Tristan et Iseut
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Tristan et Iseut
Sommaire
Présentation
Tristan et Iseut (ou Iseult, Yseut, Yseult, Isolde, Ysolde) est un récit légendaire qui nous a été transmis par plusieurs ensembles romanesques en vers et en proses, composés entre 1150 et 1235.
Ce roman d’aventures a pour origine une ancienne chronique celtique sur le héros de Tristan, dont la légende particulière se mêle peu à peu aux histoires d’aventures chevaleresques. Les amours de Tristant et d’Iseut sont, tour à tour, l’objet de simples lais, de poèmes étendus et de romans en prose. Le sujet appartient essentiellement à ce qu’on appelle « la matière de Bretagne », mais il se modifie suivant le génie des auteurs qui le traitent et des pays où il passe.
ℹ La matière de Bretagne
La matière de Bretagne désigne un ensemble de contes et de légendes d’origine celtique, écrits au Moyen Âge, qui se transmettaient initialement de manière orale. Dans ceux-ci on retrouve des personnages et des lieux qui sont, aujourd’hui, passés dans la culture populaire comme le roi Arthur, les chevaliers de la Table Ronde ou Tristan et Iseut.
Dans la légende bretonne, les amours de Tristant et d’Iseut restent poétiques, idéales, nuageuses et symboliques. Avec les trouvères normands, elles deviennent moins pures, plus positives, laissent moins de place à la pitié et plus de prise à la raillerie. Le lai se fait fabliau ; le poème tourne à la prose. Chez les conteurs provençaux, l’imagination élargit et transforme la légende, le héros Tristan devient un type vivant de toutes les qualités chevaleresques, et sa vie, pleine d’aventures et d’exploits, touche à toutes les fables de la Table Ronde.
ℹ Le lai et le fabliau
▪ Le lai est une forme poétique et musicale de longueur variable, en strophes plus ou moins complexes, en usage surtout aux XIVe et XVe siècles.
→ Le lai.
▪ Le fabliau est un conte populaire en vers, satirique ou moral.
→ Le fabliau.
Tristan et Iseut : la version française
Des poèmes français sur Tristan et Iseut, on ne connaît que des fragments qui ont un caractère de haute antiquité. Ils ont été publiés par Francisque Michel dans son remarquable recueil des Poèmes de Tristan (The Poetical romances of Tristan in French, in Anglo-Norman and in Greek ; Londres, 1835-1839, 3 vol. in-18). L’un de ces poèmes, où l’on reconnaît l’esprit normand, est attribué à un trouvère nommé Bérox, sur la vie duquel on n’a aucun détail. L’auteur de l’autre poème, dont on possède des fragments, se nomme Thomas. Gottfried de Strasbourg, qui déclare l’avoir pris pour guide, l’appelle Thomas de Bretagne. On ne sait rien de plus sur lui. Dans son récit, comme dans celui de Gottfried, l’imagination propre au roman de chevalerie se donnait librement carrière. Aussi est-ce d’après la version allemande complétée par les continuations de Gottfried, qu’on peut se faire le mieux une idée des incidents et aventures qui viennent compliquer la noble légende.
