Le dandysme et le décadentisme (XIXe siècle)

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Le dandysme et le décadentisme

XIXe siècle

Vous ne sauriez imaginer quel succès a eu ce bijou [sa canne] qui menace d’être européen… Tout le dandysme de Paris en a été jaloux.

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(Honoré de Balzac, Lettres à l’Étrangère, t. 1, 1850, p. 244)

Vous n’êtes qu’un pauvre snob du décadentisme et de la pourriture, un simple suiveur des Gide et des Proust, ces imbéciles, pourris de cérébralité, de stérilité, d’esthétisme…

(Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes,1936, p. 1187)

Portrait du comte Robert de Montesquiou (1855-1921), fait en 1897 par Giovanni Boldini (1842–1931).

Présentation
Dandysme

« Culte de soi-même » selon Charles Baudelaire, « culte de la différence dans le siècle de l’uniforme » selon Roger Kempf (1927-2014), le dandysme apparaît dans les mondanités parisiennes dès 1815. Au XIXe siècle, le dandysme est une attitude esthétique et morale liée à l’élégance.

Lors de son apparition en Angleterre vers la fin du XVIIIe siècle, le dandy désigne d’abord un jeune homme fréquentant l’église ou la foire annuelle dans un vêtement excentrique. À partir de 1813, le terme est adopté à Londres pour désigner les « élégants », ceux qui détiennent l’autorité en matière de mode. Le plus célèbre d’entre eux, George Brummel, connu sous le nom du « Beau Brummel », influence bientôt l’écrivain George Byron par son esprit et son élégance. Puis, durant la Restauration et parallèlement à la vague d’anglomanie qui déferle en France, vocable et attitude traversent la Manche.

💡 George Brummel, c’est qui ?
George Bryan Brummel (1778-1840) est un dandy anglais qui symbolise l’élégance anglaise du début du XIXe siècle. Surnommé le Beau Brummel, il est né à Londres. À 17 ans, il devient l’ami intime du prince de Galles, le futur roi George IV. Brummel s’impose peu à peu à la cour d’Angleterre comme une autorité en matière d’habillement et d’étiquette. Pendant de nombreuses années, il est considéré comme le roi de la mode et l’influence de son style s’étend à toutes les capitales européennes. À la mort de son protecteur en 1830, harcelé par ses créanciers, il doit s’exiler. Réfugié à Caen, il passe le reste de sa vie dans la misère et meurt dans un hospice pour indigents. Sa vie inspire à Barbey d’Aurevilly un essai, Du dandysme et de George Brummel.

Dandy
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Selon le dictionnaire, un dandy est :

  • en Angleterre, au début du XIXe siècle, un jeune homme appartenant à un groupe de la haute société, qui réglait la mode  ;
  • en France, à l’époque romantique, un élégant qui se pique de suivre rigoureusement les modes.
    En particulier, c’est un personnage dont le raffinement témoigne d’un anticonformisme et d’une recherche éthique, fondée sur le mépris des conventions sociales et de la morale bourgeoise.

(Source : Le TLFi)

Le dandy défini par Villiers de l’Isle-Adam ou Charles Baudelaire reste un élégant, soucieux de recherche vestimentaire. En insistant sur les connotations éthiques et intellectuelles du mot, on est passé à des valeurs d’emploi excluant le concept d’élégance.

Le mot, au sens de élégant, raffiné, peut, dans cette acceptation, s’employer en parlant de toute époque, et notamment de l’époque moderne ; mais il connote le plus souvent une élégance de style britannique ou des caractères plus ou moins empruntés au type de personnage de la tradition littéraire française.

⚠️ Remarques générales ⚠️

  • Le mot dandy s’insère dans le paradigme des termes désignant l’élégant, mais n’a guère de synonyme (à l’exception partielle de lion et de fashionable).
  • Dandy ne s’emploie pas au féminin.
    Exemple : Qu’est-ce qu’une lionne…? un de ces dandy femelles qu’on rencontre invariablement où il est de bon ton de se montrer. (Émile Augier, Les Lionnes pauvres, 1858, IV, pp. 42-43).
  • La documentation atteste dandyesque (adjectif) pour désigner ce qui est relatif au dandy.
    Exemple : Un camarade qui devait être son maître d’élégance et qui lui conseillait, avec une pédanterie dandyesque, de faire diminuer l’échancrure de son pardessus. (Raymond Queneau, Exercices de style, 1947, p. 100)
    La documentation atteste également le verbe transitif dandyfier (emploi rare) qui veut dire « transformer en dandy ». Au participe passé : Un homme bel et bien en chair, très dandyfié, et qui laissait pendre de sa poche un mouchoir groseille rayé de vert pâle. (Paul-Jean Toulet, Comme une fantaisie, 1918, p. 99)
Décadentisme

Le décadentisme (également appelé mouvement décadent, décadisme ou simplement décadence) est une doctrine des décadents, développée à la fin du XIXe siècle en France. Ce terme désigne un trait caractéristique de ce qui se rapporte aux décadents.

