Madame de Sévigné : Lettres

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Madame de Sévigné

Lettres

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Madame de Sévigné, née le 5 février 1626 à Paris et morte le 17 avril 1696 au château de Grignan (Drôme), est une femme de lettres française qui, dans la correspondance qu’elle adresse à sa fille, fait la chronique spirituelle et sensible de la cour et des salons parisiens. [Lire la suite de sa biographie]

Présentation

Les Lettres sont une œuvre de Madame de Sévigné. Elles ont été rédigées de 1671 à sa mort, en 1696. Les quelque 764 lettres adressées à Mme de Grignan qui nous sont parvenues — souvent remaniées et édulcorées par des éditeurs trop zélés — représentent un témoignage savoureux et varié, une observation alerte de son époque. Véritable chroniqueuse, Mme de Sévigné relate pour sa fille tous les événements marquants qui se sont produits à Paris : le mariage de la Grande Mademoiselle, l’arrestation de Fouquet, l’exécution de la Brinvilliers lors de l’affaire des Poisons, la mort d’Henriette d’Angleterre, etc.

« Être dans les mains de tout le monde »

Portrait de Madame de Sévigné par Claude Lefèbvre, vers 1665.

Si les Lettres de la Marquise de Sévigné ne sont pas écrites pour être publiées (elles ne seront imprimées progressivement qu’à partir de 1696), elles circulent néanmoins dans les salons, qui se délectent des observations et des commentaires que la marquise s’emploie à faire à propos de tout « pour s’en distraire ». Ces Lettres apparaissent comme un compromis subtil de littérature galante, de mondanité intime et de confession biographique, qui s’apparente à la chronique. Car Madame de Sévigné donne autant dans la gazette — officielle ou non, politique ou religieuse — que dans le sentimentalisme et ses incidences. Les Lettres doivent ainsi se lire comme le reflet des histoires dans l’Histoire.

→ À lire : La correspondance. – Les salons littéraires.

« J’aime à vous écrire »

Quand, en 1671, le départ de sa fille pour la Provence — où elle rejoint son mari, le comte de Grignan — déchire sa vie et la prive subitement de ses repères intimes, Madame de Sévigné s’engage dans cette entreprise épistolaire qu’elle honorera quotidiennement jusqu’à sa mort. Mais la marquise n’a pas sa fille pour seule destinataire. Elle adresse en effet des lettres à de nombreux correspondants (dix exactement) — parents, voisins, amis privés ou intellectuels, relations d’affaires —, échangeant avec eux diverses réflexions, mais aussi quelques potins, sur la vie à la Cour, « les modes et les querelles » de Paris.

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Une expérience de soi

Là où les Lettres pourraient se contenter d’être une littérature du cœur et du partage où règne le pathos, produit de l’épanchement épistolaire, elles gardent cependant la distinction et la rigueur de l’exercice de style. Et si les maux de l’âme et de l’humaine condition prédominent dans les écrits, il n’en résulte pas moins qu’ils servent, au-delà de l’écriture référentielle, une entreprise autotélique. Car Madame de Sévigné est une femme d’écriture qui se construit — ou se reconstruit ? — par l’écriture. Il s’agit d’être utile, à sa fille, à ses amis provinciaux, à l’Histoire aussi qu’elle transcrit et commente, pour avoir le sentiment d’exister, bravant ainsi l’absence, la vie, et a posteriori, la mort, de manière à « glisser sur les dragons » dans une expérience de soi-même poussée, même dans la légèreté, à ses limites.

Extrait : Lettre à Mme de Grignan (1671)

La grande fête que donne le prince de Condé les 23, 24 et 25 avril 1671 à Chantilly en l’honneur de Louis XIV est un événement dans le monde aristocratique. Madame de Sévigné, amie fidèle de Fouquet jusque dans la disgrâce, apprécie le cuisinier Vatel depuis les réceptions de Vaux-le-Vicomte et s’émeut de son suicide. Dans la correspondance qu’elle entreprend à cette époque avec sa fille, Madame de Grignan, et qui marque ses vrais débuts en écriture, le récit du drame efface la description des festivités.

→ À lire également un autre extrait : Lettre à Madame de Grignan (1672).