D’après cette version, Tristan, « le Triste », est fils de la belle Blancheflore, héroïne si populaire elle-même des romans de chevalerie. Il a été conçu dans la douleur et mis au jour dans le deuil ; sa naissance a coûté la vie à sa mère, en butte aux poursuites des ennemis qui ont tué son mari et qui menacent la vie de son fils. Après toutes sortes d’aventures et de combats, l’orphelin Tristan, qui a vengé son père, est chargé de conduire au roi Mark, son oncle, la belle Iseut, fille du roi d’Irlande, qu’il a lui-même proposée à son oncle de prendre pour fiancée. La mère d’Iseut lui a confié, au départ, un philtre qui doit inspirer un amour éternel aux futurs époux. Mais, pendant la traversée, Tristan et Iseut dévorés de soif boivent le breuvage magique, et ils éprouvent l’un pour l’autre une passion irrésistible. Le roi Mark est longtemps trompé par des ruses qui se renouvellent chaque jour. Une femme dévouée à Iseut se glisse, le soir, à sa place dans le lit nuptial, où l’épouse infidèle n’entre qu’à l’aurore. La fraude est enfin dévoilée, et les deux coupables, bannis de la cour, mènent une vie errante, toujours en proie à la même passion qu’un commun sentiment de chasteté les empêche toujours d’assouvir. Ils s’endorment ensemble dans les grottes de la forêt, séparés l’un de l’autre par l’épée nue de Tristan, symbole de la pureté de leurs pensées. Le roi Mark, attendri, fait lui-même autour d’eux un rideau de feuilles et de branchages. En vain, Iseut rentre en grâce auprès de son époux, le philtre magique la ramène toujours malgré elle entre les bras de son amant. Tristan, de son côté, a beau fuir, il va en Normandie, en Allemagne, il rencontre une autre Iseut, « Iseut aux blanches mains », qu’il s’efforce d’aimer et à laquelle il adresse des vers. La première Iseut, « Iseut la blonde », est toujours l’objet de sa pensée et de ses chants. Pour mettre une barrière de plus entre lui et son amante, Tristan épouse la seconde Iseut, mais il reste fidèle à son premier amour, en respectant la virginité de son épouse. Les incidents du poème rapprochent les deux femmes dans une lutte de beauté et d’amour. Tristan, qui a été blessé mortellement, appelle Iseut la blonde auprès de lui, et expire à la vue de la barque qui lui amène son amante. Celle-ci meurt de douleur sur son cercueil. Un rosier et un cep de vigne sont plantés, par l’ordre du roi Mark, sur leur tombe commune, et entrelacent bientôt leurs racines dans le sein de la terre.
Dans le poème normand de Bérox, le breuvage enchanté n’avait de pouvoir que pour trois ans. Quand son effet cesse, les deux amants sont livrés en proie à la désillusion et aux regrets. Ils trouvent leur existence vagabonde misérable, et Tristan s’empresse de rendre la femme qu’il n’aime plus au roi Mark, son légitime époux. Cette variante constitue l’originalité de la version normande. La plupart des conteurs français et étrangers ont préféré ce dénouement dramatique et touchant.
« Seigneurs, vous plairait-il d’entendre un conte d’amour et de mort ? »
La plus ancienne version complète que nous possédions de Tristan et Iseut est le Tristan de l’Allemand Eilhart von Oberg (vers 1170). Blanchefleur, la reine de Leonis, meurt en mettant son fils au monde. On l’appelle aussitôt Tristan, en souvenir de sa triste naissance. Devenu adolescent, Tristan part incognito à la cour de son oncle, le roi Marc de Cornouailles, pour achever son éducation. C’est là qu’il accomplit son exploit, en tuant le frère de la reine d’Irlande, le Morhout, qui réclamait chaque année un tribut de jeunes Cornouaillais. Parti peu après en quête d’une épouse pour son oncle, il accomplit bientôt son second fait d’armes en anéantissant un dragon qui dévastait le royaume d’Irlande. Le prix de la victoire est Iseut la Blonde, la fille du roi d’Irlande, en laquelle Tristan « reconnaît » la jeune fille aux merveilleux cheveux d’or que le roi Marc désirait épouser. Pendant la traversée, Tristan et Iseut boivent par mégarde un philtre d’amour que la reine d’Irlande avait préparé pour sceller l’union de sa fille et du roi Marc. Ils sont alors pris d’une passion telle qu’ils ne peuvent être longtemps séparés l’un de l’autre sans mourir. En Cornouailles, où Iseut a épousé Marc, les amants parviennent à se cacher un an durant, mais ils sont bientôt dénoncés au roi, qui finit par les prendre en flagrant délit. Ils parviennent à s’enfuir dans la forêt du Morrois, où ils mènent une existence libre, mais misérable. Quatre ans ont passé depuis la traversée, et l’effet magique du philtre s’estompe. Marc accepte de reprendre Iseut auprès de lui, mais Tristan doit partir. En exil, il multiplie les exploits chevaleresques, se marie avec Iseut aux Blanches Mains, mais ne consomme pas le mariage : il aspire en effet toujours à revoir Iseut la Blonde. Les amants parviennent à se retrouver à plusieurs reprises, en déjouant, toujours de justesse, la surveillance des barons de Marc. Grièvement blessé au cours d’une aventure mineure, Tristan envoie un messager chercher Iseut, qui seule peut le guérir, et convient avec lui d’un code : s’il parvient à la ramener près de lui, la voile du navire sera blanche. Sinon, elle sera noire. Mais Iseut aux Blanches Mains annonce à Tristan que la voile est noire, alors qu’elle est blanche, et il meurt aussitôt. Iseut expire à son tour sur le corps de son amant. En apprenant la nouvelle, ainsi que l’existence du philtre, Marc regrette son attitude passée, et ordonne que l’on plante sur les tombes deux arbres dont les branches, en grandissant, se mêleront si étroitement qu’elles ne pourront être séparées.
