sortie de ces jeunes filles de grands récits pathétiques, écrits par les religieuses mêmes, et reproduits par les historiens ; on a la liste de leurs noms, on a presque le dénombrement de leurs sanglots. Il est des douleurs domestiques qu’on ne devrait pas ainsi étaler dans le détail, sous peine de provoquer le sourire des moqueurs, ou même l’impatience des mâles esprits.

Charles-Augustin Sainte-Beuve, Histoire de Port-Royal, reproduction de l’édition de 1860, Paris, INALF, 1961.

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