Victor Hugo : Les Contemplations (1856)
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Les Contemplations (1856)
de Victor Hugo
Victor Hugo…
Né à Besançon en 1802, Victor Hugo est très vite apparu comme le chef de l’école romantique. Élu à l’Académie française en 1841, il est membre de l’Assemblée législative en 1849 et député de Paris en 1871. Quand Victor Hugo meurt, à 83 ans, il a droit à des funérailles nationales et une immense foule l’accompagne. Il laisse une œuvre inégalée…
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🎲 Exercice : Connaissez-vous Victor Hugo ?
Dans le livre des Châtiments, Victor Hugo regarde le monde extérieur ; dans le livre des Contemplations, il tient ses yeux et son esprit attachés sur lui-même. Quelques jours, quelques mois, au plus, d’inspiration fougueuse avaient produit les Châtiments ; les Contemplations réfléchissent l’aspect et traduisent les joies ou les douleurs de « vingt-cinq années », autant dire de toute une existence. Ce sont là, pour employer l’expression même de Hugo, « les Mémoires d’une âme ».
Toute la destinée humaine est dans ce livre : Il s’ouvre par la contemplation de l’enfance.
Cet avant-printemps de la vie est bien vite passé. L’âme s’épanouit, comme la flore au mois de mai. C’est le temps où les oiseaux chantent. Qu’exprime leur chant ? Les « strophes invisibles » qui s’exhalent des cœurs amoureux. Et ce que disent les oiseaux, tout le répète à l’envi : la caresse du vent, le rayonnement de l’étoile, la fumée du vieux toit, le parfum des meules de foin, l’odeur des fraises mûres, la fraîcheur du ruisseau normand « troublé de sels marins », la palpitation d’ailes du martinet sous un portail de cathédrale, l’ombre épaisse des ifs, le frisson de l’étang, et l’ondulation des herbes, qui semble, le tressaillement des morts.
Aux enchantements éphémères de la passion succèdent les efforts virils, et le combat, non sans angoisse, du devoir. Quel est le devoir du poète ? S’isoler dans l’art, et vivre pour le culte d’un idéal sans utilité, ou au contraire mettre le beau au service du vrai, et chercher le vrai dans le progrès de tous les hommes ? Hugo avait déjà écrit ailleurs que le poète « a charge d’âmes ». On peut donc s’attendre à le trouver ici, comme ailleurs, préoccupé d’agir jusque dans le rêve, et soucieux d’être utile, « grossièrement utile », comme il dit, même sur les hauteurs de la spéculation. N’est-ce pas lui qui condamne en ces termes les partisans de l’art pour l’art : « L’amphore qui refuse d’aller à la fontaine mérite la huée des cruches ? » Il est poète, mais il est homme, et sa première manifestation de poète a été une protestation contre la tendance qui faisait de l’œuvre poétique une affaire de caste, qui donnait au lettré français des prétentions de « mandarin » ; il a proclamé la Révolution des mots :
Tous les mots à présent planent dans la clarté.
Les écrivains ont mis la langue en liberté.
Et, grâce à ces bandits, grâce à ces terroristes,
Le vrai, chassant l’essaim des pédagogues tristes,
L’imagination, tapageuse aux cent voix,
Qui casse des carreaux dans l’esprit des bourgeois ;
La poésie au front triple, qui rit, soupire
Et chante ; raille et croit ; que Plaute et que Shakespeare
Semaient, l’un sur la plebs, et l’autre sur le mob ;
Qui verse aux nations la sagesse de Job
Et la raison d’Horace à travers sa démence ;
Qu’enivre de l’azur la frénésie immense,
Et qui, folle sacrée aux regards éclatants,
Monte à l’éternité par les degrés du temps,
La muse reparaît, nous reprend, nous ramène,
Se remet à pleurer sur la misère humaine,
Frappe et console, va du zénith au nadir,
Et fait sur tous les fronts reluire et resplendir
Son vol, tourbillon, lyre, ouragan d’étincelles,
Et ses millions d’yeux sur ses millions d’ailes.
Paris, janvier 1834.
Les Contemplations, Livre premier VII
Ce n’est pas seulement l’intérêt de son art qui passionne cet esprit viril ; il contemple avec émotion, et décrit d’une plume tragique, avec d’inoubliables traits, les misères de tous les humbles.
Lui-même il a sa large part de misère et de deuil. Sa fille meurt. Le poète, qui s’était longtemps attardé à contempler le ciel, et à rêver, comme le pâtre, à la lumière de l’étoile, se tourne désormais vers la terre, et s’acharne, pour ainsi parler, à pénétrer le secret du tombeau. Il y va chercher ce qu’il a perdu ; il ne n’y trouve pas.
Il refuse de croire que tout l’être humain tienne, comme disait Bossuet, « dans le débris inévitable ». Il veut savoir où le souffle qui animait l’organisme détruit, s’est retiré ; il s’élance à travers les régions du ciel, à la poursuite de cette âme.
Il en arrive à concevoir ce qu’on nomme la mort comme un éveil à la vraie vie :
Ne dites pas : mourir ; dites : naître. Croyez.