L’idée de « décadence » apparaît dès le Second Empire, où l’on parle de « déclin ». L’humiliation de la défaite de 1871 et la Commune sont présentées, par de nombreux écrivains et artistes comme la fin d’un monde. C’est avec la publication des Essais de psychologie contemporaine de Paul Bourget en 1883 que le mouvement décadent commence à se définir. Face au sentiment de déliquescence qui l’habite, une génération d’artistes se reconnaît dans son analyse de la névrose des maîtres contemporains.

Portrait d’un dandy

Ne laissant jamais le hasard s’immiscer dans son existence, le dandy se comporte inlassablement avec froideur et impassibilité. Ironique, impertinent, supérieur voire dédaigneux, il cultive le goût du paradoxe et le culte de sa personne. Méprisant aventures sentimentales et banalités, il aime à être remarqué et imité. C’est pourquoi le dandy demeure un personnage qui se singularise par ses toilettes et son allure ; son existence reste liée à de rigoureuses exigences : raffinement de la toilette confinant à l’élégance et faisant même du costume et de la mise une œuvre d’art ; hygiène de vie en avance sur son temps, liant propreté du corps, performances sportives et emploi du temps ordonné entre déjeuners, mondanités et flâneries.

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D’une superficialité apparente uniquement, le vrai dandy ne se satisfait pas de sa coquetterie ou de sa vanité, il crée la mode et se révolte contre un ordre social dénué de tout esthétisme. Dans cette attitude de défi, il incarne en partie l’image romantique du XIXe siècle.

Le dandysme et la littérature

Portrait de Charles Baudelaire par Étienne Carjat, vers 1862.

Le personnage du dandy occupe une place prépondérante dans les œuvres littéraires françaises du XIXe siècle, comme en attestent certains personnages de la Comédie humaine d’Honoré de Balzac – de Marsay, Rastignac ou Charles Grandet. Les écrivains eux-mêmes apportent du soin à leur aspect physique et à leur mise : Stendhal, Eugène Sue, Balzac (auteur d’un Traité de la vie élégante) et Charles Baudelaire se montrent particulièrement élégants.

Au milieu du XIXe siècle, Baudelaire (dans Le Peintre de la vie moderne), Villiers de l’Isle-Adam, puis Barbey d’Aurevilly (avec Du dandysme et de George Brummel) réhabilitent l’idée du dandysme, comme seule possibilité de l’élégant, pour en faire un mouvement ayant surtout des attributs spiritualistes et éthiques ; éthique que Barbey d’Aurevilly résume en ces termes :

J’ai parfois, dans ma vie, été bien malheureux, mais je n’ai jamais quitté mes gants blancs.

Le dandysme, un idéal esthétique

Le dandy se présente comme un être oisif, d’une totale inutilité sociale. Sa recherche de la perfection vestimentaire témoigne de son désir  de privilégier le paraître plutôt que l’être, l’artifice plutôt que le naturel. Charles Baudelaire s’empare du type social du dandy pour incarner son idéal esthétique.

Au-delà de la recherche systématique de l’originalité et du culte du moi, le dandy représente « le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences ». Le poète, en refusant les valeurs prônées par une société contemporaine matérialiste et en posant l’incompatibilité radicale des notions d’Utile et de Beau, se condamne à l’isolement. Les Fleurs du mal se font l’écho de cette protestation en accordant une place essentielle à la beauté. Le poète considère celle-ci comme la forme privilégiée de l’idéal que l’artiste aspire à atteindre par le dévoilement du sens secret du monde, afin de chercher une issue au spleen et à l’ennui qui l’accablent.

Les mouvements décadents

De la fin du XIXe siècle jusqu’à la Belle Époque, le dandysme prend un tour paroxystique avec le « décadentisme », dont une des figures emblématiques demeure le comte Robert de Montesquiou. Les personnages de Joris-Karl Huysmans (Des Esseintes dans À rebours), de Marcel Proust (le baron de Charlus dans À la recherche du temps perdu) ou encore de Jean Lorrain (le duc de Fréneuse dans Monsieur de Phocas) en sont partiellement mais incontestablement inspirés.

À l’opposé du dandy, le décadent se laisse porter par ses faiblesses, use de ses talents qu’il se plaît à mettre en scène dans les plus infimes détails, jusqu’à l’outrance. Excès d’esthétisme, complaisance dans la morbidité, fascination pour le mortifère et le funèbre, cette déviation du dandysme a des effluves capiteux de tubéreuses et d’orchidées. Le décadentisme se manifeste à l’étranger sous la plume d’Oscar Wilde, notamment dans Le Portrait de Dorian Gray.

Le titre de « décadent » est décerné à une élite d’êtres précieux. Ces esthètes raffinés, ennemis de la réalité prosaïque, rejettent le triomphe du positivisme, les dogmes du scientisme et tous les idéaux collectifs et utilitaires de la société bourgeoise. Leur crise de confiance est ainsi révélatrice d’un contexte marqué par la faillite historique et politique. Ce nouveau dandysme se traduit par une conduite insouciante aggravée par un pessimisme absolu. Face à un monde matérialiste caractérisé par le goût de l’argent et par le « bon sens », on assiste à une véritable éclosion de groupes décadents (les hydropathes, les hirsutes, les zutistes, les jemenfoutistes) qui affirment leur foi en l’art et en l’esprit.

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