Défense et illustration de la langue française

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Défense et illustration de la langue française

– Joachim Du Bellay –

Introduction

Défense et Illustration de la langue française est un petit ouvrage placé en tête du premier recueil poétique de Joachim Du Bellay, l’Olive et quelques autres œuvres poétiques, publié en 1549, et qui se présente comme un manifeste polémique en faveur d’un renouveau de la langue et des Lettres françaises.

Un manifeste éclatant

Portrait de Joachim du Bellay, poète français, (1522 – 1560). Gravure de 1854. © Bianchetti / Leemage

La Défense et Illustration de la langue française suffit à faire d’un inconnu le porte-parole de la Brigade (future Pléiade), qui ambitionne de renouveler et de purifier les Lettres françaises. La mission première de la Défense est d’être une préface exposant globalement les choix poétiques de l’auteur, où il importe à Du Bellay de légitimer sa production et de se démarquer, au nom de son groupe, des idées et des modèles exposés un an auparavant par l’Art poétique de Thomas Sébillet. Un ton polémique et militant lui donne cependant des allures de manifeste, inversant les intentions de l’auteur : sa carrière s’ouvre par une réflexion théorique sur la poésie, dont l’Olive est l’illustration.

→ À lire : Le manifeste.

La langue, cœur de la culture

Plus qu’un art poétique, la Défense est une réflexion esthétique sur la langue française se proposant, en deux livres et douze chapitres, de rendre compte globalement de la pensée intellectuelle du siècle. Prendre la défense de sa langue et désirer l’enrichir à des fins nobles et patriotiques n’est pas un fait nouveau. Les littérateurs renaissants en ont toujours exprimé le souhait, revendiquant une volonté d’égaler les Anciens dans leurs réalisations et de s’honorer dans des genres nobles et une langue riche. Bien que Du Bellay puise aux mêmes sources et caresse les mêmes idéaux, la Défense se distingue en tant que programme dynamique à appliquer méthodiquement dans chacune des expériences poétiques afin de parvenir au dessein sublime et de l’empêcher de n’être qu’une utopie conceptuelle.

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Pour une poésie nouvelle

Le manifeste développe quatre grandes idées :

  • faire triompher la langue française contre les « latinisants » et ceux qui l’utilisent mal ;
  • enrichir le vocabulaire et les procédés en évitant la traduction ;
  • créer une nouvelle poésie qui abandonnerait les genres antérieurs médiévaux et marotiques (en référence à Clément Marot), privilégiant les genres et les maîtres antiques ;
  • considérer que la fonction divine du poète n’est rien si elle n’est pas accompagnée d’un long travail qui mènera celui qui chante et celui qui est chanté à la gloire nationale et à l’immortalité.
Face à l’Italie, transférer l’empire

La préoccupation de l’auteur s’inscrit dans le combat humaniste gallican avançant que le français vaut l’italien, dont la littérature se targue d’avoir recréé la latinité. Dans cette perspective de rivalité admirative envers l’Italie, Du Bellay s’emploie à fonder une poétique plagiant, intégrant et dépassant les modèles italiens puis antiques, afin de faire accéder le français au rang des langues matricielles.

Polémiques et malentendus

Le texte entraîne les ripostes, Sébillet en tête, répondant immédiatement par la traduction de l’Iphigénie d’Euripide. Suivent le Quintil Horatian d’Aneau, qui réhabilite les proscriptions, et la Réplique de Guillaume Des Autels signalant les dangers de l’imitation. Soutenu par Ronsard, Du Bellay répond dans la seconde édition de l’Olive par quelques objections dédaigneuses à des détracteurs persuadés d’avoir affaire à une entreprise intéressée qui condamnait la littérature marotique sous le couvert d’une lutte avec l’Italie.

Extrait : Observation de quelques manières de parler françaises

La Défense et illustration de la langue française / Joachim Du Bellay ; avec une notice biographique et un commentaire historique et critique par Léon Séché, E. Sansot, Paris, 1905.

