Stendhal : De la naissance de l’amour

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De la naissance de l’amour

La cristallisation

– Analyse de l’amour (De l’amour, 1822) par Stendhal

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Il y a vingt-huit ans, écrivait Henri Beyle en 1842, que les bouleversements qui suivirent la chute de Napoléon me privèrent de mon état. Deux ans auparavant le hasard me jeta, immédiatement après les horreurs de la retraite de Russie, au milieu d’une ville aimable où je comptais bien passer le reste de mes jours, ce qui m’enchantait. Dans l’heureuse Lombardie, à Milan, à Venise, la grande, ou, pour mieux dire, l’unique affaire de la vie, c’est le plaisir.

Le contexte de l’œuvre De l’amour

De l’amour est plus qu’un recueil d’anecdotes. C’est un essai de science analytique qui pourrait être intitulé la « physiologie de l’amour ».

Stendhal explique scientifiquement, et par des faits coordonnés, les divers sentiments qui se succèdent les uns aux autres et dont l’ensemble s’appelle la passion de l’amour. Il donne une description exacte des symptômes, des phases diverses et des nuances les plus fines de ce sentiment.

« Quoiqu’il traite de l’amour, ce petit volume n’est point un roman, dit Stendhal, et surtout n’est pas amusant comme un roman. C’est tout uniment une description exacte et scientifique d’une sorte de folie très rare en France. »

L’amour est comme ce qu’on appelle au ciel la voie lactée, un amas brillant formé par des milliers de petites étoiles, dont chacune est souvent une nébuleuse. Le livre de l’amour ne peut valoir que par le nombre de petites nuances que le lecteur doit vérifier dans ses souvenirs, « s’il est assez heureux pour en avoir », dit Stendhal.

Olof Johan Södermark, Marie-Henri Beyle, dit Stendhal, Château de Versailles, 1840.

Dans une troisième préface1, l’auteur nous raconte comment fut composé son « Essai sur l’amour ». Il fut commencé à Milan, à la suite des bals masqués du carnaval de 1820. Le soir, dans les salons, on raisonnait sur les causes et sur les effets des plus grandes folies amoureuses du moment. Stendhal notait, au crayon, sur un programme de concert, les anecdotes et les réflexions immédiates qu’elles suggéraient. Ce recueil de particularités sur l’amour fut continué de la même manière, au crayon et sur des chiffons de papier, pris dans les salons, où il entendait raconter les anecdotes. Mais l’imprimeur déclara qu’il lui était impossible de travailler sur des notes écrites au crayon… En tout cas, l’Essai sur l’amour ne connut aucun succès : le résultat fut de ne trouver que « dix-sept lecteurs » de 1822 à 1833 ; c’est à peine si, après vingt ans d’existence, l’Essai a été compris d’une centaine de curieux.

Il y a bien des raisons à donner de cet insuccès. L’absence de plan, de méthode, de suite dans les idées, un certain décousu apparent qui étonne et écarte le vulgaire des lecteurs. Et puis la profondeur analytique du livre et la nécessité d’être soi-même sensible, et capable d’analyse pour le comprendre. Un rêveur attentif, un philosophe amoureux, sont hommes rares, et voilà pourquoi les lecteurs de l’Essai sur l’amour sont rares aussi ; car il faut, pour l’entendre, des facultés de calcul et de rêverie tendre, s’excluant d’ordinaire, et qui, réunies, permettent seules de comparer ses observations personnelles en divers exemples allégués par l’auteur.

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Les quatre amours

Stendhal traite de l’amour comme un physiologiste étudiant une maladie. Il procède à la façon de son maître José Cabanis.

Il y a quatre amours, dit-il :

  • l’amour-passion, celui d’Héloïse pour Abeilard ;
  • l’amour-goût, celui qui régnait à Paris vers 1760, et que l’on trouve dans les mémoires et romans de cette époque : rien n’y étant passion et imprévu, il a souvent plus de délicatesse que l’amour véritable, car il a toujours beaucoup d’esprit ;
  • l’amour physique que tout le monde connaît ;
  • l’amour de vanité. « Une duchesse n’a jamais que trente ans pour un bourgeois2 », disait la duchesse de Chaulnes.
Autour du titre de l’œuvre

20 citations sur l'amourPuis vient au chapitre II, intitulé De la naissance de l’amour, la description aussi exacte que piquante des symptômes successifs et des phases de l’amour.

