Don Juan

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Don Juan

Tu t’imagines que j’ai envie d’aller parader à ton bras dans des endroits où il y aurait des maîtres d’hôtel et de la femme en peau? Merde, alors! Si tu tiens à jouer au Don Juan, loue un mannequin pour t’accompagner.

(Simone de Beauvoir, Les Mandarins,1954, p. 348)

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Présentation

Don Juan, opéra en 5 actes de Mozart et Castil-Blaze : costume d'Adolphe Nourrit (rôle de Don Juan) / gravé par Maleuvre, 1834.Don Juan est un personnage légendaire, héros de nombreuses œuvres, incarnant le libertinage amoureux et de l’impiété, et la révolte contre la société catholique patriarcale. Les littératures modernes ont tiré un grand parti de ce type, qui a pris naissance en Espagne, par la combinaison de deux légendes. L’une racontait qu’un don Juan, de l’illustre famille Tenorio, avait enlevé la fille du commandeur de Séville, tué le père en duel, puis profané son tombeau. Et selon l’autre légende, un certain Juan de Marafia, descendant d’une longue suite de nobles et pieux chevaliers castillans, s’était donné au diable, lequel avait été vaincu, trois siècles auparavant, par le chef de la maison.

💡 Question d’usage…
L’usage est d’écrire « Dom Juan » lorsqu’il s’agit du titre de l’œuvre de Molière, « Don Giovanni » ou « Don Juan de Mozart » lorsqu’il s’agit de l’opéra de Mozart, et « Don Juan » lorsqu’il s’agit d’une autre œuvre. On retrouve dans le dictionnaire le substantif masculin don juan employé pour désigner quelqu’un qui est séducteur, le plus souvent libertin et sans scrupules. Son pluriel est invariable don juan. On rencontre également les dérivés : donjuanesque (adjectif) qui est propre à un don Juan et donjuanisme (substantif masculin) pour parler d’une attitude de don Juan. Certains dictionnaires ont enregistré dans leur nomenclature le verbe intransitif donjuaniser (ou don-juaniser) qui veut dire « faire le don Juan » et le verbe pronominal de sens réfléchi se donjuaniser signifiant « devenir un don Juan ». Balzac, par exemple, a utilisé un de ces verbes dans sa nouvelle intitulée Gambara : Les âmes grandes peuvent seules sentir la noblesse qui anime ces airs bouffes […]. C’est quelque chose de la majesté de l’Olympe. Il y a le rire amer d’une divinité opposé à la surprise d’un trouvère qui se donjuanise. (Honoré de Balzac, Gambara, 1837, p. 95).

→ À lire : Les mythes de l’amour. – Les personnages littéraires dans la langue française.

Fixation d’une légende

La figure du Don Juan est, d’abord, le produit d’un monde latin et catholique, aristocratique et théocratique, dans lequel elle représente, en contrepoint, une indispensable revendication de liberté et de mouvement. Le premier, le religieux espagnol Tirso de Molina met le personnage sur la scène, avec une comedia intitulée Le Trompeur de Séville et le Convive de pierre (El Burlador de Sevilla y Convidado de piedra, v. 1625). Tirso y fixe les éléments qui seront constamment repris : le couple formé par Don Juan et son valet, double bouffon, la réciprocité du désir amoureux qui s’exerce sur les femmes, la fuite perpétuelle où l’entraînent ses conquêtes et leurs conséquences, et le rôle du père, représentant de Dieu sur Terre, qu’il s’agisse du père de Don Juan ou de la statue du Commandeur. Le cynique Don Juan, parce qu’il demeure dans le jeu, théâtral et amoureux, est envoyé en enfer.

Le « grand seigneur méchant homme » de Molière

Après Tirso de Molina, le personnage devient peu à peu la figure privilégiée de représentation d’une certaine noblesse libertine. Don Juan passe en Italie, dans la commedia dell’arte notamment, et en France. Sa sortie d’Espagne date de la première moitié du XVIIe siècle. Un Convive de pierre (Il Convitato di pietra) était joué, en 1657, à Paris, par une troupe italienne. Librement imitée de Frà Gabriel Tellez, elle se réduisait, comme les comédies dell’ Arte, à un canevas sur lequel brodaient les improvisations des acteurs. Vers le même temps, une troupe de comédiens de ce pays vient à Paris à l’occasion des fêtes du mariage de Louis XIV (1659) et joue la pièce de Tirso de Molina. Trois ou quatre imitations françaises en sont faites aussitôt, sous un titre défigurant avec inintelligence le titre espagnol ou italien, qui devait se traduire par Le Convive et non Le Festin de pierre. On cite d’abord la pièce de Villiers : Le Festin de pierre, ou le Fils criminel (1659). Une autre plus remarquable est celle de l’acteur Dumesnil, dit Rosimon, du théâtre du Marais : Le Festin de pierre, ou l’Athée foudroyé (1669). Entre les deux se place celle de Molière, donnée en 1665, de Don Juan ou le Festin de pierre. Thomas Corneille mit en vers la comédie de Molière.