Un mythe subversif ?
Àétudier le récit de Tristan et Iseut, un paradoxe frappe d’emblée : si la trame de l’histoire semble se diffuser très tôt (elle circule oralement en terre celtique sans doute dès la première moitié du XIIe siècle), les premiers témoins manuscrits dont nous disposons sont rares et fragmentaires. Deux textes au moins semblent avoir été perdus, et les versions en vers de Béroul et de Thomas d’Angleterre (ou Thomas de Bretagne), écrites toutes deux en français (anglo-normand), sont tronquées. Quant aux quelques récits qui nous sont parvenus au complet, ils ne s’intéressent qu’à un épisode de l’histoire des amants (Le Lai du Chèvrefeuille de Marie de France, les deux Folies de Berne et d’Oxford).
Cette étrangeté a conduit la critique à formuler l’hypothèse d’une censure qui se serait attachée à freiner la diffusion écrite de la légende. Force est en effet de constater le caractère immédiatement singulier et marginal qu’offre au Moyen Âge l’histoire de Tristan et d’Iseut. Essentiellement évoqué sous l’angle d’un désir physique irrépressible (désir que l’alibi du philtre ne parvient pas vraiment à légitimer : la passion survit à l’épuisement de l’effet de la boisson magique chez Béroul et chez Eilhart), le lien amoureux est essentiellement vécu par les amants eux-mêmes sous le mode d’un enferment destructeur (à l’inverse de la relation courtoise, qui se fonde sur adhésion libre de la volonté et qui est source d’épanouissement). D’autre part, la relation adultère y est constamment exposée au scandale. Contrairement à l’amour secret célébré par les troubadours et à la passion de Lancelot et Guenièvre, passion illicite mais intégrée dans la société chevaleresque, la relation de Tristan et Iseut est vite en proie aux médisances, et doit se vivre dans l’espace sauvage de la forêt.
De fait, mises à part des adaptations allemandes témoignant de l’intérêt suscité par les premiers textes français (notamment celle de Gottfried de Strasbourg), seule la version « courtoise » de la légende, le Tristan en prose (composé en 1230), connaît une diffusion écrite réellement importante au Moyen Âge. C’est également cette version qui reçoit l’écho le plus étendu et le plus durable dans toute l’Europe, du Moyen Âge jusqu’au début du XIXe siècle. La redécouverte des premiers textes en vers marque cependant un regain d’intérêt pour le versant sombre de la légende. C’est essentiellement ce versant qui alimente depuis la seconde moitié du XIXe siècle les relectures du mythe de Tristan et Iseut, aussi bien en littérature qu’en musique et qu’au cinéma.
Prospérité de Tristan et Iseut
Le roman de Tristan et Iseut a fait le tour complet de l’Europe au Moyen Âge. On en signale non seulement des versions provençales et anglo-normandes, mais des traductions et des imitations espagnoles, italiennes, allemandes, scandinaves, slaves, grecques, etc. De la poésie, il est passé dans la prose, et il faut mentionner sous cette forme la traduction de Luce del Gast, qui est la première et a eu beaucoup de popularité.
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