Le fabliau

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Le fabliau

Définition et présentation

Le fabliau est un récit court, réaliste et paillard qui veut faire rire en tournant en ridicule les faiblesses humaines. Récités (et non chantés) par des jongleurs itinérants, les fabliaux connaissent un très vif succès en France de la seconde moitié du XIIe siècle jusqu’au début du XIVe siècle.

Le mot « fabliau »

D’origine picarde, le mot fabliau, attesté au XIIe siècle, vient de l’ancien français d’Île de France fabel, fableau (dérivé du latin fabula, « fable »), signifiant « petite fable ». Au Moyen Âge, il désigne parfois des fables, des dits, des récits d’aventure, mais caractérise le plus souvent des courts récits dans lesquels les personnages sont tournés en ridicule. L’acception du terme pour désigner strictement des « contes à rire en vers » (l’expression est de Joseph Bédier, médiéviste, dans les Fabliaux. Études de littérature populaire et d’histoire littéraire du Moyen Âge, 1892) est postérieure (XVIe siècle).

Note
La forme fableau est également attestée ds la documentation. Ce dernier mot n’est pas plus étonnant que fabliau jadis fableau. (Rémy de Gourmont, Esthétique de la langue française, 1899, p. 151).

Un genre populaire, répandu dans le nord de la France

Quelques auteurs ont eux-mêmes donné à leurs textes le nom de fabliau, et il existe ainsi une cinquantaine de fabliaux « avérés », même si certains sont considérés aujourd’hui davantage comme des dits, ou des fables. Cependant, on peut rajouter à cette liste des fabliaux d’autres récits qui n’en avaient pas à l’origine le nom, ce qui ramène le nombre de fabliaux français connus à environ 150 (on estime néanmoins que le genre était davantage représenté au Moyen Âge), écrits entre 1159 et 1340, selon Joseph Bédier (selon certains autres médiévistes, le nombre des fabliaux tombe à moins de 60).

Toute la difficulté de cerner ce genre vient du fait qu’il n’est pas codifié et qu’aucune définition stricte ne peut lui être donnée. Encore aujourd’hui, les médiévistes s’opposent régulièrement dans leur volonté de définir le genre et de fixer des limites au fabliau. Cependant, la plupart s’accordent sur le fait que l’art du fabliau est essentiellement originaire du nord de la France (Picardie, Artois, Hainaut), mais aussi de Normandie, Champagne, Orléanais et Bourgogne. Il est, par contre, peu voire pas représenté dans le sud de la France (certains médiévistes reconnaissent pourtant la nouvelle occitane du XIIIe siècle, La Casta Gilos, comme un fabliau).

Des récits brefs et simples

Les fabliaux sont des récits brefs comptant entre 300 et 400 vers (le plus court compte 18 vers, le plus long 1200), écrits généralement en octosyllabes à rimes plates. La simplicité et le naturel de la prosodie, de la syntaxe et de la langue (le vocabulaire utilisé est courant et parfois familier et grossier), les jeux de langage, l’absence d’ornementations, l’usage du dialogue, la rapidité de la narration rendent les fabliaux accessibles aux lecteurs. Au regard des fabliaux, dont les qualités littéraires sont particulièrement hétérogènes, certains exégètes pensent qu’il existait deux publics distincts pour les fabliaux, un public lettré (les bourgeois et nobles) et un public illettré (les vilains, c’est-à-dire les paysans).

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Des aventures de la vie quotidienne

Selon l’éditeur Anatole de Montaiglon (1824-1895), « le fabliau est un récit plutôt comique d’une aventure réelle ou possible, même avec des exagérations, qui se passe dans les données de la vie humaine moyenne. » De fait, le fabliau décrit une aventure de la vie quotidienne, parfois bouleversée par un élément perturbateur plus ou moins important. Cette perturbation est souvent liée à l’argent, aux plaisirs charnels ou à la gourmandise. Par ailleurs, pour le médiéviste Omer Jodogne, « […] le fabliau est constitué d’une ou de plusieurs anecdotes enchaînées, structurées chacune en fonction d’un unique motif central. » (le Fabliau et le Lai narratif, 1975). On peut noter également que les personnages des fabliaux sont généralement peu définis, juste esquissés, et souvent de basse extraction ou issus de la bourgeoisie, la noblesse n’ayant le plus souvent pas sa place dans ce type de récits.

