Charles Baudelaire : Le Spleen de Paris

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Le Spleen de Paris

– Charles Baudelaire –

Introduction

Le Spleen de Paris est un recueil de poèmes de Charles Baudelaire, publié à titre posthume en 1869 sous le titre Petits Poèmes en prose. Il a été publié dans le quatrième volume des Œuvres complètes de Baudelaire par l’éditeur Michel Levy.

Sortir de la poésie

Charles Baudelaire - Le Spleen de Paris (1929), une aquarelle d'Édith Follet (1899-1990).

Baudelaire en commence la rédaction en juillet 1857, au lendemain de la publication des Fleurs du mal. Il aurait voulu composer cent poèmes en prose, autant qu’il y a de poèmes en vers dans les Fleurs du mal, mais l’œuvre est inachevée et ne comportera que cinquante pièces. Le titre le Spleen de Paris, choisi par Baudelaire lui-même après beaucoup d’hésitations (il envisage successivement Poèmes nocturnes, le Promeneur solitaire, le Rôdeur parisien), constitue une allusion évidente à la section « Spleen et Idéal » des Fleurs du mal ; il suggère la continuité et la divergence entre les deux ouvrages. Certains poèmes en prose sont des transpositions évidentes de poèmes en vers antérieurs (« l’Invitation au voyage »). Pour la plupart, ils se présentent comme de brèves nouvelles inspirées d’un fait divers (« la Corde »), des « choses vues », saynètes ou portraits (« Un plaisant »), des récits allégoriques situés hors du temps (« le Joujou du pauvre »), des fictions fantastiques (« Chacun sa chimère ») ou des rêveries (« l’Étranger »). L’œuvre se veut éclatée, disparate et dépourvue de toute architecture concertée : chaque texte se suffit à lui-même ; il est à lire au gré du moment.

Une poétique renouvelée

On y retrouve bien sûr les grands thèmes des Fleurs du mal, mais exprimés souvent sur un mode plus grinçant (« Assommons les pauvres »), plus exacerbé, voire plus hystérique (« le Mauvais Vitrier » s’achève dans une véritable crise nerveuse).

Né sous le signe du péché originel et de la perversité naturelle (« le Gâteau »), l’homme écrasé par le temps est condamné au spleen (« la Chambre double »). Il essaie de le fuir par les rêves d’ailleurs (« le Port »), le recours aux paradis artificiels (« Enivrez-vous ») et l’ultime voyage que constitue la mort (« Any Where out of the World »). Les rapports avec les femmes, marqués par l’incompréhension réciproque (« Portraits de maîtresses ») se limitent à un érotisme fortement teinté de sadisme (« le Galant Tireur »). L’artiste, présenté sous les traits du bouffon ou du saltimbanque (« Une mort héroïque ») doit supporter l’indifférence de ses contemporains et continuer à créer dans la souffrance (« le Fou et la Vénus »), puisque l’œuvre d’art constitue sa seule justification et sa seule chance de rachat (« À une heure du matin »). Mais la thématique urbaine, limitée aux « Tableaux parisiens » dans les Fleurs du mal, est ici omniprésente. La ville apparaît comme l’espace même de la modernité, avec ses ouvriers en blouse, ses fiacres, ses chiens crottés, son éclairage au gaz et son macadam. Elle est un être vivant accordé à l’âme du poète par une évidente correspondance. Il y erre en témoin curieux, perdu dans la foule et fasciné par le spectacle insolite de la rue. C’est d’ailleurs à la « fréquentation des villes énormes », univers chaotique où le monstrueux s’insinue dans le quotidien familier, que le poète attribue dans sa dédicace à Arsène Houssaye le renouvellement de sa poétique.

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Le poème en prose : une expérience limite

Baudelaire dit s’être inspiré d’Aloysius Bertrand qui, avec Gaspard de la nuit (1842), a fait entrer le poème en prose dans la littérature. Mais il ne faut pas surestimer cette influence : si, comme son modèle, il donne bien la primauté à l’image, il ne cisèle pas la prose en refrains et en couplets et son inspiration est aux antipodes du pittoresque moyenâgeux.

C’est précisément au nom de la modernité que Baudelaire abandonne le vers traditionnel, dont les contraintes lui paraissent désormais artificielles et limitent son inspiration. Il lui faut une forme plus libre, susceptible de rendre compte de toutes les facettes de son tempérament, qui convienne à la pente philosophique et moraliste comme à la veine lyrique. Il lui faut aussi inventer un langage pour exprimer tous les aspects de l’existence sur une multitude de tons : l’ironie sarcastique, l’humour noir, la cruauté et la trivialité de la vie moderne sont peu compatibles avec les traditions, et de toute façon, avec les contraintes de l’œuvre en vers. Dans sa dédicace, Baudelaire définit son idéal comme « une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ».
Lire la dédicace adressée à Arsène Houssaye.

Mais le genre même du poème en prose est mal défini et Baudelaire n’a cessé d’exprimer les difficultés qu’il éprouve à s’aventurer dans une expérience qui l’effraie par sa nouveauté et sa licence même. L’œuvre, plus de dix ans sur le métier, ne sera jamais terminée, même si (comme en témoigne sa correspondance) l’artiste épuisé y travaille douloureusement jusqu’à ses derniers jours, toujours déçu et insatisfait. Peut-être, comme le soulignent souvent les commentateurs, Baudelaire n’a-t-il pas, encore trop prisonnier de l’écriture antérieure des Fleurs du mal, su tirer de la prose tout le parti possible. Avec le Spleen de Paris il ouvre cependant la voie à Rimbaud, à Lautréamont et aux surréalistes.

Préface / Dédicace du Spleen de Paris

À Arsène Houssaye

Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire, sans injustice, qu’il n’a ni queue ni tête, puisque tout, au contraire, y est à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement. Considérez, je vous prie, quelles admirables commodités cette combinaison nous offre à tous, à vous, à moi et au lecteur. Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie, vous le manuscrit, le lecteur sa lecture; car je ne suspends pas la volonté rétive de celui-ci au fil interminable d’une intrigue superflue. Enlevez une vertèbre, et les deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine. Hachez-la en nombreux fragments, et vous verrez que chacun peut exister à part. Dans l’espérance que quelques-uns de ces tronçons seront assez vivants pour vous plaire et vous amuser, j’ose vous dédier le serpent tout entier.

J’ai une petite confession à vous faire. C’est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux Gaspard de la Nuit, d’Aloysius Bertrand (un livre connu de vous, de moi et de quelques-uns de nos amis, n’a-t-il pas tous les droits à être appelé fameux ?) que l’idée m’est venue de tenter quelque chose d’analogue, et d’appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d’une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu’il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque.

Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?

C’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant. Vous-même, mon cher ami, n’avez-vous pas tenté de traduire en une chanson le cri strident du Vitrier, et d’exprimer dans une prose lyrique toutes les désolantes suggestions que ce cri envoie jusqu’aux mansardes, à travers les plus hautes brumes de la rue ?

Mais, pour dire le vrai, je crains que ma jalousie ne m’ait pas porté bonheur. Sitôt que j’eus commencé le travail, je m’aperçus que non seulement je restais bien loin de mon mystérieux et brillant modèle, mais encore que Je faisais quelque chose (si cela peut s’appeler quelque chose) de singulièrement différent, accident dont tout autre que moi s’enorgueillirait sans doute, mais qui ne peut qu’humilier profondément un esprit qui regarde comme le plus grand honneur du poète d’accomplir juste ce qu’il a projeté de faire.

Votre bien affectionné,
C. B.

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