Marquis de Sade
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Marquis de Sade
1740 – 1814
Il est très doux de scandaliser : il existe là un petit triomphe pour l’orgueil qui n’est nullement à dédaigner.
(Marquis de Sade, La Philosophie dans le boudoir)
Sommaire
Donatien Alphonse François de Sade, dit Marquis de Sade, né le 2 juin 1740 à Paris et mort le 2 décembre 1814 à Saint-Maurice (Val-de-Marne), est un homme de lettres, romancier, philosophe et homme politique français, longtemps voué à l’anathème en raison de la part accordée dans son œuvre à l’amour, associé à des actes de violence et de cruauté. Détenu sous tous les régimes politiques (monarchie, république, consulat, empire), il est emprisonné pour divers motifs, notamment pour dettes, empoisonnement, abus et pour modérantisme. Sade est donc un écrivain radicalement subversif qui pousse, notamment dans Justine ou les Malheurs de la vertu, les fantasmes de perversion à leurs limites les plus extrêmes.
Un aristocrate débauché
Né en Provence le 2 juin 1740, aristocrate provençal de grande noblesse, le marquis de Sade, de son vrai nom Donatien Alphonse François, connaît très tôt l’exemple de mœurs tout à fait dissolues. Son oncle et tuteur, malgré sa qualité d’abbé, est jeté en prison (1762) en raison de l’existence scandaleuse qu’il mène. Le jeune Sade, après avoir fait des études chez les Jésuites, au collège Louis-le-Grand, entre dans l’armée et connaît une brillante carrière militaire. Il en sort rapidement en 1763 et se laisse marier à une riche héritière, Renée de Montreuil, qui appartient à une famille de magistrats, et avec qui il a deux fils et une fille. Elle se montre, dans l’adversité, une épouse fidèle et dévouée.
La même année, il fait un premier séjour en prison pour faits de la débauche. À partir de ce moment, sa vie est ponctuée d’emprisonnements de plus en plus longs, coupés par des intervalles de liberté qu’il met à profit pour accomplir de nouvelles incartades. Sur les soixante-quatorze années que dure son existence, Sade en passe ainsi près de la moitié en prison.
En 1772, il est condamné à mort par contumace, accusé d’avoir voulu emprisonner des filles de joie. Ayant fui en Italie, il y est incarcéré, s’évade et rentre à Paris. Mais sa belle-mère a obtenu une lettre de cachet contre lui et il se retrouve prisonnier à Vincennes, puis à la Bastille (1777). Il n’est plus libéré qu’en 1790, après avoir été transféré à Charenton : quelques jours avant le 14 juillet 1789, il avait tenté d’ameuter le peuple en hurlant depuis sa cellule qu’on égorgeait les prisonniers ! Considéré arbitrairement comme fou à partir de 1804, il finit ses jours interné à Charenton, le 2 décembre 1814.
Un écrivain maudit
La Révolution lui rend la liberté mais le voue aussi à la misère. Sa femme, après lui avoir témoigne beaucoup de fidélité et d’affection, comme en atteste leur correspondance, a obtenu le divorce. Il se lance alors dans l’activité politique et devient le président de la section des Piques, où se rassemblent les sans-culottes extrémistes. Arrêté comme suspect sous la Terreur, il reste en prison jusqu’en 1794. C’est là qu’il poursuit une œuvre commencée plus de dix ans auparavant et dont la publication débutera en 1791. Ces différents ouvrages, qui sont autant d’apologies de la violence et de la cruauté infligée par plaisir, inquiètent la censure. Il se trouve de nouveau interné en 1801 et en l’absence de tout jugement, il reste enferme à l’hospice des aliénés de Charenton, où il continue à écrire.
Condamné à son époque, redécouvert par les surréalistes, admiré par les uns, plaint par ceux qui voient en lui une victime de l’arbitraire, il garde le triste privilège d’avoir attaché son nom à l’horreur de la violence gratuite et au plaisir de faire souffrir.
Des écrits subversifs
Les romans de Sade se présentent souvent comme une succession de tableaux d’une cruauté presque insoutenable, alternant avec les longues dissertations morales ou métaphysiques que l’auteur place dans la bouche de ses héros. L’art romanesque reste dans la continuité de l’époque : c’est en effet davantage par la nature de son propos que Sade a rompu avec toute tradition.
C’est le cas en particulier de la Nouvelle Justine ou les Malheurs de la Vertu, suivie de l’Histoire de Juliette, sa sœur (1797), dont le premier volet fait suite à une première Justine écrite avant 1790, et dont le second est plus connu sous le titre Juliette ou les Prospérités du Vice. Les deux récits, parfaitement complémentaires, mettent en scène deux sœurs dont la première, Justine, ne connaît que des expériences terribles par son obstination à rester vertueuse. En revanche, sa sœur Juliette s’adonne au vice sans remords ni souci de morale, cherchant à satisfaire tous les désirs que lui dicte sa nature, et sort victorieuse de toutes les situations.
