Charles de Secondat de Montesquieu
Auteurs français ► XVIIIe siècle ► vous êtes ici
Auteurs français
Charles de Secondat de Montesquieu
1689 – 1755
Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires.
(Montesquieu, De l’Esprit des lois, 1748)
Charles de Secondat de Montesquieu, né le 18 janvier 1689 à La Brède (Guyenne, près de Bordeaux) et mort le 10 février 1755 à Paris, est un homme de lettres et philosophe français, auteur des Lettres persanes et De l’Esprit des lois, qui, en renouvelant l’approche des sciences politiques, a contribué à l’essor des « Lumières ». Montesquieu est l’un des penseurs de l’organisation politique et sociale sur lesquels les sociétés modernes et politiquement libérales s’appuient.
→ À lire : Lettres persanes (1721). – Le Siècle des Lumières (XVIIIe siècle).
Une noblesse d’esprit
Une carrière parlementaire
Issu d’une famille d’importants parlementaires bordelais, Charles de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu, fut élevé d’abord au château de La Brède. Il suivit ensuite des études de droit, à Bordeaux puis à Paris.
Dans la capitale, il fréquenta les milieux savants et lettrés, mais, très attaché à sa terre et à sa région, il revint à Bordeaux, où il prit la charge de conseiller au parlement (1714). À la mort de son père, il entra en possession du domaine de La Brède et des vignobles qui en faisaient partie, et, en 1716, son oncle lui légua sa charge de président à mortier au parlement de Bordeaux. Dès lors, le destin de Montesquieu semble tracé : sa vie durant, il resta fidèle à ses attaches de propriétaire terrien et de magistrat.
Des premiers écrits aux Lettres persanes
Pourtant, parallèlement à cette charge, dès 1717, il se passionna pour les sciences, et, comme membre de l’Académie des sciences de Bordeaux, il rédigea de nombreux traités de physique, de médecine, mais également de politique et de philosophie (Dissertation sur la politique des Romains dans la religion, 1716). Ces premières œuvres, par bien des aspects, annonçaient les Lettres persanes. Ce dernier ouvrage, l’un des chefs-d’œuvre de Montesquieu, fut publié anonymement en 1721 à Amsterdam, probablement pour éviter que ce roman, audacieux à bien des égards, ne compromît la réputation de sérieux du magistrat qu’était Montesquieu. Cependant, cet anonymat fut vite percé à jour et le roman fit sans doute différer jusqu’en 1727 l’élection de son auteur à l’Académie française. En revanche, le succès des Lettres persanes ouvrit à Montesquieu les portes des salons parisiens, comme celui de la marquise de Lambert ou le club de l’Entresol.
Voyages et observations
En 1726, Montesquieu quitte la magistrature. Tout en restant profondément attaché à sa terre natale, il passe alors le plus clair de son temps dans les salons parisiens et en voyage : c’est probablement la fréquentation des salons qui lui inspire des romans tels que Le Temple de Gnide (1725) et L’Histoire véritable (publié en 1892), qui relèvent du genre galant et témoignent d’une grande finesse psychologique et morale. De 1728 à 1731, Montesquieu se rend en Hongrie, en Italie, en Hollande, en Angleterre, où il demeure près de deux ans. Tous ces voyages rendent possible une observation minutieuse de la géographie, de l’économie, des mœurs et des coutumes politiques des différents pays européens. De retour en France, Montesquieu se consacre à l’étude de l’histoire et publie en 1734 les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Laboratoire de la grande œuvre à venir, cette glorification de la République romaine, à l’origine destinée à s’intégrer dans un ensemble beaucoup plus vaste de philosophie politique que Montesquieu est en train de rédiger, recourt à une méthode historique fondée sur la causalité humaine. Pendant quatorze années, compilant sources livresques et témoignages, il compose, augmente, remanie l’œuvre de toute une vie, De l’esprit des lois (1748).
Publié anonymement à Genève, l’ouvrage a aussitôt un immense retentissement, mais subit les attaques des jésuites et des jansénistes, qui critiquent violemment son éloge de la religion naturelle. Montesquieu y répond par la Défense de l’« Esprit des lois » (1750). En vain, puisque la faculté de théologie de Paris condamne l’ouvrage, qui a d’ailleurs été mis à l’Index par le Saint-Siège dès sa publication. Montesquieu publie encore Lysimaque (1754) et rédige l’article « Essai sur le goût » (posthume, 1757) de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Devenu pratiquement aveugle, il s’éteint le 10 février 1755.