Une verve satirique et prompte à donner l’exemple

L’intervention du conteur, souvent moqueur et ironique, amène le rire, et voudrait parfois donner une leçon de vie. Certains auteurs revendiquent d’ailleurs la visée exemplaire et morale de leurs récits : pour exemple, des fabliaux dans lesquels se trouvent des préceptes moraux, des proverbes, et des victimes, qui, à bien y regarder, ne sont jamais innocentes. Selon la définition élaborée par le médiéviste Per Nykrog dans les Fabliaux (1973), ce récit est « construit sur un thème qui jette un ridicule plus ou moins fort sur au moins un des personnages, victime d’un bon tour que lui jouent les autres protagonistes de l’intrigue ».

Dans les fabliaux, le ton satirique domine donc, la mission narrative étant le « gabet », c’est-à-dire la moquerie. Le ressort de l’intrigue est quant à lui la duperie ; il vise à faire rire du personnage qui s’est laissé berner. Le plus souvent, la duperie est liée à des thèmes scatologiques ou obscènes (c’est le cas pour un tiers environ des fabliaux qui nous sont parvenus). Cependant, Omer Jodogne précise que, selon lui, « […] le fabliau est pétri de trivialité. Nous entendons par là l’absence totale de féerie, de poésie, de valeur symbolique sans que nécessairement ce terre-à-terre soit toujours de la grossièreté ou de la grivoiserie ».

→ À lire : Les tonalités.

Une peinture sans tabou des faiblesses humaines

Selon le philosophe Hippolyte Taine, dans La Fontaine et ses fables (1853-1861), « Le petit vers des fabliaux trotte et sautille, comme un écolier en liberté, à travers toutes les choses respectées ou respectables, daubant sur les femmes, l’Église, les grands, les moines. » En effet, le fabliau ne semble ne pas avoir de limite morale, il paraît aimer l’exagération des faiblesses humaines, et se plaire à parodier les valeurs de la noblesse du Moyen Âge. Ainsi, pour les motifs amoureux par exemple, les fabliaux inversent fréquemment les valeurs du roman courtois. En effet, selon Hippolyte Taine, « L’homme y cherche l’amusement, non la jouissance. Il est égrillard et non voluptueux, friand et non gourmand. Il prend l’amour comme un passe-temps, non comme une ivresse. C’est un joli fruit qu’il cueille, goûte et laisse. » Par leur caractère excessif et quelques traits redondants, presque obsessionnels, les fabliaux reflètent davantage les fantasmes sociaux de leur époque que la réalité. Les personnages sont souvent par ailleurs archétypaux et l’on retrouve fréquemment dans ces récits les conventionnels prêtres lubriques, épouses infidèles, séducteurs sans scrupules et vilains (paysans) stupides ou rusés.

Les principaux fabliaux
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Beaucoup s’accordent à faire remonter le genre au Richeut (anonyme, v. 1159-1170), l’histoire d’une prostituée faisant croire à tous ses anciens amants (un prêtre, un chevalier, un bourgeois) qu’ils sont le père de son fils. D’autres pensent que le premier fabliau est un récit anonyme, la Plantez, datant de la fin du XIIe siècle également. Les fabliaux sont pour la plupart anonymes.

Parmi les quelque vingt auteurs qui ont cependant laissé leur nom, Rutebeuf est le plus célèbre des fableors (Charlot le Juif, la Dame qui alla trois fois entour le moutier, Frère Denize le Cordelier, le Testament de l’Âne, etc.) avec Jean Bodel (les Souhaits desvez, Brunain la vache au prêtre, le Convoiteux et l’Envieux, Gombert et les Deux Clercs, le Vilain de Bailleul, etc.), Jean de Condé (v. 1275-1345 ; le Clerc qui se cacha derrière le coffre, le Sentier battu), Jacques de Baisieux (XIIIe siècle ; les Trois Chevaliers et la chemise), Henri d’Andeli (XIIIe siècle ; le Lai d’Aristote), Hugues le Roi (ou Huon le Roi de Cambrai, XIIIe siècle ; le Vair Palefroi), Gautier le Leu (XIIIe siècle ; le Prêtre teint), Hugues (ou Hue, Huon) Piaucele (XIVe siècle ; Estourmi, De Sire Hain et de dame Anieuse), Watriquet de Couvin (XIVe siècle ; les Trois Dames de Paris), etc.

Les principaux fabliaux anonymes conservés sont le Mantel mautaillé, le Vilain Mire, la Bourse pleine de sens, Du vilain qui conquit le Paradis par plait, le Paysan devenu médecin.

Ce genre, qui s’est éteint à la fin du Moyen Âge en France, a perduré en Europe quelque temps grâce à ses équivalents allemands (schwankmären) et néerlandais (Boerden) et a été source d’inspiration pour les œuvres de Boccace et de Geoffroy Chaucer.

→ À lire : Les ouvrages anonymes.

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