Autre ouvrage également célèbre : les Cent Vingt journées de Sodome (écrit avant 1789 et publié pour la première fois en 1931-1935), que Jean Paulhan désigna comme « l’Évangile du mal ». Dans ce récit presque insoutenable qui emprunte quelques-uns de ses traits au roman gothique, quatre bourreaux, tous de haute naissance, font subir en toute impunité d’infinis supplices à un groupe de jeunes femmes prisonnières dans leur château isolé. Les descriptions minutieuses des sévices physiques infligés aux victimes se suivent avec une régularité accablante dans ce qui fait figure d’inventaire quasi exhaustif des perversions sexuelles.
Si la violence des scènes est subversive, les questions philosophiques posées le sont plus encore. Aline et Valcour ou le Roman philosophique (1795), le plus classique de ses ouvrages sur le plan romanesque, et la Philosophie dans le boudoir (1795) en témoignent. Attaquant les tabous fondateurs de la civilisation occidentale, Sade, radicalement athée, entraîne le lecteur dans un vertigineux renversement des valeurs et pose comme principe absolu l’obéissance aux seules lois de la nature, qui impliquent pour lui la recherche du plaisir des sens et la liberté totale de l’individu.
Tout au long du XIXe siècle, son œuvre, pourtant connue et admirée de Sainte-Beuve, Baudelaire et Flaubert, demeure interdite. Guillaume Apollinaire et les surréalistes contribuèrent par la suite à sa progressive réhabilitation.
Justine ou les Malheurs de la vertu (1791)
Justine ou les Malheurs de la vertu est le premier ouvrage du marquis de Sade publié de son vivant, en 1791, un an après avoir été rendu à la liberté par la Révolution et l’abolition des lettres de cachet. C’est aussi la deuxième version de cette œuvre emblématique, sans cesse récrite, qui a accompagné Sade tout au long de sa vie.
Devenue orpheline, Justine est renvoyée de son couvent. Livrée à elle-même, elle mène à Paris une vie de misère. Lorsqu’elle trouve une place auprès de l’usurier Du Harpin, ce dernier finit par la faire condamner injustement pour n’avoir pas voulu céder à ses propositions malhonnêtes. Justine est enfermée à la Conciergerie dont elle parvient à s’évader pour affronter d’autres terribles épreuves : les abus du comte de Bressac, du chirurgien et libertin Rodin, de quatre moines lubriques, du comte de Gernande… Et lorsque le bonheur semble à portée de main, comme par une volonté divine, les éléments s’acharnent sur la pauvre et vertueuse Justine.
Justine est un livre qui scandalise au XVIIIe siècle, mais surtout il fait peur : très vite on sent que la subversion l’emporte sur l’obscénité. C’est pourquoi les contemporains lui refusent ce minimum de tolérance dont bénéficient ordinairement les écrits licencieux. Justine, on la rejette en bloc, sans appel, on voudrait la voir anéantie. L’œuvre marque la naissance de la mythologie sadienne.
Avec Justine, Sade se moque de la vertu en martyrisant avec délice son infortunée héroïne, mais le philosophe nous pousse également à nous questionner : le Mal n’est-il pas le juste état des choses, n’a-t-il pas été de tout temps l’arme des puissants ? La Vertu n’est-elle pas l’équilibre irréel de l’âme, un équilibre instable ?
La dédicace témoigne de la conscience qu’a son auteur de l’originalité de son ouvrage :
Le dessein de ce roman est nouveau sans doute ; l’ascendant de la Vertu sur le Vice, la récompense du bien, la punition du mal, voilà la marche ordinaire de tous les ouvrages de cette espèce ; ne devrait-on pas en être rebattu ! Mais offrir partout le Vice triomphant et la Vertu victime de ses sacrifices, montrer une infortunée errante de malheurs en malheurs, jouet de la scélératesse ; plastron de toutes les débauches ; en butte aux goûts les plus barbares et les plus monstrueux ; […] n’ayant pour opposer à tant de revers, à tant de fléaux, pour repousser tant de corruption, qu’une âme sensible, un esprit naturel et beaucoup de courage ; hasarder en un mot les peintures les plus hardies, les situations les plus extraordinaires, les maximes les plus effrayantes, les coups de pinceau les plus énergiques, dans la seule vue d’obtenir de tout cela l’une des plus sublimes leçons de morale que l’homme ait encore reçue ; c’était, on en conviendra, parvenir au but par une route peu frayée jusqu’à présent.
Le succès de scandale du roman est certain. Il est attesté par Louis-Sebastien Mercier — qui affirme que « Justine ou les malheurs de la vertu est étalé sur des planches » du Palais-Royal devenu Palais-Égalité — ainsi que par le nombre des rééditions (5 jusqu’en 1801).
La première critique connue paraît fin 1791 dans la Feuille de correspondance du libraire et accepte le point de vue de l’auteur défendu dans la préface :
Si pour faire aimer la vertu on a besoin de connaître l’horreur du vice tout entière, […] ce livre peut être lu avec fruit.
Mais elle met en garde contre une lecture inconsidérée :
Ce livre est donc au moins très dangereux, et si nous en faisons connaître ici l’existence, c’est que comme le titre pourrait induire en erreur des jeunes gens sans expérience, qui s’abreuveraient alors du poison qu’il contient, nous sommes bien aise d’en avertir les personnes qui sont chargées de veiller à leur éducation.