Montesquieu laisse de volumineux carnets et d’innombrables notes personnelles qui seront publiés bien après sa mort. Le Spicilège (1944) et Mes Pensées (1899) recueillent ainsi divers manuscrits laissés en l’état par Montesquieu et composés de pages intimes, de relations de voyage, de travaux préparatoires et de commentaires variés. Cette production marginale, fondamentale, éclaire, s’il en était besoin, l’œuvre d’un des esprits les plus pénétrants du XVIIIe siècle.
Une œuvre politique
Les Lettres persanes
Un roman épistolaire
Les Lettres persanes constituent un roman épistolaire relatant le voyage à Paris de deux Persans, Usbek et Rica : leur séjour, qui dure huit années, est pour eux l’occasion d’observer la société et le mode de vie des Français, leurs coutumes, leurs traditions religieuses ou politiques, et d’en faire le rapport à leurs interlocuteurs restés en Perse. Parallèlement, Usbek et Rica reçoivent des nouvelles de Perse, qui renseignent le lecteur sur les mœurs de ce pays.
La forme épistolaire n’était plus tout à fait une nouveauté en 1721, mais elle trouvait ici une expression aboutie, car Montesquieu savait tirer toutes les ressources possibles du genre, notamment en soulignant la relativité des points de vue : si les Perses sont étranges aux yeux des Parisiens, la réciproque est également vraie. Montesquieu savait en outre lier étroitement des thèmes fort divers et aborder cette grande variété de sujets sans donner l’impression ni de monotonie ni de décousu.
La vogue de l’exotisme
Quant à la dimension orientale des Lettres persanes, elle s’inscrivait certes dans une vogue de l’exotisme, dont l’abondante production de récits de voyages et la publication des Mille et Une Nuits par Antoine Galland (1704-1717) furent les signes les plus manifestes. De fait, le roman abonde en notations pittoresques, comme les dates, référées au calendrier musulman. Mais la confrontation entre les modes de vie persan et français, et en particulier entre l’islam et le christianisme, ou entre le despotisme oriental et la monarchie française, est chargée par Montesquieu d’une intention satirique et critique.
Tous les travers et le ridicule de la société française de l’époque sont ainsi épinglés. Mais Montesquieu va plus loin : les grandes questions qui seront celles des philosophes tout au long du siècle des Lumières se trouvent déjà amorcées dans les Lettres persanes : la réflexion sur le bonheur, présenté comme une revendication légitime, le combat pour la liberté et la tolérance, en particulier en matière religieuse, la critique des formes autoritaires du pouvoir, despotisme ou absolutisme. Enfin, et c’est peut-être là le fait capital, les Lettres persanes sont un manifeste du pouvoir de l’ironie. Par leur fausse naïveté, les Persans réussissent à déjouer les pièges de l’hypocrisie sociale et à faire apparaître en pleine lumière la vérité cachée de la société occidentale.
→ Pour aller plus loin : Montesquieu : Lettres persanes (1721).
De l’Esprit des Lois
Une méthode expérimentale
Comme les Lettres persanes à certains égards, De l’Esprit des lois, véritable somme d’histoire politique comparée, s’appuie sur le principe de la relativité des mœurs, des sociétés et de leurs lois. Ce travail se fonde sur différents types de sources : sur les observations directes que Montesquieu put récolter lors de ses voyages, auprès de la monarchie constitutionnelle anglaise, auprès de la république de Venise ; sur les témoignages rapportés par des voyageurs venus de tous les pays du monde ; enfin, sur une abondante matière livresque (la bibliothèque du château de La Brède comportait plus de trois mille volumes).
Sa méthode est donc plus expérimentale qu’abstraite : il s’agit d’abord de saisir les circonstances variées dans lesquelles les lois de chaque nation trouvent leur origine ou leur explication.
