L’oraison funèbre

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Rhétorique et style

L’oraison funèbre

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Présentation

Dans les arcanes de la vie, il existe un rituel ancestral, un pont tendu entre le monde des vivants et celui des morts, où les mots se parent de leur plus noble éloquence pour célébrer la mémoire des défunts. Cet art millénaire, connu sous le nom d’oraison funèbre, transcende les frontières du temps et de l’espace, offrant un réconfort immuable aux âmes en deuil.

Qu’est-ce que l’oraison funèbre ?

L’oraison funèbre (n.f.) est un discours prononcé en l’honneur d’un personnage illustre qui vient de mourir. Ce discours tient à la fois de l’éloge et du sermon. Il a, comme le dit La Harpe, un double objet celui de proposer à l’admiration, à la reconnaissance, à l’émulation, les vertus et les talents qui ont brillé dans les rangs de la société, et en même temps celui de faire sentir à toutes les conditions le néant de toutes les grandeurs de ce monde, au moment où il faut passer dans l’autre.

Ce double but explique le plan des diverses oraisons funèbres de Bossuet. Chacune d’elles offre un développement de morale puisé dans l’ensemble de la vie du héros, et, du moins en partie, appuyé sur son éloge. Le développement de la morale, ou le sermon, voilà le véritable but. L’éloge n’est qu’un moyen et ne se présente que sous la forme de preuve. Ce moyen n’est pas même exclusif, car si l’orateur donne ici la préférence aux preuves extrinsèques qu’il tire de la vie du héros, parce qu’elles répondent davantage à l’attente et aux dispositions de son auditoire, il ne rejette pas néanmoins les preuves intrinsèques, soit, au besoin, pour combler le vide des événements, soit pour donner à son discours plus de force, d’onction, de grâce ou de majesté.

Évolution et objectifs

Au fil des siècles, l’oraison funèbre a évolué, se transformant pour répondre aux besoins changeants de la société. Autrefois réservée aux élites et aux dirigeants, elle s’est démocratisée, permettant à chacun de partager des souvenirs et des éloges pour honorer les êtres chers disparus. Ses objectifs demeurent cependant constants : célébrer la vie du défunt, consoler les endeuillés et offrir un témoignage de l’impact qu’il a eu sur le monde qui l’entoure.

Dans l’Antiquité, de grands orateurs ont été appelés plus d’une fois à rendre un dernier hommage à des hommes célèbres que la mort avait frappés. Périclès était chargé de faire l’éloge funèbre des citoyens morts à Samos, et il était d’usage en Grèce de louer devant la nation assemblée les guerriers qui avaient péri sur le champ de bataille pour la défense de la patrie. Chez les Romains, on ne louait pas seulement les vertus militaires, on rendait le même hommage aux vertus civiles, et on prononçait l’éloge des magistrats et des femmes illustres, en présence du bûcher qui devait recevoir leurs cendres.

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Dès les premiers siècles du christianisme, nous voyons ce genre d’éloquence se déployer dans la chaire, en présence de Dieu et de ses autels, avec le caractère nouveau que la foi chrétienne lui imprimait. Saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse, saint Ambroise, saint Jérôme et saint Bernard ont prononcé de véritables oraisons funèbres.

Portrait de Jacques-Bénigne Bossuet par Hyacinthe Rigaud.

Cependant ils n’ont pas élevé cette espèce de discours à la hauteur qu’il a dans les orateurs modernes. C’est un cri de douleur qui s’échappe de leur âme, et qui est suivi de tout ce que le cœur peut inspirer de plus affectueux. C’est le langage du sentiment exprimé avec l’onction la plus persuasive, et soutenu par toutes les espérances que peut donner l’énergie de la foi.

Bossuet, qui est en ce genre le modèle par excellence, a déployé plus d’élocution et de magnificence. L’oraison funèbre, telle qu’il l’a entendue, est empreinte tout à la fois de la tristesse des funérailles et des consolations de l’espérance chrétienne. Il ne craint pas de reconnaître les faiblesses et les défauts de celui qu’il pleure. En honorant ainsi son ministère par la sincérité de sa parole, il est sûr, dit-il, de rendre son discours plus intéressant et plus pathétique, parce qu’on s’attache plus à un personnage dont les imperfections révèlent la fragilité de la nature humaine, qu’à un héros qu’il représenterait avec une vertu impossible et désespérante.

Tout en jugeant avec une stricte impartialité, Bossuet n’oublie pas que l’oraison funèbre a pour but principal d’inspirer aux auditeurs du mépris pour les grandeurs de la terre, et de l’ardeur pour les biens du ciel.

Pour que ces grands tableaux ne soient pas un vain spectacle, Bossuet s’efforce d’en tirer les enseignements les plus graves, et c’est ce point de vue pratique qui fait l’unité de son discours.

Ainsi il nous montre dans sa magnifique oraison funèbre de la reine d’Angleterre, le bon emploi que la charité fait de la prospérité et de l’adversité, à l’exemple de cette princesse; dans celle de la duchesse d’Orléans, le néant de toutes les grandeurs humaines comparées aux grandeurs de l’éternité; et dans celle du prince de Condé, les vertus de l’homme et du héros.