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Le grand Don Juan du XVIIe siècle reste celui de Molière (Dom Juan ou le Festin de pierre, 1665), chez qui le libertinage se fait quête acharnée, dans une spirale de provocations blasphématoires, d’une réponse divine qui serait enfin définitive. Dans cette comédie où l’on rit peu, sinon du sermonnaire grotesque qu’est Sganarelle, le terrible Don Juan, libertin matérialiste, est seul à revendiquer jusqu’au bout la liberté humaine, fût-ce au prix d’une solitude absolue, face à une société arc-boutée sur des codes sociaux et moraux réduits à de pures formes. Cette troublante « comédie » n’a cessé d’alimenter toutes sortes d’exégèses et de réécritures, haussant progressivement la figure jusqu’au mythe.

→ À lire : La commedia dell’arte. – La comédie. – La comédie classique en France.

Une présence dans toutes les littératures européennes

Don Juan passe après dans toutes les littératures européennes, souvent travesti, il est vrai, et parfois presque méconnaissable. On peut indiquer ici, parmi les compositions dont il a fourni l’idée première Le Libertine de Sadwell (1677); El Convivado de piedra d’Antonio de Zamora, poëte espagnol du XVIIIe siècle, qui n’a point fait oublier l’œuvre de Tirso de Molina; Giovanni Tenorio, ossia il Dissoluto punito, comédie médiocre de Goldoni.

Lord Byron, par son poème célèbre, Grabbe, par son drame de Don Juan et Faust, E. T. A. Hoffmann, dans ses Contes, Wiese, Braunthal, Hauch, Lenau, Holtei, Benzel Sternau, Khalert, Pouschkine, Limbech, Almquist, Heiberg, etc., ont, dans drivers genres littéraires, et en l’appropriant à leurs convenances, utilisé les ressources variées qu’offre le type de don Juan.

La scène espagnole s’est encore emparée de son heureuse création. José Zorilla n’a pas écrit moins de trois pièces sur la légende castillane Don Juan Tenorio (1844); Le Défi du diable (1845); Un Témoin de bronze (Un Testigo di bronze, 1845), tandis que le poète José de Esponceda donnait à la légende une suite toute fantastique dans L’Étudiant de Salamanque.

En France, Prosper Mérimée a écrit une nouvelle Les Âmes du purgatoire ou les deux Don Juan (1834) et Alfred de Musset a consacré à Don Juan de beaux vers dans Namouna. Alexandre Dumas a fait de don Juan de Maraña un « mystère » en cinq actes, joué en 1836, à la Porte-Saint-Martin. Ajoutons encore Le Souper chez le Commandeur, roman dialogué, en prose et en vers, d’Henri Blaze; Don Juan Barbon, petit drame rimé de Georges Levasseur; Les Mémoires de Don Juan par Félicien Mallefille, roman inachevé, paru dans la Presse en 1858, et le Don Juan converti, étude dramatique en sept actes de Gabriel-Désiré Laverdant (1864).

D’un mythe à l’autre : Don Juan romantique

Après Molière, les versions se multiplient donc, et avec elles les ponts entre différents arts. Don Juan, devenu européen, intéresse les musiciens, de Mozart, sur un livret de Da Ponte (c’est le grand opéra Don Giovanni, en 1787), à Richard Strauss et son poème symphonique (Don Juan, 1888). Pendant ce temps, les écrivains romantiques infléchissent le mythe dans le double sens d’une représentation de l’amour rédempteur, à partir de la figure moliéresque d’Elvire, et d’une association de Don Juan à la principale figure de révolte prométhéenne du XIXe siècle, celle de Faust. Don Juan devient moins latin, moins baroque et moins comédien. Il quitte le champ théâtral, pour apparaître dans les œuvres de Lord Byron (Don Juan, satire épique, 1812-1823) ou de Charles Baudelaire (« Don Juan aux enfers » dans Les Fleurs du Mal, 1857), dans les récits d’Hoffmann (Don Juan. Aventures d’un voyageur enthousiaste, 1813), et dans Honoré de Balzac (L’Élixir de longue vie, 1830) ou Prosper Mérimée (Les Âmes du purgatoire, 1834).

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Liberté de Don Juan

« Je me sens un cœur à aimer toute la terre », lance, dans son défi terrible au monde, le personnage de Molière. Peut-être le mythe n’a-t-il plus sa place à l’heure d’une modernité supposée libertaire, où il devient l’instrument de parodies, comme celle de George Bernard Shaw dans L’Homme et le Surhomme (Man and Superman, 1903), ou de propositions herméneutiques, chez les mythologues (Denis de Rougemont dans L’Amour et l’Occident, 1939) et chez les psychanalystes (Otto Rank dans Don Juan et le Double, 1914-1922). Demeurent, cependant, dans nos représentations imaginaires, la vérité anarchique du désir, l’étrangeté dionysiaque et baroque, et l’insolente mélancolie qu’évoque le nom de Don Juan.

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Don Juan Poche de Lord Byron

Dom Juan de Molière

Don Giovanni – Don Juan de Lorenzo Da Ponte

Don Juan de Maraña d’Alexandre Dumas
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