Tutoyer ou vouvoyer ?

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Tutoyer ou vouvoyer ?

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Principes généraux

Le tutoiement est l’action de tutoyer quelqu’un, c’est-à-dire de s’adresser à quelqu’un en utilisant la 2e personne du singulier : tu, te, toi, ton, le tien, la tienne… En règle générale, on tutoie de nos jours les personnes auxquelles on est uni par des liens étroits de parenté, d’amitié ou de camaraderie, ainsi que les enfants. Dans le style élevé, on tutoyait Dieu ou les grands : « Les enfants aiment-ils mieux leurs parents aujourd’hui qu’ils les tutoient et ne les craignent plus ? » (Chateaubriand)

Le vouvoiement, appelé aussi vousoiement (1797) et voussoiement (vieilli ou régional), est le fait de vouvoyer quelqu’un en employant la 2e personne du pluriel (dite de politesse) : vous, votre, le vôtre, la vôtre… On vouvoie normalement les inconnus, ses supérieurs et toutes les personnes avec qui on n’a pas de liens étroits ou à qui l’on doit le respect.

ℹ Note
Pour vouvoyer, on dit aussi vousoyer (XVe s.) et voussoyer (1845, vieilli ou régional).

→ À lire : Les pronoms.

Remarques

1️⃣ Le passage du vous au tu, ou inversement, implique une intention particulière, d’ordre affectif.
Exemple : Laissez-moi veiller et vous, dormez ; et rêve à moi, je t’en prie. (Alfred de Vigny, Lettre à Louise Colet, 1956)
Note : En ancien français, on passait couramment – et sans aucune raison d’ordre affectif – du tu au vous et vice versa.

2️⃣ Quand vous représente un être unique, les adjectifs et les participes qui s’y rapportent se mettent au singulier, avec le genre correspondant au sexe de l’être désigné.

3️⃣ Certaines expressions avec tutoiement, ou avec vouvoiement, peuvent être figées et s’utilisent avec une personne que l’on vouvoie, ou que l’on tutoie.
Exemple : Vous habillez, pour vous, c’est enfiler, va comme je te pousse, une housse. (Guy de Maupassant, Romania, 1951)

4️⃣ Par souci d’expressivité, on peut impliquer fictivement son ou ses interlocuteurs en utilisant la 2e personne.
Exemple : Un artisan décrivant son métier à quelqu’un qui n’est pas appelé à l’exercer dira : pour faire un manche d’outil, vous prenez (ou tu prends) du hêtre bien sec.
Certains proverbes sont à la 2e personne pour la même raison : Aide-toi, le ciel t’aidera. – Oignez vilain, il vous poindra.
→ À consulter : Proverbes français expliqués.

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Aperçu historique

Le vous de politesse est souvent présenté comme un corollaire du nous de majesté. Toutefois, le vouvoiement apparaît déjà en latin chez Ovide.
Dans l’ancienne langue, aucune règle fixe ne délimitait l’emploi du tu et celui du vous de politesse ; souvent les mêmes deux pronoms alternaient dans un même passage. C’est au XVIIe siècle que l’influence de la cour fait prévaloir le vous de politesse. Sous l’Ancien Régime, les « honnêtes hommes » ne se tutoyaient pas entre eux, mais ils tutoyaient l’homme du peuple. La République établit en l’an II le tutoiement général, mais on en revient sous l’Empire à l’usage d’avant la Révolution.

→ À lire : Être « honnête homme » au XVIIe siècle. – Principes de politesse et de savoir-vivre. – Allier la politesse du cœur à celle des manières.

Au XXIe siècle

À partir du XXIe siècle, tutoyer ou vouvoyer est devenu une question d’âge et de situation. Quand vous êtes avec un supérieur hiérarchique, un professeur ou un client, il vaut mieux connaître et respecter certaines règles. Les premiers temps, le vouvoiement s’impose toujours pour marquer la distance et le respect. On ne passe jamais du vous au tu pendant une dispute parce que cela est vulgaire.