Deux reproches à l’oraison funèbre

On a quelquefois blâmé les orateurs chrétiens d’avoir exclusivement réservé l’oraison funèbre aux grands et aux puissants. Villemain les défend en ces termes :

La puissance de la mort et l’horreur du tombeau, sifrappantes quand il s’agit de la mort et du tombeau d’un roi, semblent s’affaiblir dans les rangs inférieurs, et les coups qui tombent sur de moindres victimes paraissent moins effrayants. L’orateur chrétien qui ne déplore pas la perte d’un roi ou d’un grand capitaine n’a plus le pouvoir d’effrayer l’imagination par ces contrastes de grandeur et de faiblesse, de gloire et de néant. C’est avec justice que l’oraison funèbre n’a été en général attribuée qu’à la grandeur et à la puissance, puisque c’est ainsi seulement qu’elle présente un intérêt durable.

On a fait à l’oraison funèbre un autre reproche, celui de n’être pas toujours rigoureusement conforme à la vérité. C’est un défaut qui lui est commun avec le panégyrique et l’éloge académique, mais ce n’est un défaut qu’au point de vue philosophique, et non au point de vue oratoire. On ne peut, en effet, exiger de l’orateur qui loue la même fidélité, la même rigueur, que de l’historien, dont le but est d’exposer tous les événements, sans rien voiler. Il y a des convenances et des conventions particulières à chacun des genres qui composent l’art oratoire; et tout ce qu’on peut demander à l’oraison funèbre, c’est de ne rien louer qui ne soit louable, de ne jamais excuser le vice, de saisir dans le sujet tout ce qui se rapporte à l’idée du devoir ou du beau. Elle n’a pas à montrer l’homme tout entier. En ne s’attachant qu’à la louange, en mettant du moins l’éloge en première ligne, l’orateur n’échappe au risque de passer pour un rhéteur esclave de la vanité, aux gages de la flatterie, que grâce au véritable but de l’oraison funèbre, c’est-à-dire aux considérations religieuses qui dominent la pompe, l’éclat des grandeurs humaines, et montrent l’illusion et le vide des choses les plus louables selon les vues et la mode du siècle.

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Style de l’oraison funèbre

L’oraison funèbre exige beaucoup d’élévation dans les pensées et dans le style. Le commun et le médiocre doivent en être absolument bannis. Comme l’orateur est, dans cette circonstance, l’interprête de la douleur publique, son discours doit être plein de force et de dignité. Comme l’oraison funèbre est devenue un discours chrétien, et que tout discours de ce genre doit servir à l’instruction des auditeurs, il s’ensuit que l’orateur, en faisant l’éloge d’un mort, doit l’entremêler de leçons dont les vivants puissent profiter. Si ce mort a été un personnage d’une grande naissance, ou élevé à de grandes dignités, il doit s’efforcer de montrer dans tout son jour le néant des graudeurs terrestres; et si ce mort a été recommandable par d’éminentes vertus, il doit porter ses auditeurs à l’imiter autrement il ne sera qu’un bas et froid panégyriste.

Recours et emploi

L’oraison funèbre trouve sa place dans une variété de contextes, des cérémonies religieuses aux commémorations civiles en passant par les hommages séculiers. Qu’elle soit prononcée dans les églises, les synagogues, les mosquées ou les temples, ou bien dans des lieux plus profanes tels que les salles de réunion ou les amphithéâtres, elle demeure un moyen puissant de rendre hommage aux défunts et de réconforter les vivants.

Exemples littéraires

La littérature, telle une bibliothèque infinie, abrite des trésors d’oraisons funèbres qui résonnent à travers les âges, témoignant de la puissance des mots pour consoler et inspirer.

Parmi ces joyaux littéraires, l’oraison funèbre de Bossuet pour Henriette d’Angleterre brille d’un éclat particulier, un phare de lyrisme et de réconfort dans l’océan tumultueux du deuil.

Dans L’oraison funèbre de Périclès, l’homme d’État grec rend hommage aux soldats tombés lors de la guerre du Péloponnèse, célébrant leur courage et leur sacrifice au nom de la démocratie athénienne. Dans L’oraison funèbre de Jules César de William Shakespeare, Marc Antoine pleure la mort de César et utilise son éloquence pour galvaniser les foules et susciter un sentiment d’injustice face à cette mort.

Conclusion

En conclusion, l’oraison funèbre demeure un témoignage poignant de la capacité de l’humanité à honorer ses morts avec dignité et respect. Que ce soit à travers des mots simples ou des discours inspirants, elle offre un sanctuaire où le chagrin peut se mêler à la célébration, où le souvenir peut fleurir même au milieu de la mort. Dans un monde en constante évolution, elle demeure un phare d’éloquence et de réconfort, rappelant que même dans la mort, l’amour et le souvenir perdurent.

À travers les âges, l’oraison funèbre a été et demeure un pilier immuable de l’expérience humaine, un rappel que la vie, bien que éphémère, laisse derrière elle un héritage immortel, tissé de souvenirs et de mots gravés dans le cœur de ceux qui restent.

Ainsi, que l’on soit un poète, un philosophe ou simplement un ami qui cherche à rendre hommage, l’oraison funèbre reste un témoignage de la force de la parole humaine dans les moments les plus sombres de la vie.

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