«[…] je veux aussi que tu t’efforces de rendre, au plus près du naturel que tu pourras, la phrase et manière de parler latine, en tant que la propriété de l’une et l’autre langue le voudra permettre. Autant te dis-je de la grecque, dont les façons de parler sont fort approchantes de notre vulgaire, ce que même on peut connaître par les articles inconnus de la langue latine. Use donc hardiment de l’infinitif pour le nom, comme l’aller, le chanter, le vivre, le mourir ; de l’adjectif substantivé, comme le liquide des eaux, le vide de l’air, le frais des ombres, l’épais des forêts, l’enroué des cimballes, pourvu que telle manière de parler ajoute quelque grâce et véhémence, et non pas le chaud du feu, le froid de la glace, le dur du fer, et leurs semblables ; des verbes et participes, qui de leur nature n’ont point d’infinitifs après eux, avec des infinitifs, comme tremblant de mourir et volant d’y aller, pour craignant de mourir et se hâtant d’y aller ; des noms pour les adverbes, comme ils combattent obstinés pour obstinément, il vole léger pour légèrement ; et mille autres manières de parler, que tu pourras mieux observer par fréquente et curieuse lecture, que je ne te les saurais dire. Entre autres choses je t’avertis user souvent de la figure antonomasie, aussi fréquente aux anciens poètes, comme peu usitée, voire inconnue des Français. La grâce d’elle est quand on désigne le nom de quelque chose par ce qui lui est propre, comme le Père foudroyant pour Jupiter, le Dieu deux fois né pour Bacchus, la Vierge chasseresse pour Diane. Cette figure a beaucoup d’autres espèces que tu trouveras chez les rhétoriciens, et a fort bonne grâce, principalement aux descriptions, comme : depuis ceux qui voient premiers rougir l’aurore, jusques là où Thétis reçoit en ses ondes le fils d’Hypérion, pour depuis l’Orient jusques à l’Occident. Tu en as assez d’autres exemples ès Grecs et Latins, même en ces divines expériences de Virgile, comme du Fleuve glacé, des douze signes du Zodiaque, d’Iris, des douze labeurs d’Hercule et autres. Quant aux épithètes, qui sont en nos poètes français, la plus grande part ou froids, ou oiseuses, ou mal à propos, je veux que tu en uses de sorte que sans eux ce que tu dirais serait beaucoup moindre, comme la flamme dévorante, les soucis mordants, la geinante sollicitude, et regarde bien qu’ils soient convenables, non seulement à leurs substantifs, mais aussi à ce que tu décriras, afin que tu ne dises l’eau ondoyante, quand tu veux la décrire impétueuse, ou la flamme ardente, quand tu veux la montrer languissante. Tu as Horace entre les Latins fort heureux en ceci, comme en toutes choses. Garde-toi aussi de tomber en un vice commun, même aux plus excellents de notre langue, c’est l’omission des articles. Tu as exemple de ce vice en infinis endroits de ces petites poésies françaises. J’ai quasi oublié un autre défaut bien usité et de très mauvaise grâce : c’est quand en la quadrature des vers héroïques la sentence est trop abruptement coupée, comme : Sinon que tu en montres un plus sûr. Voilà ce que je te voulais dire brièvement de ce que tu dois observer tant au vers comme à certaines manières de parler, peu ou point encore usitées des Français. Il y en a qui fort superstitieusement entremêlent les vers masculins avec les féminins, comme on peut voir aux psaumes traduits par Marot : ce qu’il a observé (comme je crois) afin que plus facilement on les pût chanter sans varier la musique, pour la diversité des mesures, qui se trouveraient à la fin des vers. Je trouve cette diligence fort bonne, pourvu que tu n’en fasses point de religion jusques à contraindre ta diction pour observer telles choses. Regarde principalement qu’en ton vers n’y ait rien dur, hyulque ou redondant ; que les périodes soient bien jointes, nombreuses, bien remplissant l’oreille : et telles, qu’ils n’excèdent point ce terme et but que naturellement nous sentons, soit en lisant ou en écoutant. »

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(Joachim Du Bellay, Défense et illustration de la langue française, Livre deuxième, Chapitre IX, 1549)

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