Aline et Valcour (1793)
Aline et Valcour, ou le Roman philosophique est un roman épistolaire du marquis du marquis de Sade, publié en 1793.
Sade a écrit cette œuvre dans les années 1780 alors qu’il était incarcéré à la Bastille. Ce roman est le premier des ouvrages de Sade à avoir été publié sous son vrai nom.
C’est à la Bastille, de 1785 à 1788, que Sade compose Aline et Valcour, l’une de ses oeuvres les plus surprenantes et les plus riches, véritable somme romanesque et philosophique dont les multiples thèmes s’entrecroisent au fil des lettres qu’échangent les protagonistes. Un vers de la perversion et du crime avec les intrigues du débauché Blamont, qui, pour abuser de sa propre fille, Aline, veut la marier au financier Dolbourg, son compagnon d’orgie ; infortunes de la vertu à travers les amours d’Aline et de Valcour, auxquelles font écho celles de sa soeur Lénore avec Sainville ; romanesque endiablé avec poisons, substitution d’enfants, enlèvements, pirates, voyages lointains ; utopie rousseauiste, dans le royaume imaginaire de Tarnoé où le paradoxal marquis se plaît à dessiner les contours d’une société du bonheur et de l’altruisme…
Toute la sensibilité du XVIIIe siècle, de Prévost à Laclos, des récits de voyages au matérialisme philosophique, trouve son expression ultime, à la veille de la Révolution, dans ce roman-fleuve parsemé de pages étincelantes.
La Philosophie dans le boudoir (1795)
La Philosophie dans le boudoir ou Les instituteurs immoraux, portant en sous-titre « Dialogues destinés à l’éducation des jeunes filles », est probablement une des œuvres majeures de Sade. Ce livre a été publié en 1795. L’histoire narre l’éducation érotique, sur une journée, d’une jeune fille, Eugénie de Mistival, que Mme de Saint-Ange et le chevalier de Mirval, son frère, vont initier à toutes les facettes de la luxure et de la gymnastique de l’esprit, aidés du sodomite Dolmancé et d’un garçon jardinier, Augustin.
Composé sous la forme de sept dialogues entrecoupés de discours sur la liberté, la religion, la politique, la morale, La Philosophie dans le boudoir offre au lecteur, en un volume, la palette des possibles offerts par la lecture de Sade : la luxure outrancière et illimitée (jusqu’au crime), le discours (philosophie et politique) insurrectionnel et illuminé, pour l’avènement d’hommes naturels jouissant sans entraves. Œuvre composite (le cinquième dialogue « Français encore un effort… » dans lequel Sade justifie ses paradoxales opinions révolutionnaires était, sans doute, à l’origine, destiné à une publication indépendante), mais œuvre complète, La Philosophie dans le boudoir est à l’adresse de ceux que la volupté et le sort de vivre en étant pleinement n’effraient pas car « ce n’est qu’en sacrifiant tout à la volupté, que le malheureux individu connu sous le nom d’homme, et jeté malgré lui sur ce triste univers, peut réussir à semer quelques roses sur les épines de la vie ».
📽 15 citations choisies du Marquis de Sade
- Il est très doux de scandaliser : il existe là un petit triomphe pour l’orgueil qui n’est nullement à dédaigner. (La Philosophie dans le boudoir)
- Tout est bon quand il est excessif. (La Nouvelle Justine)
- Je suis l’homme de la nature avant d’être celui de la société. (La Nouvelle Justine)
- Les passions de l’homme ne sont que des moyens que la nature emploie pour parvenir à ses desseins. (Justine)
- La cruauté, bien loin d’être un vice, est le premier sentiment qu’imprime en nous la nature ; l’enfant brise son hochet, mord le téton de sa nourrice, étrangle son oiseau, bien avant que d’avoir l’âge de raison. (La Philosophie dans le boudoir)
- Le bonheur n’est que dans ce qui agite, et il n’y a que le crime qui agite : la vertu, qui n’est qu’un état d’inaction et de repos, ne peut jamais conduire au bonheur. (La Nouvelle Justine)
- C’est dans le silence des lois que naissent les grandes actions. (L’Histoire de Juliette)
- Il n’y a d’autre enfer pour l’homme que la bêtise ou la méchanceté de ses semblables. (L’Histoire de Juliette)
- La bienfaisance est bien plutôt un vice de l’orgueil qu’une véritable vertu de l’âme. (La Philosophie dans le boudoir)
- L’amour nuit plutôt aux transports de la jouissance qu’il n’y sert. (Justine)
- Les trois quarts de l’univers peuvent trouver délicieuse l’odeur d’une rose, sans que cela puisse servir de preuve, ni pour condamner le quart qui pourrait la trouver mauvaise, ni pour démontrer que cette odeur soit véritablement agréable. (Justine ou les malheurs de la vertu)
- C’est une chose très différente que d’aimer ou que de jouir ; la preuve en est qu’on aime tous les jours sans jouir et qu’on jouit encore plus souvent sans aimer. (Justine)
→ Autres citations du Marquis de Sade.
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