À Paris, dimanche 26 avril 1671.

Il est dimanche 26 avril ; cette lettre ne partira que mercredi ; mais ce n’est pas une lettre, c’est une relation que Moreuil vient de me faire de ce qui s’est passé à Chantilly touchant Vatel. Je vous écrivis vendredi qu’il s’étoit poignardé : voici l’affaire en détail. Le Roi arriva le jeudi au soir ; la promenade, la collation dans un lieu tapissé de jonquilles, tout cela fut à souhait. On soupa ; il y eut quelques tables où le rôti manqua, à cause de plusieurs dîners, à quoi l’on ne s’étoit point attendu : cela saisit Vatel, il dit plusieurs fois : Je suis perdu d’honneur ; voici un affront que je ne supporterai pas. Il dit à Gourville, la tête me tourne ; il y a douze nuits que je n’ai dormi ; aidez-moi à donner les ordres. Gourville le soulagea en ce qu’il put. Le rôti qui avoit manqué, non pas à la table du Roi, mais aux vingt-cinquièmes, lui revenoit toujours à l’esprit. Gourville le dit à M. le Prince. M. le Prince alla jusque dans la chambre de Vatel, et lui dit : Vatel, tout va bien rien n’étoit si beau que le souper du Roi. Il répondit : Monseigneur, votre bonté m’achève ; je sais que le rôti a manqué à deux tables. Point du tout, dit M. le Prince, ne vous fâchez point, tout va bien. Minuit vint, le feu d’artifice ne réussit pas, il fut couvert d’un nuage ; il coûtoit seize mille francs. À quatre heures du matin Vatel s’en va partout, il trouve tout endormi, il rencontre un petit pourvoyeur qui lui apportoit seulement deux charges de marée ; il lui demande : Est-ce là tout ? Oui, Monsieur. Il ne savoit pas que Vatel avoit envoyé à tous les ports de mer. Vatel attend quelque temps ; les autres pourvoyeurs ne vinrent point ; sa tête s’échauffoit, il crut qu’il n’auroit point d’autre marée ; il trouva Gourville, il lui dit : Monsieur, je ne survivrai point à cet affront-ci ; Gourville se moqua de lui. Vatel monte à sa chambre, met son épée contre la porte, et se la passe au travers du cœur; mais ce ne fut qu’au troisième coup, car il s’en donna deux qui n’étoient point mortels ; il tombe mort. La marée cependant arrive de tous côtés ; on cherche Vatel pour la distribuer, on va à sa chambre, on heurte, on enfonce la porte, on le trouve noyé dans son sang, on court à M. le Prince qui fut au désespoir. M. le Duc pleura, c’étoit sur Vatel que tournoit tout son voyage de Bourgogne. M. le Prince le dit au roi fort tristement : on dit que c’étoit à force d’avoir de l’honneur à sa manière ; on le loua fort, on loua et blâma son courage. Le Roi dit qu’il y avoit cinq ans qu’il retardoit de venir à Chantilly, parce qu’il comprenoit l’excès de cet embarras. Il dit à M. le Prince qu’il ne devoit avoir que deux tables, et ne se point charger de tout ; il jura qu’il ne souffriroit plus que M. le Prince en usât ainsi ; mais c’étoit trop tard pour le pauvre Vatel. Cependant Gourville tâcha de réparer la perte de Vatel ; elle fut réparée, on dîna très-bien, on fit collation, on soupa, on se promena, on joua, on fut à la chasse ; tout étoit parfumé de jonquilles, tout étoit enchanté. Hier, qui étoit samedi, on fit encore de même ; et le soir le Roi alla à Liancourt, où il avoit commandé media noche ; il doit y demeurer aujourd’hui. Voilà ce que Moreuil m’a dit, espérant que je vous le manderois. Je jette mon bonnet par-dessus les moulins, et je ne sais rien du reste. M. d’Hacqueville, qui étoit à tout cela, vous fera des relations sans doute ; mais comme son écriture n’est pas si lisible que la mienne, j’écris toujours ; et si je vous mande cette infinité de détails, c’est que je les aimerois en pareille occasion.

(Madame de Sévigné, Lettres à sa fille et à ses amis, tome 2, édition de 1818)

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