Stendhal distingue sept époques et énumère ainsi ce qui se passe dans l’âme :

  • L’admiration.
  • On se dit : « quel plaisir de lui donner des baisers, d’en recevoir ! etc. »
  • L’espérance. On étudie les perfections ; c’est à ce moment qu’une femme devrait se rendre, pour le plus grand plaisir physique possible. Même chez les femmes les plus réservées, les yeux rougissent au moment de l’espérance ; la passion est si forte, le plaisir si vif qu’il se trahit par des signes frappants.
  • L’amour est néAimer, c’est avoir du plaisir à voir, toucher, sentir par tous les sens, et d’aussi près que possible, un objet aimable et qui nous aime.
  • La premiere cristallisation3 commence. On se plaît à orner de mille perfections une femme de l’amour de laquelle on est sûr ; on se détaille tout son bonheur avec une complaisance infinie. Cela se réduit à s’exagérer une propriété superbe, qui vient de nous tomber du ciel, que l’on ne connaît pas, et de la possession de laquelle on est assuré.
    Laissez travailler, dit Stendhal, la tête d’un amant pendant vingt-quatre heures, et voici ce que vous trouverez. »
  • Le doute naît. L’amant demandant des assurances plus positives que des regards, on lui oppose de l’indifférence, de la froideur ou même de la colère, s’il montre trop d’assurance. Une femme se conduit ainsi, soit qu’elle se réveille d’un moment d’ivresse et obéisse à la pudeur, qu’elle tremble d’avoir enfreinte, soit simplement par prudence ou par coquetterie.
    L’amant arrive à douter du bonheur qu’il se promettait : il devient sévère sur les raisons d’espérer qu’il a cru voir. Il veut se rabattre sur les autres plaisirs de la vie, il les trouve anéantis. La crainte d’un affreux malheur le saisit, et avec elle l’attention profonde.
  • Seconde cristallisation. L’amour erre sans cesse entre ces trois idées : elle a toutes les perfections ; elle m’aime ; comment faire pour obtenir d’elle la plus grande preuve d’amour possible ?
    Une fois la cristallisation commence, l’on jouit avec délices de chaque nouvelle beauté que l’on découvre dans ce qu’on aime.

Stendhal explique très bien qu’il existe au théâtre une cristallisation analogue en faveur des acteurs. On ne voit plus leurs traits réels, mais seulement ceux que l’imagination est habituée à leur prêter. Aveugle à leur laideur réelle, on devient uniquement sensible à la beauté d’expression. Comment faire pour ne pas lier des sentiments généreux ou aimables à la physionomie d’une actrice dont les traits n’ont rien de choquant, que tous les soirs l’on regarde pendant deux heures exprimant les sentiments les plus nobles et que l’on ne connaît pas autrement ? Quand enfin l’on parvient à être admis chez elle, ses traits vous rappellent des sentiments si agréables, que toute la réalité qui l’entoure, quelque peu noble qu’elle soit quelquefois, se recouvre à l’instant d’une teinte romanesque et touchante. Cette cristallisation n’est pas autre chose que l’illusion féconde qui embellit tout. Cela nous explique pourquoi Stendhal pensait qu’il n’y a de bonheur possible en ce monde que pour un homme amoureux. L’amour est de toutes les passions celle qui se prête le plus à une illusion renaissante et continuelle. Tout se peint en beau pour un homme amoureux.

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Notes

1. Terminée le 15 mars 1842, quelques jours avant sa mort. 
2. Edmond et Jules Goncourt, Portraits intimes du dix-huitième siècle, La duchesse de Chaulnes, 1857-1858. 
3. « Ce que j’appelle cristallisation , dit Stendhal, c’est l’opération de l’esprit, qui tire de tout ce qui se présente, la découverte que l’objet aimé a de nouvelles perfections. » 

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