La complainte
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La complainte
La complainte est une chanson ou un poème populaire de tonalité triste ou plaintive sur deux rimes en principe, mais de forme relativement libre si l’on considère la variété des exemples, ce qui en fait plus un genre qu’une forme fixe. Elle est composée sans art ou avec une trivialité calculée et contient le récit grotesque d’un événement tragique ou d’un crime célèbre.
Le mot complainte n’a pas toujours eu cette acception. Il désignait, à l’origine, le récit naïf et plaintif d’un événement malheureux, mais non sans grandeur. La Mort de Roland à Roncevaux est une complainte guerrière, avant d’être, sous forme de chanson de geste, une véritable épopée. Cette sorte de chanson avait alors de l’analogie avec les cantilènes, qui sont le germe des grands poèmes héroïques. Une des complaintes les plus anciennes et les plus populaires est celle du Juif-Errant, qui a changé successivement de forme et de style, suivant les pays et les époques. La chanson burlesque de la Palisse est, dans son premier texte, un récit en complainte de la bataille de Pavie. Jusque-là, la complainte ne se distingue guère de la chanson historique populaire.
Dans son acception moderne, la complainte est, au dernier siècle, une des formes de la parodie. À la Révolution française, elle prend une importance historique et suit un à un les événements. On cite des complaintes sur la mort de Marat, sur le supplice d’Hébert. Une des plus célèbres est celle de la machine infernale de la rue Saint-Nicaise, avec description du tonneau-mitrailleur :
Cette machine infernale,
Au lieu d’eau, contenait des balles,
Et cette invention d’enfer
Avait des cercles de fer.
Parmi les complaintes sur les assassinats célèbres, on se rappelle encore celle de Fualdès, avec ce portrait de l’un de ses meurtriers :
Bastide, le gigantesque,
Moins deux pouces,
ayant six pieds,
Fut un scélérat fieffé
Et même sans politesse […].
Le dernier trait est resté classique. Viennent ensuite les complaintes sur l’assassinat du duc de Berry, sur Papavoine, sur Fieschi, sur Lacenaire et tant d’autres célébrités du crime et de la guillotine.
Thomas Sébillet classe la complainte parmi les poèmes de déploration, proche de l’élégie, de l’épitaphe, et même de l’églogue.
Voici la fin d’une complainte de Jean Molinet, dite « Complainte de l’Amant », en dizains hétérométriques d’heptasyllabes et de trisyllabes sur deux rimes (aaaabaaaab), la rime b étant reprise comme rime dominante dans le dizain suivant :
O ma très chiere maistresse,
Mon espoir, ma seulle adresse,
Voyez le mal qui m’oppresse
Et agresse,
En vostre amoureux service
Je moeurs josne et sans viellesse ;
Amours m’asault et me blesse ;
Vostre oeul plus ne me releesse,
Mon faict lesse
Aller comme l’escrevisse.O Mort, très rabice bice,
Tu n’es pas genice nice,
Mais de doeul nourrice rice,
Genitrice
De toute dolente lente,
Lente au povre et preste au rice,
Male lice sans malice.
Lice moy dedens ta lice,
Lance et glice
Mon corps en mortelle tente.Soyes ma présente sente,
Mon mieux, ma regente gente,
[Ma plus apparente rente,]
Soufle et vente
Mon ame en celeste garde ;
Sans nul solas je lamente,
Tout mon esbat est tourmente,
II n’est ne mirre ne mente
Vehemente,
Pour qui ma doleur retarde.Mort, se tu as darde, darde
Arcq turquois, bombarde, barde.
Ou quelque taillarde, larde
Et escarde
Mon cœur de ta dure perche,
Orde, desplaisant laisarde,
Viens avant, musant musarde,
Pappelotant pappelarde,
Je n’esgarde
Fors que ton dart me tresperche.
Dans la poésie moderne, c’est bien à un genre plaintif, mettant en scène l’idée de la mort, que renvoie le terme de « complainte ». C’est le cas du poème de Paul Fort, rendu particulièrement célèbre par la mise en musique de Georges Brassens, la « Complainte du petit cheval blanc », dans les Ballades françaises.
→ À lire : L’ode. – L’ode sacrée.
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