D’un autre côté, les rapports hiérarchiques ont beaucoup changé en vingt ans et continuent à évoluer. Dans les nouvelles entreprises, les directeurs peuvent être des gens très jeunes (de 20, 22 ans…), qui embauchent des employés moins jeunes (de 30, 35 ou même 40 ans). Le plus souvent, le bureau patron est mis en place à côté de celui de ses employés. Ces derniers ont pris l’habitude de tutoyer leur chef. Les collègues deviennent des amis, l’entreprise remplace le bistrot, la maison, le cinéma et le restaurant. On déjeune ensemble sur son lieu de travail pour ne pas perdre le temps, on reste de plus en plus tard le soir pour regarder un match de foot, avant de se remettre au travail…

Certaines pratiques sociales instituent le tutoiement dans la communication, comme les radioamateurs, les enseignants, les militants politiques et syndicaux, les échanges sur forums Internet ou au cours des les messageries instantanée (les tchats) sans que cela soit considéré comme grossier ou familier. Le vouvoiement reste privilégié pour les correspondances plus formelles. En revanche, dans un courrier électronique, cela dépendra surtout de la manière dont on aborde la personne. Sur ce, on choisira ce qui semble plus convenable entre le vouvoiement et le tutoiement.

Enfin, la motivation informelle commandant le tutoiement dans ces contextes est que tous les membres de la communauté concernée sont des pairs, et dans ces cas l’usage du vouvoiement établirait une distance ou une hiérarchie.

Une anecdote littéraire sur le tutoiement et le vouvoiement

Louis Capart (1857) a traité du « tutoiement et du vouvoiement ». Il commence par se demander comment s’est introduite, dans le langage, l’habitude de dire : « Vous pour tu, et nous pour je ». Alors il se répond à lui-même :

Je comprends, dit-il, qu’un valet, voulant marquer la grande distance qui le sépare de son maître, emploie avec lui des expressions qui fassent bien ressortir les distances. Monsieur veut-il me permettre de lui faire une observation ? – Il est certain qu’un « tu », adressé par un cocher à sa maîtresse de maison, ferait un mauvais effet. Oui, on froisserait les convenances, si l’on disait à une dame qu’on ne connaît pas : Veux-tu me permettre de passer ? Mais de là, à « vouvoyer » son frère et sa sœur, son ami, son père et les personnes que l’on fréquente, surtout quand elles sont du même sexe, c’est aller trop loin.

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À ce sujet, l’auteur fait ressortir tout le dédain que l’on peut marquer en employant parfois le « vous ».

Un père, prévenu que son fils se propose de forcer son secrétaire pour le voler, y met une somme d’argent, avec ce billet foudroyant :

Puisqu’un amour infâme a pour « vous » tant d’appas,
Qu’il « vous » fait renoncer à « votre » propre estime,
Je veux « vous » épargner un crime :
Acceptez, ne dérobez pas.

Jusqu’alors, ce père avait dit « tu » ; mais en présence de l’infamie de son fils, il se décide à dire « vous ». Pourquoi, si « tu », est trop familier, l’emploie-t-on pour l’Éternel ? Quand on tutoie Dieu, ne pourrait-on pas bien tutoyer le premier venu, sans le désobliger !

L’auteur conclut ainsi :

« Tu et vous » seront toujours bien employé par les hommes d’excellente compagnie ; les sots seuls peuvent se tromper. Quant au « nous pour je », qu’on trouve chez les auteurs, c’est une véritable inconséquence, que rien ne justifie. – Si, moi-même, je mets parfois « nous pour je », c’est que je ne veux pas trop contrarier les usages. Si j’écrivais selon mon goût, trop de monde s’écrierait : que je ne connais même pas « l’orthographe » ! J’avoue que les ignorants me font peur ; ils sont si puissants !

(Julien Tell, Les Grammairiens français depuis l’origine de la grammaire en France jusqu’aux dernières oeuvres connues, Firmin Didot, 1874, p. 359)

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