Trois types de gouvernements
Distinguant trois types de gouvernement, le monarchique, le despotique et le républicain, Montesquieu s’attache d’abord à définir les principes fondamentaux auxquels ces systèmes se rapportent : l’honneur, pour le monarchique ; la crainte, pour le despotique ; la vertu, pour le républicain. Puis il cherche à définir les liens constitutifs qui existent entre les différents types de gouvernement, leurs lois et les pays qui les ont établis. Douze des trente et un chapitres de l’ouvrage sont ainsi consacrés aux rapports des lois avec le climat, la géographie, le commerce, la monnaie, la démographie ou la religion.
Pour une monarchie modérée
Cette objectivité véritablement scientifique de l’observation n’empêche pas Montesquieu d’exprimer sa préférence pour le système monarchique, prônant une monarchie tempérée et une séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire). Par ailleurs, le ton de l’ouvrage s’élève parfois jusqu’à l’indignation, pour condamner l’esclavage, par exemple, ou la torture.
Avec cet ouvrage, Montesquieu apparaît comme le premier des « philosophes » du XVIIIe siècle : sa démarche d’observation rationnelle ouvre la voie à l’esprit des Lumières, fondé sur la raison et la tolérance, même si son (relatif) conservatisme contrebalance parfois la dimension profondément novatrice de sa pensée politique. Certains des principes qu’il a développés dans De l’Esprit des lois ont inspiré la Constitution américaine, ainsi que la Constitution de 1791.
Bibliographie
- La damnation éternelle des païens (1711)
- Système des Idées (1716)
- Lettres persanes (1721)
- Le Temple de Gnide (1724)
- Histoire véritable d’Arsace et Isménie (1730)
- Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734)
- De l’Esprit des lois (1748)
- La Défense de « L’Esprit des lois » (1750)
- Pensées suivies de Spicilège
- Le flux et le reflux de la mer
- Mémoires sur la fièvre intermittente
- Mémoires sur l’écho
- Les Maladies des glandes rénales
- La Pesanteur des corps
- Le Mouvement relatif
📽 15 citations choisies de Montesquieu
- Un empire fondé sur les armes a besoin de se soutenir par les armes. (Considérations sur les causes de la grandeur des Romains)
- Les politiques grecs ne reconnaissent d’autre force que celle de la vertu. Ceux d’aujourd’hui ne vous parlent que de manufactures, de commerce, de finances, de richesses et de luxe même.
- Quand les sauvages de la Louisiane veulent avoir du fruit, ils coupent l’arbre au pied, et cueillent le fruit. Voilà le gouvernement despotique. (De l’Esprit des lois)
- Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé.
- L’amour de la démocratie est celui de l’égalité. (Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, livre V, chap. 3)
- Un homme d’esprit sent ce que les autres ne font que savoir. (Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères)
- L’éducation consiste à nous donner des idées, et la bonne éducation à les mettre en proportion. (Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères)
- Quand on court après l’esprit, on attrape la sottise. (Pensées diverses)
- C’est un malheur de n’être point aimée; mais c’est un affront de ne l’être plus. (Lettres persanes, Lettre III, Zachi à Usbek)
- On dit que l’homme est un animal sociable. Sur ce pied-là, il me paraît qu’un Français est plus homme qu’un autre, c’est l’homme par excellence; car il semble être fait uniquement pour la société. (Lettres persanes)
- Un homme qui, en général, souffre les infidélités de sa femme n’est point désapprouvé; au contraire, on le loue de sa prudence: il n’y a que les cas particuliers qui déshonorent. (Lettres persanes)
- Il y a parmi eux des hommes très malheureux que personne ne console: ce sont les maris jaloux; il y en a que tout le monde hait: ce sont les maris jaloux; il y en a que tous les hommes méprisent: ce sont encore les maris jaloux. (Lettres persanes)
- Tous les maris sont laids. (Mes Pensées)
- Les hommes, fripons en détails, sont en gros de très honnêtes gens: ils aiment la morale. (De l’Esprit des lois)
Articles connexes
- Auteurs du XVIIIe siècle.
- Montesquieu : Lettres persanes (1721).
- Histoire de la France : L’Ancien Régime.
- Histoire de la France : La Révolution.
- Courant littéraire du XVIIIe siècle : Le Siècle des Lumières.
- La lettre.
- Fiche technique : la lettre.
- La satire. – L’essai.
- Lumière sur…
Suggestion de livres
[➕ Autres choix…]