Maguerite Duras : Moderato cantabile (1958)

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Marguerite Duras

Moderato cantabile (1958)

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👤 Marguerite Duras, née le 4 avril 1914 à Gia Định près de Saïgon, alors en Indochine française, et morte le 3 mars 1996 à Paris, est une écrivaine, dramaturge et cinéaste française. Elle est l’une des figures les plus importantes de la littérature française du XXe siècle. [Lire la suite de sa biographie]

Présentation

Photo de Marguerite DurasModerato cantabile est un roman de Marguerite Duras, publié en 1958.

Moderato cantabile marque l’aboutissement pour Marguerite Duras d’un art romanesque suggestif tourné vers l’intériorité des êtres soumis à la fatalité de la passion amoureuse.

L’histoire se déroule dans une petite ville portuaire de France et se concentre sur une femme, Anne Desbaresdes, et son fils.

Le roman explore les thèmes de l’ennui, de l’aliénation et du désir à travers la relation complexe entre Anne et Chauvin, un homme qui enseigne le piano à son fils. Le titre du livre fait référence à la musique et à la façon dont les personnages tentent de trouver un rythme dans leurs vies souvent tumultueuses.

Moderato Cantabile est loué pour sa prose minimaliste et poétique, ainsi que pour son exploration subtile des émotions humaines et des dynamiques sociales.

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Le vestige du désir

L’intrigue se réduit à un événement unique, un crime passionnel dont Anne Desbaresdes et Chauvin ont été les témoins si privilégiés, bien qu’ils y soient totalement étrangers, qu’ils éprouvent le besoin de se retrouver dans le café où il a eu lieu afin de tenter de comprendre et de reconstruire les mobiles des amants. Fascinés par ce modèle étrange de l’amour, ils sombrent dans le vertige du désir qu’ils ont imaginé et, résistant à la tentation d’entrer dans son halo mortifère et inéluctable, ils se séparent après un unique baiser.

Réduplication et résonance

Essentiellement construit sur le dialogue, le roman se concentre sur l’entrelacement des deux thèmes principaux — la musique et l’amour — et joue de leurs variations et de leurs modulations dans une structure rigoureuse qui découpe le temps de façon mathématique. Le choix de la réduplication et de la résonance dans le traitement des thématiques traduit le motif durassien de l’incomplétude inhérente à l’amour, toujours vécu chez Marguerite Duras comme une défaite annoncée, une résignation contrainte de l’être face à la grandeur et à la violence du mot qui emporte tout.

Ivresses

Le thème de l’ivresse reprend — en mineur — celui du vertige amoureux et dévorant. Si le vin que Chauvin donne à Anne symbolise la nature de leur échange, aussi enivrant qu’impossible dans cette province bourgeoise où le scandale de l’adultère gronde, il est également le signe de l’amour névrotique qu’Anne porte à son fils et qui la noie, au point qu’elle ne peut s’accepter pleinement que dans cette fusion maternelle, réplique de l’abandon du moi auquel sa vie, saturée d’ennui, l’a conduite.

Moderato cantabile a été adapté à l’écran par Peter Brook en 1960.

Extrait : Moderato cantabile (chapitre 2)

Un homme et une femme se rencontrent, qui ont vu, la veille, dans ce café, la même scène. Mais la femme ment. Dit n’avoir pas vu. Le roman se bâtit sur ce mensonge, ce moment supposé qui lui aurait échappé, et dont, par conséquent, elle appelle le récit. On notera l’importance du vin, du suspens qu’il instille, de l’absence qu’on sait qu’il peut offrir. L’écriture se construit autour de ce suspens, de cette absence. Et d’une réticence, dont, ici, l’enfant se fait la parole.

Le lendemain, alors que toutes les usines fumaient encore à l’autre bout de la ville, à l’heure déjà passée où chaque vendredi ils allaient dans ce quartier,

— Viens, dit Anne Desbaresdes à son enfant.

Ils longèrent le boulevard de la Mer. Déjà des gens s’y promenaient, flânant. Et même il y avait quelques baigneurs.

L’enfant avait l’habitude de parcourir la ville, chaque jour, en compagnie de sa mère, de telle sorte qu’elle pouvait le mener n’importe où. Cependant, une fois le premier môle dépassé, lorsqu’ils atteignirent le deuxième bassin des remorqueurs, au-dessus duquel habitait Mademoiselle Giraud, il s’effraya.

— Pourquoi là ?

— Pourquoi pas ? dit Anne Desbaresdes. Aujourd’hui, c’est pour se promener seulement. Viens. Là, ou ailleurs.

L’enfant se laissa faire, la suivit jusqu’au bout.

Elle alla droit au comptoir. Seul un homme y était, qui lisait un journal.

— Un verre de vin, demanda-t-elle.

Sa voix tremblait. La patronne s’étonna, puis se ressaisit.

— Et pour l’enfant ?

— Rien.

— C’est là qu’on a crié, je me rappelle, dit l’enfant.

Il se dirigea vers le soleil de la porte, descendit la marche, disparut sur le trottoir.

— Il fait beau, dit la patronne.

Elle vit que cette femme tremblait, évita de la regarder.

— J’avais soif, dit Anne Desbaresdes.

— Les premières chaleurs, c’est pourquoi.

— Et même je vous demanderai un autre verre de vin.

Au tremblement persistant des mains accrochées au verre, la patronne comprit qu’elle n’aurait pas si vite l’explication qu’elle désirait, que celle-ci viendrait d’elle-même, une fois cet émoi passé.

Ce fut plus rapide qu’elle l’eût cru. Anne Desbaresdes but le deuxième verre de vin d’un trait.

— Je passais, dit-elle.

— C’est un temps à se promener, dit la patronne.

L’homme avait cessé de lire son journal.

— Justement, hier à cette heure-ci, j’étais chez Mademoiselle Giraud.

Le tremblement des mains s’atténua. Le visage prit une contenance presque décente.

— Je vous reconnais.

— C’était un crime, dit l’homme.

Anne Desbaresdes mentit.

— Je vois… Je me le demandais, voyez-vous.

— C’est naturel.

— Parfaitement, dit la patronne. Ce matin, c’était un défilé.

L’enfant passa à cloche-pied sur le trottoir.

— Mademoiselle Giraud donne des leçons à mon petit garçon.

Le vin aidant sans doute, le tremblement de la voix avait lui aussi cessé. Dans les yeux, peu à peu, afflua un sourire de délivrance.

— Il vous ressemble, dit la patronne.

— On le dit — le sourire se précisa encore.

— Les yeux.

— Je ne sais pas, dit Anne Desbaresdes. Voyez-vous… tout en le promenant, je trouvais que c’était une occasion que de venir aujourd’hui ici. Ainsi…

— Un crime, oui.

Anne Desbaresdes mentit de nouveau.

— Ah, je l’ignorais, voyez-vous.

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(Marguerite Duras, Moderato cantabile, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Double », 1990)

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