On voit ce que je vois et ce que vous voyez ;
On est l’homme mauvais que je suis, que vous êtes ;
On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes ;
On tâche d’oublier le bas, la fin, l’écueil,
La sombre égalité du mal et du cercueil ;
Quoique le plus petit vaille le plus prospère ;
Car tous les hommes sont les fils du même père ;
Ils sont la même larme et sortent du même œil.
On vit, usant ses jours à se remplir d’orgueil ;
On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe,
On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe.
Où suis-je ? Dans la mort. Viens ! Un vent inconnu
Vous jette au seuil des cieux. On tremble ; on se voit nu,
Impur, hideux, noué des mille nœuds funèbres
De ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres ;
Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini
Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est béni,
Sans voir la main d’où tombe à notre âme méchante
L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante.
On arrive homme, deuil, glaçon, neige ; on se sent
Fondre et vivre ; et, d’extase et d’azur s’emplissant,
Tout notre être frémit de la défaite étrange
Du monstre qui devient dans la lumière un ange.
Paris, novembre 1854.
Les Contemplations, Livre premier V
Si forte que soit l’expression de cette espérance, si passionné que soit l’acte de foi en l’immortalité qui remplit toute la dernière partie des Contemplations, ce qui nous touche le plus, dans le livre, c’est encore l’expression de la douleur paternelle, et cette admirable lamentation funèbre, tour à tour aiguë ou apaisée, dont rien n’égale par moments la simplicité pénétrante :
Mère, voilà douze ans que notre fille est morte ;
Et depuis, moi le père et vous la femme forte,
Nous n’avons pas été, Dieu le sait, un seul jour
Sans parfumer son nom de prière et d’amour.
Nous avons pris la sombre et charmante habitude
De voir son ombre vivre en notre solitude,
De la sentir passer et de l’entendre errer,
Et nous sommes restés à genoux à pleurer.
Nous avons persisté dans cette douleur douce,
Et nous vivons penchés sur ce cher nid de mousse
Emporté dans l’orage avec les deux oiseaux.
Mère, nous n’avons pas plié, quoique roseaux,
Ni perdu la bonté vis-à-vis l’un de l’autre,
Ni demandé la fin de mon deuil et du vôtre
A cette lâcheté qu’on appelle l’oubli.
Oui, depuis ce jour triste où pour nous ont pâli
Les cieux, les champs, les fleurs, l’étoile, l’aube pure,
Et toutes les splendeurs de la sombre nature,
Avec les trois enfants qui nous restent, trésor
De courage et d’amour que Dieu nous laisse encor,
Nous avons essuyé des fortunes diverses,
Ce qu’on nomme malheur, adversité, traverses,
Sans trembler, sans fléchir, sans haïr les écueils,
Donnant aux deuils du cœur, à l’absence, aux cercueils,
Aux souffrances dont saigne ou l’âme ou la famille,
Aux êtres chers enfuis ou morts, à notre fille,
Aux vieux parents repris par un monde meilleur,
Nos pleurs, et le sourire à toute autre douleur.
Marine-Terrace, août 1855.
Les Contemplations, Livre premier V
En résumé
- Vingt-cinq ans de vie intérieure : « Mémoires d’une âme » ; mais tendance à la généralité : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous ».
- Trois livres sur « Autrefois » : « Aurore », « l’Âme en Fleur », « Les Lettres et les Rêves » ; trois livres sur le présent : « Pauca meae », « En marche », « Au bord de l’infini ».
- Les premiers livres rappellent « Feuilles d’Automne » ou « Voix intérieures ».
- Profondeur de l’émotion dans « Pauca meae », livre consacré à la mort de Léopoldine (« À Villequier »).
- Le dernier livre est tout philosophique ; hantise de la mort, méditations devant l’océan en furie ; consultations de tables tournantes, souvenirs de Zoroastre, de Pythagore conduisent Hugo à une conception personnelle de la métempsychose: ascension ou descente des êtres, dans la création, selon le mérite.
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Sommaire
📽 20 citations choisies de Victor Hugo
🎵 Poème mis en chanson et en musique : Le soleil et la marguerite
Le soleil et la marguerite est un poème de Victor Hugo, qui a été mis en musique et en chanson. À l’origine, ce poème s’intitule Unité. Il a été écrit en 1836 (juillet). Il est extrait du recueil Les Contemplations, du livre premier de la partie Autrefois, poème XXV.
XXV – Unité
Par-dessus l’horizon aux collines brunies,
Le soleil, cette fleur des splendeurs infinies,
Se penchait sur la terre à l’heure du couchant;
Une humble marguerite, éclose au bord d’un champ,
Sur un mur gris, croulant parmi l’avoine folle,
Blanche, épanouissait sa candide auréole;
Et la petite fleur, par-dessus le vieux mur,
Regardait fixement, dans l’éternel azur,
Le grand astre épanchant sa lumière immortelle.
Et, moi, j’ai des rayons aussi ! » lui disait-elle.
Granville, juillet 1836
(Victor Hugo, Les Contemplations, « Autrefois », Livre premier : Aurore, XXV : Unité, Pagnerre, 1856, p. 103)
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